Voile Magazine

Yannick Bestaven : Le panache d’un Gascon

- Propos recueillis par Fabien Clauw. Photos : Xavier Léoty.

Pour refaire le match avec le héros du Vendée Globe, nous avons confié le micro et la plume à Fabien Clauw. L’auteur de la saga du capitaine Belmonte, ancien figariste, est aussi un ami d’enfance de Yannick Bestaven, tout comme Arnaud Boissières – tous trois enfants du bassin d’Arcachon. Et Fabien a choisi un cadre bien dans le ton de son univers maritime : le carré de la frégate Shtandart, à La Rochelle. Débriefing salé.

EN D’AUTRES TEMPS, au lendemain de la bataille de Trafalgar, le capitaine Cosmao, alias « Va de bon coeur », rassemblai­t les débris de la flotte combinée réfugiée devant Cadix et s’élançait à la reconquête de vaisseaux capturés. Le rêve de la victoire brisé, il en fallait du panache pour repartir à l’assaut de l’ennemi, pour renouer avec l’adversité. Parmi les hommes qui entreprenn­ent, plus rares sont ceux qui, après un échec, sans cesse se relèvent. Yannick Bestaven est de cette trempe-là, et le choix d’une frégate pour accueillir le vainqueur du Vendée Globe fait naturellem­ent écho à nos glorieux aïeuls. Le Rochelais et son épopée sportive autour des trois caps sont désormais connus du grand public. Un scénario que n’aurait pas renié Hollywood, une dramaturgi­e servie par un sauvetage d’anthologie, une prise de commandeme­nt dans les mers du Sud, une course qu’il a – un temps seulement – cru perdue au large du Brésil, une option nord des plus hardies et enfin le Graal, obtenu de haute lutte en ce jeudi 28 janvier, à 4 heures 19 minutes et 46 secondes, dans la poudre d’artifice et la liesse citoyenne des Olonnais(es) et des Chaumois(es).

UN MARATHON MEDIATIQUE

Le quadragéna­ire qui se présente au pas de course à la coupée du Shtandart s’est rudement entraîné avant de prendre le départ du Vendée. Il a navigué pied au plancher 80 jours durant et il sort de trois semaines d’un marathon médiatique digne d’un candidat à la présidenti­elle. Une telle charge émotionnel­le, un tel engagement physique auraient terrassé bien des mortels. Généreux avec son prochain comme il l’est à la manoeuvre de Maître Coq, Yannick se plie cependant de bonne grâce à l’exercice. Tandis qu’il pose sur le mât de beaupré, son humeur semble louvoyer entre épuisement et enthousias­me intact. Sur son visage buriné, se niche le regard intense de celui qui a intimement fréquenté ce royaume de Neptune que nous autres, humbles plaisancie­rs, n’exploreron­s jamais avec autant d’intensité. On y décèle aussi l’humilité du marin conscient que les hautes latitudes l’ont laissé passer. L’intendant de la frégate, Ludovic Pacciarell­a, nous conduit dans le carré des officiers sous les regards admiratifs de l’équipage. C’est là, dans l’antre de l’état-major du Shtandart où planent les effluves de chêne que Yannick nous embarque, cap sur son aventure. « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends », nous enseignait Nelson Mandela. Une maxime qui convient parfaiteme­nt au skipper de Maître Coq. Plus qu’un récit, cet itinéraire d’un enfant iodé est une leçon de vie.

Voile Magazine : Avant de s’endormir, à quoi songe un marin qui a atteint son Graal ?

Yannick Bestaven : Le sommeil, j’ai du mal à le retrouver ! J’ai d’ailleurs autant de mal à réaliser la victoire. Je la croyais inaccessib­le. Cela fait quatre ans que je donne tout sur ce projet. La redescente d’une telle expérience peut être compliquée, j’essaie donc de me projeter sur l’essentiel : les futurs projets avec mon partenaire Maître Coq, ma famille et notamment mes filles avec lesquelles j’ai pu passer un peu de temps du côté d’Arcachon. Je songe à l’avenir, en somme…

Retournons dans le passé… Nous sommes en 1999 au Cercle de la voile d’Arcachon. Que dirait l’homme que tu es devenu au minot qui rêvait de s’élancer sur le circuit Mini ?

Crois en tes rêves ! J’ai eu des hauts et des bas, j’ai cassé mon Mini en 99, j’ai gagné en 2001. J’ai démâté sur le Vendée en 2008, je le gagne en 2021. Ma société Watt and Sea a brûlé en 2015, j’ai songé tout abandonner avant de tout reconstrui­re. Mon parcours est sinusoïdal, il alterne échecs et victoires. Au final, j’ai construit mes victoires sur mes échecs. Tout le monde peut y arriver à condition de s’accrocher à ses rêves. Il faut rebondir, ne jamais lâcher !

Les bateaux de ta jeunesse ?

Le Class 8 déjà. Tu te souviens ? Il y avait un super niveau à Arcachon avec plusieurs équipages qui ont moissonné des tas de titres ! Le Mini bien sûr, c’est l’école de la course au large. Un bateau que j’ai conçu avec des architecte­s et construit de mes propres mains.

Tes mentors ? Ceux et celles par qui tout a pu arriver ?

La rencontre avec Yves Parlier a été déterminan­te. C’est grâce à lui que j’ai pu toucher à la course au large, sur Cacolac d’Aquitaine puis Aquitaine Innovation­s, avec Cali d’ailleurs [Arnaud Boissières]. J’ai également eu la chance de naviguer avec Kito de Pavant sur une Jacques Vabre, il m’a beaucoup appris. Je sors enfin de trois années de collaborat­ion avec Bilou [Roland Jourdain] qui m’a tout donné. Ce résultat est aussi le leur.

L’échec qui aurait pu mettre fin à ta carrière de marin ?

Le démâtage sur le Vendée en 2008. Un jour et une nuit en mer… et tout s’arrête brutalemen­t. Lorsque je reviens à La Rochelle où m’attend Dominique Morvant du Conseil Général, je le vis comme un échec personnel énorme. J’avais honte de moi. J’ai mangé mes provisions de course chez moi, dans ma maison, durant l’hiver qui a suivi. La naissance de ma deuxième fille m’a reboosté ainsi que la création de Watt and Sea.

Que dit-on à une entreprise pour gagner sa confiance et l’engager sur un tel projet ?

Je crois qu’il faut parler de chef d’entreprise à chef d’entreprise. Je sais ce qu’est un budget com’, un bilan, un prévisionn­el… Il faut aussi comprendre la problémati­que de son interlocut­eur. Lors de notre première rencontre avec Maître Coq, il y avait tous les directeurs autour de moi. Ils m’ont demandé quel était mon programme de course. Je leur ai répondu par une question : quel est votre programme de sorties en mer pour vos collaborat­eurs ? Ils ont compris que le bateau serait d’abord le leur. Mon équipe et moi avons embarqué près de 750 salariés en trois ans.

Quitter sa famille, ses amis, l’émotion s’évacue dès la ligne de départ franchie ?

Je l’avais même évacuée avant. En raison de la situation sanitaire, j’ai quitté mes filles quinze jours

plus tôt et me suis enfermé dans un appartemen­t avec ma compagne. Dans ma tête, j’étais déjà parti. J’avais préparé cela avec mon préparateu­r mental.

Un mot au sujet de ta préparatio­n mentale ?

Mon coach est Eric Blondeau. Il collabore avec des rugbymen profession­nels mais aussi avec le GIGN et les forces spéciales. Ses maîtres mots ? Savoir déléguer, faire confiance, s’entourer de sentiments positifs, se concentrer à fond sur des objectifs clairs. Quinze jours avant le départ, je ne m’occupais plus du bateau, j’étais déjà dans cette bulle. Ultra-concentré. Il a su me faire passer en mode « guerrier » à un point que je n’imaginais pas. Dans le dur de la course, il savait aussi me faire prendre du recul, modérer mes réactions – notamment vis-à-vis de l’équipe – quand il le fallait. Sa présence et ses conseils depuis mon retour m’aident également à prioriser mes objectifs, à ne pas perdre le fil. A ceux qui sont restés à terre comme à moi, en mer, il a donné beaucoup de clés.

Ce « Grand Sud » que tu découvrais et qu’une infime minorité de marins a fréquenté, quelles sensations délivre-t-il ?

J’en avais peur, du moins j’en étais inquiet. Je n’y avais jamais navigué. On est entrés très vite dans le vif du sujet avec le sauvetage de Kevin. Son naufrage a été un gros choc émotionnel pour nous tous. Comme d’autres, j’ai eu du mal à me remettre à fond dans la course. Ensuite, on n’a pas eu les conditions attendues, la grande houle, les grands surfs... Cela a été un Sud compliqué et dur aux dires même de Jean le Cam qui en connaît un rayon ! Je me suis quand même bien amusé, c’était très tactique et la météo a finalement nivelé le potentiel de vitesse des bateaux. J’ai pu attaquer, je me sentais à l’aise. J’avais surtout très hâte de me casser de là !

Une ou plusieurs pannes de réveil ?

Une fois ! J’ai dormi six heures d’affilée juste après le cap Horn. Au réveil, je peux te dire que tu t’en veux. Premier truc : tu te jettes sur le classement… J’avais mis 40 milles de plus à Charlie Dalin ! S’ensuit un énorme petit déj, la banane aux lèvres !

Cette édition a fait la part belle aux projets qui ont eu du temps…

C’est certain. Quand j’ai acheté le bateau, Bilou m’a dit : « Ton bateau, il faut le vivre, il faut être en osmose avec lui. Va dormir à bord quand il est au port ». Avec Jean-Marie Dauris [le directeur sportif du bateau], on est partis trois mois à Cascais, au Portugal. Nous étions trois projets Vendée Globe, trois petits budgets à partir nous entraîner là-bas sous la férule de Bilou. On a beaucoup bossé, beaucoup vécu à bord, et ce fut la clé de notre réussite. Un gros budget, un bateau neuf nécessiten­t une longue mise au point qui empêche parfois de naviguer autant qu’il faudrait.

Yannick, le matin du départ, on t’a vu embrasser le trophée du Vendée Globe… Imaginais-tu qu’il puisse être à toi ?

Je descends seul la passerelle et le trophée est là, sous sa vitrine, il n’y a quasiment personne autour. Je l’ai embrassé comme on embrasse une fille avant de partir (rires).

Je me souviens aussi d’un truc de dingue : le regard que me lance Armel [Le Cléac’h] quand je lui dis au revoir. Droit dans les yeux ! J’ai ressenti quelque chose. Pendant la course, j’y ai souvent pensé et je me disais : « S’il m’a regardé comme ça, c’est que je peux gagner ! » J’aimerais bien lui en reparler à l’occasion.

Avec quel bateau partirais-tu en croisière en famille ?

Je l’ai beaucoup fait en monocoque mais il y a deux multicoque­s de série qui me plaisent beaucoup, rapides et confortabl­es : les Neel et les TS [ORC] de chez Marsaudon. Même en croisière, je n’aime pas me traîner en mer. J’aime assez l’idée d’arriver vite au mouillage pour profiter de l’apéro !

A bord de quel bateau poserais-tu ton sac pour une expérience nouvelle ?

Une belle frégate comme celle-là ! J’aime bien « les commodes Louis XV » ! J’ai navigué une fois sur l’ancien bateau d’Errol Flynn, j’ai adoré.

Un projet, une cause qui te tient à coeur ?

La transmissi­on. J’aimerais que nous ayons de vraies infrastruc­tures à La Rochelle, qui a été pendant longtemps la capitale de la course au large. Nous avons une carte à jouer. J’ai eu la chance d’aller m’entraîner au pôle Course au large de Port-la-Forêt, où les coaches ont su installer cette pédagogie d’excellence basée sur la transparen­ce et l’émulation. Un ponton en eau libre au port de La Pallice serait un bon début et à terme, il nous faut créer un écosystème complet – dont nous avons déjà de nombreux éléments à La Rochelle. Le dossier est en tout cas rouvert, on y travaille.

Dans un autre registre, j’ai été touché à mon retour par la situation des étudiants. Sur le plateau de l’émission « C’est à Vous », j’ai vu à l’écran ces jeunes qui font la queue à la banque alimentair­e. C’est insupporta­ble. Cette rupture de lien social est potentiell­ement plus dangereuse que le virus. Je voudrais leur dire : « Tenez bon ! ».

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 ??  ?? Dans le carré de la frégate Shtandart, Yannick Bestaven a échangé avec Fabien Clauw, le père du capitaine Belmonte (chez Paulsen, ci-dessous). Deux familles de marins se rencontren­t.
Dans le carré de la frégate Shtandart, Yannick Bestaven a échangé avec Fabien Clauw, le père du capitaine Belmonte (chez Paulsen, ci-dessous). Deux familles de marins se rencontren­t.
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L’équipage du Shtandart a tenu à prendre la pose autour de Yannick à la barre de la frégate.
 ??  ?? Yannick avec Fabien Clauw à la proue du Shtandart.
Yannick avec Fabien Clauw à la proue du Shtandart.

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