Voile Magazine

« L’Armen des potes »

- Texte et photos : Paul Gury.

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On a embarqué sur « L’Armen des potes », une course informelle inventée suite à l’annulation des régates en IRC. Notre monture, un vaillant J/105, s’est lancée à l’assaut d’un parcours de 160 milles venté et agité.

CAP MARTINIQUE

reportée à 2022, Spi Ouest France déplacé à octobre et Armen Race tout simplement annulée, les fanas de la course en IRC se devaient de réagir. D’où cette bonne idée de lancer de façon officieuse, pendant le week-end de l’Ascension, une « Armen des potes » ouverte aux doubles comme aux solitaires. Un groupe WhatsApp, lancé par Ludovic Menahes et Thomas Bonnier, un parcours de 160 milles entre les Birvideaux, un canal VHF et des bouées fictives positionné­es au large de la Bretagne Sud, voilà pour l’organisati­on. Les cadors du circuit en pleine préparatio­n de la Transquadr­a qui s’élancera en août prochain ont répondu présents, à l’image de Jean-Pierre Kelbert sur son fidèle Léon (un JPK 10.30), Olivier Burgaud ou encore François Moriceau sur Mary. Conclusion, dans cette flotte de trente bateaux, il y a du niveau et des voiliers bien préparés. Pour nous, il s’agit avant tout d’engranger de l’expérience au large au contact des

« bons » et de prendre du plaisir ! Rendez-vous est donné à 13h30 au sud immédiat du plateau des Birvideaux, zone de hauts-fonds située entre Groix et Belle-Ile, qui servira de point de ralliement et de zone de départ pour les différente­s flottes basées à Lorient, La Trinité-sur-Mer et le Crouesty. Le temps franchemen­t infect depuis quelques jours

– des perturbati­ons se succèdent comme en automne – promet de s’assagir quelque peu pendant deux jours. Si le vent d’ouest-nordouest est annoncé entre 20 et 25 noeuds, la houle, elle, reste forte ! Nous profitons du convoyage pour manger, nous reposer, lancer quelques routages sur Sailgrib et surtout préserver nos forces en vue de la nuit hostile qui nous attend.

Quand nous arrivons sur les Birvideaux, des grains nous accueillen­t dans une atmosphère sauvage ; la longue houle de l’Atlantique vient gentiment déferler sur le nord du plateau. Rien de dangereux mais le décor est planté : on va en prendre plein les cirés…

Après un départ au lièvre quelque peu déconcerta­nt pour les non-initiés, la cavalcade commence bâbord amure. Il s’agit de faire cap au nord-ouest en attendant une adonnante pour aller chercher une première marque située à 30 milles dans l’ouest-sud-ouest de la zone de départ (voir carte). Un premier bord obligatoir­e avant de virer la « layline » et de laisser la bouée n°1 à tribord. Un peu rouillés, nous tardons à mettre du charbon tandis que la tête de flotte creuse déjà l’écart. Pour nous refaire, nous décidons de virer de bord avant tout le monde. Sur notre nouvelle amure, face à la mer et au près serré, les conditions se corsent : des murs d’eau nous submergent à plusieurs reprises et le nerf de chute de génois commence à faire des siennes. Après moult acrobaties, accroché à la ligne de vie au vent, je parviens à résoudre le problème mais au prix de plusieurs lessivages intégraux. Ereinté et trempé malgré mon ciré, je pars me changer à l’intérieur.

Or je constate avec effroi que mes affaires

– sac de couchage compris – sont gorgées d’eau de mer. Une bien mauvaise nouvelle quand on sait qu’il reste la fin de la journée et une partie de la nuit à faire avant d’atteindre la bouée n°2 libératric­e, synonyme de portant… En effet, des litres d’eau se baladent à l’arrière du bateau suite à la rupture des membranes de baffles de cockpit. A chaque vague, c’est une véritable cascade qui jaillit à bord. Avec un seau, j’en évacue un maximum avant de tenter une réparation de fortune

au Grey Tape. Armé de mon petit rouleau de scotch, je tente un collage tout en étant ballotté par les mouvements de la Grande Jinette qui tape dans la mer. Dans le coqueron arrière bâbord, c’est l’enfer ! Dehors, le capitaine sanglé à la ligne de vie affronte les éléments, imperturba­ble, la main ferme sur la barre à roue tandis que les appels VHF des concurrent­s se succèdent pour prévenir les organisate­urs de leurs abandons.

LE MAL DE MER FAIT DES RAVAGES DANS LA FLOTTE

Le mal de mer et les avaries font des ravages dans une flotte pourtant composée de voiliers et de marins affûtés. Il faut dire que les conditions sont particuliè­rement hostiles avec cette mer mal rangée et ce vent gelé pour un mois de mai. A bord, les réglages sont minimalist­es, idem pour la stratégie qui se résume bientôt à tenir le coup !

J’ai alors une grosse pensée pour les figaristes qui s’infligent plusieurs jours de suite des moments tellement plus durs à bord de leurs machines surpuissan­tes et humides. Ces mecs sont définitive­ment de sacrés marins ! Alors que nous passons enfin la première marque, pas très loin du paquet de tête, nous en profitons pour tenter un « saucisse lentilles » réparateur. L’estomac plein, nous voilà parés à affronter, toujours au près, les 55 milles restants jusqu’à la marque située à la longitude du raz de Sein.

Les quarts s’enchaînent, toujours avec une gîte prononcée tandis que de nouvelles infiltrati­ons d’eau font bientôt leur apparition via le capot de descente. J’avoue alors maudire le petit franc-bord du J/105, bateau certes marin et résistant mais qui ressemble quand même beaucoup à un gros J/80… Tandis que je dois prendre la relève vers 1 heure du matin – peu pressé il est vrai d’affronter l’extérieur – le skipper m’apprend que le pilote et tous les instrument­s sont tombés en panne suite à des chocs à répétition dans une série de grosses vagues. C’est la tuile car sans repère dans cette nuit sans lune, en double de surcroît et avec cette mer pas franchemen­t facile à manier, envoyer le spi semble bien audacieux. La mort dans l’âme, à une grosse heure de la délivrance, nous décidons finalement à notre tour de jeter l’éponge et de rentrer sous GV pour rejoindre notre port d’attache. Commence alors pour moi un quart de fin de nuit accompagné d’un ciel étoilé magique, poussé par la grosse houle du large dont je garde un souvenir ému. Avec la boussole comme seul jalon, je tâche de garder le cap en slalomant entre les innombrabl­es chalutiers en pêche sur le plateau continenta­l. Bientôt, les faisceaux lointains des phares de Groix et Belle-Ile puis le soleil levant accompagne­nt notre retour vers la terre. Terre promise que nous toucherons le lendemain sur les coups de 10 heures du matin. Fatigués, un peu déçus mais heureux quand même d’avoir vécu ces moments uniques, nous apprenons que sur les trente voiliers en lice, seulement seize bateaux ont fini la course. Et devinez qui termine deuxième en temps réel et premier des solitaires, un certain JPK. Chapeau Mister Kelbert et encore bravo à tous !

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Avec cet angle de gîte important et la mer de face, l’équipage doit s’accrocher.
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Le skipper de la Grande Jinette affronte les vagues et le froid sans broncher !

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