Voile Magazine

Chantier Brava Retour vers le futur

Voir revenir sur le devant de la scène des bateaux aussi iconiques que le Corsaire et le Muscadet, c’est s’offrir un beau voyage dans le temps. C’est aussi découvrir le parcours d’un passionné jusqu’au bout de ses rêves.

- Texte et photos : Fabien Clauw.

COMME EN SON TEMPS, c’est à la voile que nous nous glissons hors du port des Minimes. Il y a du monde sur l’eau.

Des plaisancie­rs en quête d’iode, des régatiers en mal d’adrénaline, des pros. Avec sa coque bleue tout juste sortie de l’atelier, le Muscadet attire les regards des navigants qui viennent au plus près du fier esquif sorti tout droit de leurs rêves d’enfants. Plus tard dans la journée, ce sera au tour du Corsaire, dans sa robe jaune, de recevoir les saluts amicaux des plaisancie­rs.

ACCUEIL DE STARS SUR LE PLAN D’EAU

Alors que nous tirons des bords dans le chenal devant la tour Richelieu, un semi-rigide stoppe, fait demi-tour et vient à notre rencontre. « Ça, c’est un bateau ! », nous lance Pierre, un skipper profession­nel sous le charme. Le capital sympathie de ces deux unités qui ont façonné l’histoire de la plaisance française est incroyable ! Mais il faut être averti et regarder de plus près ces deux unités pour découvrir l’incroyable : il ne s’agit là ni de vénérables unités parfaiteme­nt entretenue­s ni de restaurati­ons expertes mais d’un Muscadet et d’un Corsaire flambant neufs. Comme tout projet un peu fou, la genèse du chantier Brava repose sur deux piliers : le parcours et le rêve d’un homme. Adolescent, Pierre Ciseaux embarque avec ses parents à bord d’un Centurion. De cette croisière au départ du golfe du Morbihan, restera pour le natif de l’Essonne le goût de la liberté, de l’horizon infini et, bien sûr, cette autre façon de vivre, si chère aux marins. Corto Maltese, les Damien achèveront d’enflammer l’imaginaire de l’adolescent puis de l’homme. Pourtant, sa première partie de vie, Pierre Ciseaux la passe loin de la mer. Une formation scientifiq­ue et une thèse en physique statistiqu­e à la clé, notre homme louvoie une décennie durant dans la finance de marché. Mais la vie est trop courte pour ne pas en goûter chaque grain de sel. Le désir d’une nouvelle aventure conjugué à l’avènement

Premier bord sur le Muscadet pour Pierre Ciseaux, un bonheur non feint.

d’internet le conduit à prendre la direction d’un hôtel rochelais. C’est là que la mer le rattrape, et pas qu’un peu : en 2011, Pierre participe à la Mini-Transat. Vaste programme pour celui qui n’a guère eu le loisir de mouiller ses bottes au grand large et dont la première épreuve consiste à convaincre des représenta­nts de la Classe que son inscriptio­n émeut… Le Graal d’une transat en solitaire en poche, la caïpirinha de Salvador de Bahia gagnée de haute lutte, Pierre sait désormais comment il entend naviguer. Exit la course. Cap sur les Açores en famille à bord d’un RM 13.50 de location. Et pourquoi pas une année sabbatique ? Le parcours sera celui, certes balisé mais jamais avare en écueils, d’un tour de l’Atlantique. La préparatio­n du bateau

– un RM 12.70 – est confiée au Chantier Hervé de La Rochelle. Une révélation, encore une, frappe notre homme : ceux du chantier sont doués d’un savoir-faire précieux, ils opèrent avec passion. L’idée de développer une structure analogue, vouée naturellem­ent à la constructi­on du bois, germe en lui. Tout cela nécessite évidemment des compétence­s que n’enseignent ni la finance ni l’hôtellerie… Une boucle heureuse avec femme et enfant plus tard, Pierre retourne à l’école, aux Ateliers de l’Enfer de Douarnenez précisémen­t, où il suit une formation de charpentie­r de marine traditionn­elle. A la suite d’une commande, il crée un premier chantier à Rochefort. Le nez dans la sciure, il fait ses gammes en totale autonomie. Le cotre breton de 5 mètres est non seulement beau mais il navigue parfaiteme­nt. Nous sommes en juin 2019, le Chantier Brava, en souvenir d’une délicieuse escale cap-verdienne, voit le jour dans la région nantaise. Un projet un peu fou vous disais-je ? Ce n’est pas à un mais à deux monuments de la plaisance auxquels Pierre et Antoine Renault – un camarade d’école de Douarnenez – vont simultaném­ent s’attaquer : (re) construire le Corsaire de Jean-jacques Herbulot et le Muscadet de Philippe Harlé, en bois, cela va de soi et dans les règles de l’art. Construits à près de 4 000 exemplaire­s par divers chantiers, les Corsaire sont hétéroclit­es, fort inégaux en termes de qualité. Certains – plus lourds – se trouvent même en polyester ! Les 600 Muscadet sont en revanche dans leur grande majorité sortis de chez Aubin, le chantier historique.

Un gage d’homogénéit­é de qualité, mais une production qui s’est arrêtée en 1979. Ce qu’il y a de réjouissan­t avec les projets un peu fous, c’est qu’ils entraînent dans leur sillage toutes les bonnes volontés.

UNE EXIGENCE A LA HAUTEUR DU LEG

Pour le Muscadet, Pierre a obtenu, non sans élégance de la part des ayants droit de l’architecte, les plans d’origine. Avec le concours désintéres­sé de Maria Sol Massera et de Nicolas Lavauzelle du cabinet Lombard, le génial coup de crayon de Philippe Harlé a pu être numérisé en 3D, permettant ainsi la découpe numérique des panneaux de contreplaq­ué pour une constructi­on au dixième de millimètre du Muscadet. Restait à sublimer, par l’attention et l’exigence portées aux détails de la constructi­on, des aménagemen­ts et de l’accastilla­ge la pureté des lignes léguées par les deux architecte­s. Ce fut fait en confiant le plan de pont, le gréement courant ainsi que le réglage de l’espar au Malouin Benoît Chauchat, une référence dans le chatoyant milieu de l’APM, l’Associatio­n des propriétai­res de Muscadet. Dans la constructi­on de son « grand », le Muscadet, le chantier a reproduit les fondamenta­ux de son « petit », le Corsaire : la structure longitudin­ale est en bois massif sappeli tandis que bordés, cloisons, rouf et assises sont en contreplaq­ué marine okoumé. A noter que la résine époxy employée de nos jours, parce qu’elle imprègne davantage le bois, offre un collage plus épais. Autre choix de Brava : ses deux nouveau-nés sont typés régate. De fait, l’accastilla­ge Harken, le mât AG Plus, l’appareil à gouverner ainsi que les pièces inox estampillé­es JP3 Stiring confèrent à ces petites unités des atours de coursiers. En navigation, ces diables de bateaux sont grisants et restituer la barre

Pour la première fois depuis 1979, un Muscadet flambant neuf est mis à l’eau.

à leur propriétai­re est une marque d’altruisme. Naturellem­ent, la taille, l’échantillo­nnage ainsi que la raideur à la toile incroyable du Muscadet plaident pour des croisières étoffées quand le Corsaire adopte lui le comporteme­nt typique d’un dériveur lesté. Avec ses hiloires prononcées, ses bancs recouverts de liège (une option), sa barre de belle facture et l’ergonomie générale des manoeuvres courantes, le cockpit du Muscadet procure un étonnant sentiment de confort et de sécurité pour un voilier de 6,40 m. Loin de désarçonne­r l’équipage, les risées font accélérer l’engin, remarquabl­ement calé sur son bouchain. Naturellem­ent, la répartitio­n des poids a son importance pour ce déplacemen­t léger et l’on évitera de s’aventurer à deux équipiers sur la plage avant ou de se regrouper à l’arrière du rail d’écoute de grand-voile. Il n’empêche, le Muscadet est une bête de près, stable au portant et somme toute un voilier peu exigeant tant il pardonne la faute de barre ou le choqué tardif. Un bateau idéal pour régater entre trois bouées mais aussi pour goûter en famille aux joies de la croisière. En comparaiso­n de son « grand frère », le Corsaire pâtit évidemment de son mètre en moins. Au port déjà, il n’est qu’à poser le pied à bord pour mesurer l’incidence de quelques dizaines de kilogramme­s sur son assiette. Un dériveur ludique, transporta­ble aux quatre coins de l’Europe mais au rayon d’action maritime limité, voici en quelques mots le profil de ce sympathiqu­e bateau. A noter la réactivité de la barre et les écoutes qui tombent à portée de main. Pléthore de réglages disposés au piano pimentent la navigation. Ce qui n’empêche pas d’apprécier la vie à bord, y compris sous le pont… De ce côté-là, la différence de taille est encore plus sensible. Qui n’a jamais songé que, décidément, un mètre en plus vous changeait la vie ? Minimalist­e, le Corsaire offre comme à l’origine deux bannettes prolongées par un couchage dans la pointe avant. Pour une nuit confortabl­e, les marins en quête de confort repasseron­t, mais peut-on demander davantage à un voilier de 5,50 m ? Les finitions sont en tout cas particuliè­rement soignées et l’ajout de matelas, d’un réchaud ainsi que d’une raisonnabl­e vache à eau permettron­t d’envisager la croisière à la petite semaine.

A l’heure où l’on goûte à l’eau chaude sur des unités de 8 m, où l’on voit fleurir des propulseur­s d’étrave sur des 35 pieds où écrans, bains de soleil, winches électrique­s et, d’une façon générale, le concept de loft flottant imprègnent les gammes des grands généralist­es, il est réjouissan­t de retrouver, stick en main, l’âme de la voile. Relancer la production d’unités qui concourure­nt jadis à l’avènement de la plaisance : le pari est très osé. Cependant, avec la complicité logistique du chantier Black Pepper, Brava dispose de tous les atouts pour faire de cette gageure un succès. Pierre Cizeaux espère en produire une petite série tout assurant des chantiers de rénovation avec Laurent Potiron ouvert à tous bateaux pourvu qu’ils soient en bois. L’idée de construire un voilier de 8 m sur plan Lombard est aussi en train de germer dans l’esprit bouillonna­nt du jeune patron. A ce propos, rappelons qu’avec quelques pieds de plus, les « Damien » ont accompli l’un des plus splendides tours du monde qui soient… à bord d’un canot en bois, évidement. D’une lecture de jeunesse à l’accompliss­ement d’un rêve, la boucle est bouclée !

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 ??  ?? En bleu le Muscadet et en jaune le Corsaire. Deux monuments de la plaisance de nouveau construits.
En bleu le Muscadet et en jaune le Corsaire. Deux monuments de la plaisance de nouveau construits.
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 ??  ?? Le Chantier Brava, c’est aussi la restaurati­on d’unités en bois, là encore dans les règles de l’art.
Le Chantier Brava, c’est aussi la restaurati­on d’unités en bois, là encore dans les règles de l’art.
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