Les Glénans Ecole de voile, de vie et d’écologie
Le centre s’inscrit dans un site unique au monde. Avant même que l’écologie soit un sujet, la vie en autarcie sur l’archipel a sensibilisé des centaines de stagiaires à la préservation des ressources. L’originalité du quotidien aux Glénans est aujourd’hui une force pour que les apprentis marins deviennent des plaisanciers responsables.
LE TEMPS EST CLAIR et ensoleillé, la mer est calme et le trajet dure environ 1h15 pour couvrir les 10 milles nautiques qui séparent l’archipel de Concarneau. Jean-Michel est à la barre d’un drôle de bateau de livraison. A 61 ans, il est patron de liaison bénévole pour l’école de voile des Glénans, et comme chaque été il fait les navettes entre le continent et l’archipel de Glénan à l’entrée de la baie de Concarneau, Finistère Sud. Sur ce bateau en bois de 12,50 mètres de long, il ravitaille trois fois par semaine en eau potable et en nourriture les cantines de l’école, réparties sur les îles Bananec, Penfret et Drénec (Fort Cigogne, en travaux, étant fermée). Aujourd’hui, c’est le jour des emballages et la mission consiste à collecter et à ramener sur le continent les déchets et les contenants vides tels que bonbonnes d’eau, caisses et glacières. Gwenael Croq fait également partie du voyage. Responsable intendance et logistique depuis 1992, il est venu inspecter les cuisines de l’archipel. Gwen rappelle qu’en haute saison, les îles préparent 900 repas par jour.
« Ça équivaut à une belle cuisine de collège-lycée », et pour décharger les 4,5 tonnes de marchandises livrées à chaque voyage, cela peut devenir un véritable casse-tête. « Il n’y a pas de quai, pas de port et certaines îles ne sont pas accessibles à marée basse ! » Dans un environnement insulaire, sans eau courante ni électricité, accueillir près de 450 personnes chaque semaine relève de la mission impossible.
« On part avec beaucoup de handicap, reconnaît Gwen, mais c’est ce qui fait le charme du boulot ». En plus, pour l’élaboration des menus il faut jongler entre les nouvelles tendances moins carnées, un budget serré et des apports nutritionnels à respecter : « Impossible de réduire les quantités, l’activité est rude, il faut que les stagiaires mangent ».
Sensible aux requêtes exprimées par les stagiaires en fin de séjour, Gwen a voulu basculer vers le commerce local et responsable, même si cela est plus coûteux : « Le pot de yaourt est trois fois plus cher que le yaourt classique », rappelle-t-il. Malheureusement, la crise sanitaire Covid a mis en stand-by cette belle initiative :
« On cumulait le bio et le local, c’était super ! Malheureusement, on a dû revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire essayer de dépenser le moins possible. Pour moi, c’est un peu un échec ». Mais il peut être fier d’une autre de ses initiatives couronnée de succès.
Il y a deux ans, Gwen a remplacé les packs d’eau en bouteille par des bonbonnes de 20 l consignées : « A l’origine du changement, on a voulu prendre conscience de la quantité de déchets plastiques produits en additionnant le poids des bouteilles avec leur bouchon et le film d’emballage du pack. On est arrivés à un chiffre effrayant ! » Désormais, 36 palettes sont acheminées chaque semaine depuis l’Oise : « Il n’y a pas de source capable de livrer de la bonbonne en Bretagne, donc on va la chercher plus loin ». Alors, malgré cette solution « zéro déchet », Gwen n’est pas entièrement satisfait. « Ce n’est pas idéal, c’est plus cher à cause du transport, mais l’image est très positive auprès des stagiaires ». Une fois acheminée sur les îles, cette eau précieuse ne sert qu’à la boisson, pas question de laver les sols avec ! L’eau servant au ménage mais aussi à la douche et à la vaisselle est pompée dans la nappe phréatique. Une eau saumâtre, un peu plus salée en fin de saison lorsque la pluie s’est fait oublier, impropre à la consommation. Les cuisines ont recours à l’eau de pluie récupérée sur les toits des bâtiments puis stockée et traitée. Quant à l’énergie nécessaire pour le pompage et le traitement de l’eau, elle est produite par des panneaux photovoltaïques, puis stockée dans des batteries. Si la consommation quotidienne d’un Français avoisine 150 litres d’eau, sur les îles, la consommation totale doit être adaptée à ce que la nature est capable de fournir. Si des panneaux d’affichage rappellent aux stagiaires comment est produite l’eau douce sur l’archipel, la pédagogie passe par la pratique. « Avant, on allumait le robinet et ça coulait, donc on n’avait pas vraiment de notion de la quantité d’eau dépensée », se souvient Emilie, monitrice de voile depuis dix ans sur l’archipel. Mais les douches ont adopté une pompe à pied et à un seau de 10 litres. « Maintenant, on sait que l’on remplit un seau – ou comme en ce moment plutôt un demi-seau, car il y a pénurie d’eau – et c’est largement suffisant, même avec les cheveux longs ! ». Côté électricité, les postes énergivores sont le pompage et le traitement de l’eau.
Pour les stagiaires, il n’y a pas de restrictions spécifiques, si ce n’est que les prises sont limitées à 2 ampères. C’est insuffisant pour un sèche-cheveux, mais c’est assez pour recharger un smartphone ou une tablette. Les stagiaires sont simplement invités à les mettre en veille ou à les éteindre lors des navigations afin de pas avoir à les recharger tous les jours, car les smartphones « consomment plus que les petits Nokia qui duraient une semaine avec une seule charge ! » se souvient encore Emilie.
LES STAGIAIRES SONT D’ABORD SURPRIS
Le premier moment de surprise passé, les stagiaires s’accommodent plus ou moins de cette vie spartiate. Certains adoptent totalement cette déconnexion. C’est le cas d’Alexandre, 25 ans, séduit par un premier stage sur l’île de Drénec en 2018. « Chez moi, j’ai le confort fois dix, alors ça fait du bien de revenir à des choses essentielles : se nourrir, se laver, dormir… le tout dans un milieu aussi naturel et protégé, c’est une grande chance ». La déconnexion n’est pas que numérique ! A leur réveil, tous les stagiaires ouvrent les yeux sur l’horizon depuis les grandes tentes dortoirs avec vue sur la mer. Cet horizon, ils ne le quittent pas des yeux de la journée, les pieds sur leur planche à voile, en kite ou au rappel sur leur catamaran, leur dériveur. Et si le soleil est au rendez-vous, c’est une mer bleu turquoise qui offre un paysage
de carte postale. « Un petit paradis » comme le décrit Elodie, 30 ans, bénévole depuis neuf ans aux Glénans. Elle apprécie « le côté très nature, où l’on doit vivre dehors et avec les autres ». Elle voit dans cette mise à nu sur le confort matériel un bon point de départ pour la vie en mer, que ce soit en croisière ou en régate. Elodie va même plus loin :
« Sur la terre ferme, l’eau et l’électricité, ça paraît illimité… Avant de découvrir l’archipel, j’adhérais déjà à certaines valeurs, mais depuis que je connais les Glénans, j’ai changé mes habitudes. Je consomme local et j’essaie de réduire mes déchets, de limiter le gaspillage d’eau et d’énergie. Indirectement, les Glénans m’ont aidé à passer à l’acte ». Les contraintes liées à l’insularité de ce site exceptionnel et préservé seraient-elles une opportunité pour sensibiliser à l’environnement ? Matthieu Valette, chargé de mission développement durable et patrimoine aux Glénans, en est convaincu : « Il faut se servir de l’archipel pour sensibiliser les générations futures. Le protéger, le cadrer. Si demain, on a 1 % des gamins qui, en rentrant, disent à leurs parents qu’il faut faire un compost, qu’il faut se doucher avec 10 litres d’eau et se nourrir local, c’est gagné ! Du moins à notre échelle ».
Car chaque année, ce sont 14 000 adhérents qui font un stage de voile sur l’une des bases nautiques Glénans, dont 3 500 sur l’archipel. Au total, 450 000 plaisanciers ont été formés par l’école depuis sa création. « On forme les marins de demain et on a un rôle à jouer dans l’éducation et la sensibilisation », poursuit
Matthieu. Une responsabilité formalisée en 2014, suite à une réflexion sur la stratégie à venir et le besoin de renouer avec l’ADN de l’association dont le slogan rappelle les trois piliers fondamentaux : école de voile, école de vie, école de mer. La volonté de transmettre et de sensibiliser ses adhérents aux questions environnementales a toujours été là, mais les difficultés financières traversées par l’école dans les années 1980 l’ont conduite à se recentrer sur l’activité voile. « La différence entre aujourd’hui et avant, c’est qu’on les faisait vivre sans mettre de mots dessus.
L’ENVIRONNEMENT AU COEUR DE LA FORMATION
Dorénavant, il n’y a pas un stagiaire qui reparte des Glénans sans avoir entendu parler de l’environnement marin, de développement durable et de ce qu’il est possible de faire chez soi ». Cela n’empêche pas Matthieu de se souvenir : « La notion du respect de l’environnement dans les années 1980 n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui… Moi, quand j’ai découvert les îles dans les années 1990, on jetait les boîtes de conserve à la mer. Aujourd’hui, la question ne se pose même plus ». Et les préoccupations d’aujourd’hui ne seront sûrement pas les mêmes demain. « Nous ne sommes pas exemplaires mais ce n’est pas grave. Ce qui serait grave, ça serait de ne pas vouloir l’être ! Le nautisme et la plaisance ont un impact écologique, à nous de minimiser notre impact d’occupation de sites. » Car l’école, propriétaire d’une partie des îles de l’archipel, s’implique dans la préservation des espèces et des espaces naturels sur son territoire. Armée d’un mètre et d’une paire de jumelles, Céline Hauzy, chargée de mission environnement, est venue prendre les mesures pour un projet d’aménagement des dunes grises menacées par l’érosion. Leur conservation est jugée prioritaire par Natura 2000. L’engagement environnemental du centre n’est pas nouveau : les fondateurs, Hélène et Philippe Vianney ont été précurseurs en oeuvrant pour la protection de l’archipel de Glénan qui, dès 1973, devient un site naturel classé afin de canaliser le développement touristique et limiter les constructions. Les personnes ayant des comportements néfastes pour les milieux naturels le font généralement par méconnaissance de la nature, alors Céline fait de la pédagogie. « En vivant des moments sympathiques et ludiques, en cueillant des algues dont on fera un tartare, en observant les oiseaux, on change la perception des îles par les stagiaires et les bénévoles. Tous vont ensuite naturellement changer leurs comportements. En pleine crise environnementale (changement climatique, crise de la biodiversité), c’est essentiel pour une école de voile aussi connue ». Alors, pour mieux sensibiliser les adhérents, Céline a travaillé sur la rédaction de guides disponibles gratuitement sur leur site internet que chaque nouveau moniteur est encouragé à lire dans le cadre de sa formation. Quant aux stagiaires, ils se voient proposer dorénavant des séances « découvertes » encadrées par des animateurs formés sur le sujet. Ceux qui aimeraient aller plus loin peuvent suivre un « stage environnement ». Pour autant sur le terrain, beaucoup reste à faire ! La mission de Céline et Matthieu paraît sans fin : tests de mouillages écologiques, rénovation des protections des dunes, développement de systèmes de traitement d’eau, d’assainissement… Or les conditions sur l’archipel ne leur facilitent pas la tâche. « On cumule toutes les contraintes en termes d’urbanisme, de saisonnalité, de limites fixées par le manque d’énergie, de moyens financiers, technologiques et logistiques ! On doit innover pour tout, car il n’y a rien qui existe clef en main pour nous », rappelle Matthieu. L’idée serait justement de se servir de cette contrainte comme d’une opportunité : « Tout ce que l’on développe pourra être transposé ailleurs ». En ouvrant l’archipel à la recherche et aux tests de nouveaux procédés, les Glénans renouent avec l’esprit d’origine de ses créateurs, précurseur. Et si l’archipel n’était qu’un catalyseur où l’homme devait innover pour cohabiter harmonieusement avec la nature souveraine? Et si la voile n’était qu’un prétexte à l’innovation technique et sociale ? Devant l’engagement de ces acteurs pour faire bouger très modestement le monde, l’archipel de Glenans semble avoir de beaux jours devant lui…