Tout le passionnait!
DANS LA PREFACE
de son livre, il dit « toujours s’interroger sur cette passion qu’il a du monde de l’océan » et fait sienne la citation de Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». De fait, il en a vécu de nombreux et passionnants. Le dernier fut terrible. Une méchante lame, celle que l’on pense toujours être destinée au voisin, lui a cassé la pipe. Pourtant, sur Pen Duick il a vaincu les déferlantes de l’Indien. Sur Neptune les grains du Pacifique. A bord de l’Abeille Flandre il a chevauché, par suroît, la mer creuse de l’entrée de la Manche.
DE LA LANTERNE DE CORDOUAN
Il a tutoyé la lanterne de Cordouan, escaladé Kéréon au coeur du Fromveur. Manoeuvré par un palan archaïque, juché sur un coussinet, le Rubi ravi s’est vu propulsé sur le parvis du phare de granit.
Lutin au front dégarni avec quelques cheveux en bataille, il se cachait derrière sa barbe qu’il triturait d’un air pensif. Il pouvait sembler absent, perdu dans ses réflexions. Mais avec son cahier de notes, armé de son crayon, il avait compris avant tout le monde. L’humour caustique dissimulait une belle intelligence. Toujours à l’écoute, l’oeil malicieux, ses questions fusaient brutalement, sans préambule. Sa répartie était cinglante, ses blagues pittoresques. Il mettait un point d’honneur à se placer en dehors des codes. Il faisait mine de pas entendre pour mieux répondre. Parfois, les yeux en pleurs, la face hilare, il se lâchait dans un formidable rire bruyant et contagieux. Sa mémoire étonnait. Sur le pont de Neptune, dans l’Atlantique Sud, dans son caleçon long à fleurs et en chaussettes, c’est lui qui donnait très sérieusement la cadence des cours de gymnastique. Et dans les empannages effectués par 35 noeuds de vent entre deux blanches déferlantes, « mister no good » avait un oeil sur la barre et l’autre sur le chrono. Manoeuvre terminée, il nous disait qu’une fois encore, on aurait pu mieux faire ! Difficile de le saluer dans les premiers jours du Salon nautique. Bouclage oblige.
Il vous croisait à la vitesse de l’Hydroptère. Ses appareils, il les a utilisés sans relâche à la poursuite des paysages, des gens, des bateaux. Barbe au vent, dans le sillage de Beken, il courait derrière les spis multicolores dans les eaux vertes du Solent, activiste militant de l’histoire de la voile. A la traditionnelle conférence de presse du Salon nautique de la porte de Versailles, face à madame la présidente du plus gros chantier du monde, c’est lui qui demandait d’un air bourru que l’on accéléra la manoeuvre :
« On n’a pas que ça à faire », lançait-il, rebelle. Et c’est encore lui qui prolongeait la discussion avec ses questions... Tôt le matin, il était le premier aux puces de Vanves ou de Saint-Ouen pour ne pas louper l’occase.
Les marchands étaient ses complices.
Sur les rives de son appartement parisien, guidé par les phares qui peuplaient les étagères, le promeneur déambulait au milieu d’amers remarquables, de la beauté nue à la croûte de mauvais goût.
A l’occasion de la brutale disparition de Florence Arthaud, reine du Rhum, c’est encore lui qui fit, dans Voile Magazine, le portrait le plus documenté, le plus fidèle, le plus sensible. Tous phares éteints, la grande famille de Rubi est sous pavillon noir.
Daniel Gilles, journaliste