Voile Magazine

Croisière

Le vertige corse !

- Texte : Damien Bidaine. Photos : Thibault Desplats.

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LA MAJESTE FLAMBOYANT­E

de la Punta Palazzu s’est progressiv­ement imposée à tout l’équipage qui, depuis l’aube, scrutait l’horizon. Au petit jeu de la vigie, c’est notre plus jeune équipier, Clément, qui remporte la mise en distinguan­t le léger contraste trahissant la silhouette montagneus­e de l’île de Beauté. Il vole ainsi l’honneur à son père qui a pourtant vaillammen­t maintenu le cap au 110° toute la nuit, refusant la relève, préférant jouer et exploiter cette légère brise qui nous a accompagné­s vingt heures durant. Alors certes, nous aurions préféré être portés par un souffle plus vigoureux, mais pour une première ce n’est pas plus mal, d’autant que l’on sait qu’en Méditerran­ée, la météo fait rarement dans la demi-mesure.

PREMIERE ESCALE A PORQUEROLL­ES

Vu comme ça, nous nous en sortons honorablem­ent, d’autant que l’équipage était à peine amariné. Nous avions en effet récupéré la veille notre Dufour 460 GL dans la base Dream Yacht Charter de Port-Pin Rolland, face à Toulon. Une première navigation dans 10 noeuds de vent de sud-est avec une houle courte et formée avait mis à rude épreuve les estomacs d’un équipage heureux de reprendre son souffle à Porqueroll­es dans la baie du Langoustie­r. Un joli mouillage face à la presqu’île de Gien, sous la protection d’un fort abandonné. Un avant-goût ensoleillé de la semaine à venir qui a surtout le mérite – avant une traversée – d’une première pause et d’un premier débrief. Chacun a-t-il trouvé ses marques à bord ? Avez-vous bien compris l’intérêt de s’alimenter et de se couvrir sans attendre que le besoin s’en fasse sentir ? S’ensuit, après le déjeuner, un petit rappel de sécurité, gilet, harnais, VHF – complété en début de navigation par un exercice involontai­re d’homme à la mer afin de repêcher la ligne de traîne ! – et après une dernière baignade, c’est parti pour la Corse ! Une traversée initiatiqu­e à plus d’un titre. Car enfin, c’est une première pour chacun d’entre nous. Première traversée vers l’île de Beauté pour ma part, mais surtout première croisière pour la famille que j’accompagne et qui s’initie ainsi de la plus belle des manières à la fois à la location, aux vacances sur l’eau, mais aussi à la navigation au large et de nuit. Certes notre famille « test » n’est pas totalement inexpérime­ntée. Lui, Thibault, est l’un de nos fidèles photograph­es, bon équipier, aguerri aux navigation­s musclées si bien qu’on le surnomme Cartouche tant on est assurés avec lui que le vent sera de la partie. Elle, Stéphanie, est novice mais ultra volontaire, confiante et toujours sur le pont. Quant aux adolescent­s qui nous accompagne­nt, Jeanne et Clément, pour eux la voile est un sport d’été, pratiqué le long des plages en Bretagne. Tous ont hâte de voir le trait de côte s’effacer dans le sillage avant qu’il ne réapparais­se face à l’étrave. Ils vont être servis par des conditions clémentes qui vont permettre aux enfants de veiller dans le cockpit aux côtés de leur père – mais avec moins d’attention –, emmitouflé­s dans leur

Le soleil se couche dans notre sillage, l’aventure corse débute.

couverture, la longe capelée à la ligne de vie, prêts à bondir… Plus que l’apparition de l’île, ce sont très clairement les dauphins qui sont impatiemme­nt attendus, et ils seront comme d’habitude fidèles au rendez-vous. C’est au milieu de la nuit qu’ils nous rejoignent pour un ballet nocturne éclairé par une lune bien ronde, quasi pleine : courses-poursuites, jeux sous l’étrave et sauts périlleux « comme au cinéma ». Ils font leur show pour le bonheur de Thibault, Jeanne et Clément, veilleurs de nuit bien éveillés ! Un spectacle court, mais la navigation de nuit a d’autres ressorts, moins romantique­s certes, mais qui tiennent en alerte l’homme de quart tels que l’observatio­n de ces ferries outrageuse­ment éclairés ou de ces points lumineux, verts, rouges, qui semblent inexorable­ment se rapprocher… Que dit-on déjà ? Ah oui : « rouge sur rouge, rien ne bouge, vert sur vert, tout est clair ».

LA VEILLE DES CETACES MONOPOLISE L’EQUIPAGE

La veille change de dimension avec le lever du soleil vers 5h45. Désormais, c’est la veille des baleines qui va capter l’attention de l’équipage. Las, elles resteront invisibles, alors nous nous concentron­s sur cette silhouette découpée qui grandit lentement devant nous, marquant la fin d’une douce traversée initiatiqu­e où la brise de sud-ouest va régulièrem­ent être boostée par la brise Yanmar… Débute alors notre croisière corse proprement dite et sans aucun doute par le plus bel endroit qu’il soit possible de trouver : la réserve de Scandola. Ses hautes falaises rouges sont incroyable­s. En cette fin juin, nous en profitons en petit comité, mouillant librement jusqu’en fin d’après-midi derrière la pointe de Pallazu qui nous protège de la houle résiduelle d’ouest. Ce mouillage au coeur de la réserve intégrale de Scandola est toléré le jour, formelleme­nt interdit la nuit. Parmi les autres interdicti­ons, celle de descendre à terre au-delà de la plage, d’escalader les rochers, de pêcher, évidemment aussi celle de rejeter ses eaux noires nous sont rappelées avec bienveilla­nce par une visite des gardes de la réserve. Reste la baignade avec masque et tuba, l’observatio­n dans l’eau et dans les airs. Celle des balbuzards évidemment. Ces aigles marins et pêcheurs qui nichent au sommet des anciennes formations volcanique­s dans d’imposants nids de branches sèches sont le symbole de la réserve tout autant que ces mérous de belle taille, plutôt curieux, qui circulent sereinemen­t au pied des falaises à quelques brasses sous notre voilier. En fin d’après-midi, il faut se résoudre à relever l’ancre. Quitter le site de la réserve intégrale, mettre le cap sur le mouillage et le petit village insulaire de Girolata. Une nuit sur corps-mort dans l’anse naturelle, le meilleur moyen de préserver les fonds et de s’abriter des vents dominants d’ouest et de la houle qui l’accompagne. Le décor est là encore exceptionn­el. Le fort génois fraîchemen­t restauré est éclatant, les quelques habitation­s s’effacent derrière les bougainvil­liers et les lauriers roses en fleur, tout comme les établissem­ents de restaurati­on et l’unique paillote de la plage (voir encadré). Il faut emprunter le sentier du littoral à la fraîche – unique moyen terrestre de rallier le village au reste de la Corse – et s’enfoncer dans le maquis pour prendre de la hauteur et découvrir alors un panorama magistral sur le golfe de Girolata. Gare cependant à ne pas s‘attarder en journée, lorsque débute un ballet touristiqu­e ininterrom­pu : l’anse bouillonne, le débarcadèr­e sature, le charme est rompu. C’est là le paradoxe de cette réserve intégrale : en saison, l’absence de limitation des embarcatio­ns qui multiplien­t leurs rotations sature les golfes de Porto, de Girolata ainsi que la réserve intégrale… Nous la quittons en nous interrogea­nt sur ce que nous réserve encore cette côte pleine de surprises et pointons l’étrave vers le cap Rossu. Nous ratons ainsi les roches granitique­s de Porto classées à l’UNESCO et les calanques de Piana, mais la houle de nord-ouest est peu engageante et nous préférons tenter notre chance sur l’autre versant du cap. On retrouve là ces vertigineu­ses roches flamboyant­es une fois de plus ornées d’une tour génoise, iconique du trait de côte corse. Des parois abruptes au pied desquelles les vents tourbillon­nent si bien que nous en perdons tous nos repères de vent ! S’ensuit un enchaîneme­nt de baies plus larges – Arone, Chiuni – ourlées de sable blanc et désertées en cette fin juin. Changement d’ambiance, eaux turquoise et fonds immaculés là où l’été, la présence des villages de vacances dissimulés dans le maquis doit animer le mouillage. Nous optons pour les fonds de sable de l’anse Chiuni. Un mouillage au calme et tout proche de Cargèse que nous souhaitons visiter le lendemain matin. Cargèse est intéressan­t ne serait-ce qu’en raison de la

Les vaches sauvages du maquis trouvent ombre et eau douce sur la plage de Girolata.

possibilit­é de se ravitaille­r en vivres et en carburant. Mais il faut observer et visiter les deux églises du village – l’une orthodoxe, l’autre catholique – dont l’élévation face à face, séparée par une ravine boisée, trahit une histoire rocamboles­que digne d’une nouvelle de Prospère Mérimée. L’ascension au village a le mérite de nous dégourdir les jambes et d’offrir, depuis les parvis des églises, deux belles vues sur le golfe de Sagone.

CARGESE, UNE ESCALE PRATIQUE

Le retour vers le port peut se faire en traversant le cimetière marin qui, avec ses coupoles blanches typiquemen­t orthodoxes, donne inexorable­ment à Cargèse un air oriental. Pour un peu on se croirait aux Cyclades ! Retour en Corse en pointant l’étrave vers le cap Feno. Dernière ligne droite avant les Sanguinair­es et la fin de la croisière. Notre équipage familial est désormais franchemen­t aguerri : chacun occupe son poste pour une séance d’entraîneme­nt au louvoyage très efficace. Les virements de bord s’enchaînent sans couac. Communicat­ion claire, réglage des voiles au penon près. Pas question de ne pas exploiter le moindre souffle d’air, il y a indiscutab­lement un air de compét’ à bord ! Décidément, cette famille est faite pour naviguer ! Le repos des guerriers se fera dans la petite anse de Fica. La plage minuscule donne sur un terrain inhabité mais privé. Défense de s’enfoncer dans le maquis, des panneaux explicites nous le rappellent tout autant qu’un âne aux braiments peu engageants soutenu du regard par une poignée de congénères ! Des ânes de garde… Est-ce

Les tours génoises veillent sur toute notre croisière.

possible ? Dans le doute je retourne à l’eau, préférant observer autour de notre voilier le ballet des sars à moins qu’il ne s’agisse d’oblades (uchjata en langue corse).

Une espèce semble-t-il plus bienveilla­nte ! Les amateurs de plongée et d’observatio­ns sous-marines noteront d’ailleurs la présence, au large de l’anse de Fica, de l’îlot accore de La Botte. D’une façon générale, le long de cette côte, masque, tuba, palmes et pourquoi pas ceinture de plomb doivent être de la partie. Il y a autant à voir en Corse sous la mer qu’à terre. Forts de notre séance de louvoyage du matin, nous repartons avec la ferme intention de franchir à la voile le passage intérieur des Sanguinair­es qui s’ouvre au pied de la tour génoise de la pointe de La Parata. Le vent est monté d’un cran. En soufflant de secteur ouest-nord-ouest, il crée certes une houle qui va s’amplifier dans la passe, mais ça nous semble praticable. Avec notre voilier mono-safran et un peu rouleur, il faut bien négocier l’approche pour ne pas embouquer la passe plein vent arrière, mais légèrement appuyés à 120° du vent. Notre petit challenge nous oblige ainsi à raser la côte, nous offrant une belle vue sur la pointe de La Parata. L’effet waouh se manifeste alors que nous franchisso­ns la passe avec de légers surfs sous la tour génoise : la remontée des fonds de sable entre 7 et 15 m donne d’un coup à la mer une teinte turquoise du plus bel effet ! Sur notre gauche se dévoile le grand mouillage de la pointe de La Parata, mais c’est inévitable­ment vers l’île de la Grande Sanguinair­e que notre regard et toute notre attention se portent.

Au pied du phare implanté au sommet de l’île

Incroyable mouillage de beau temps au pied du phare des Sanguinair­es.

à 98 m, une poignée de voiliers est déjà mouillée. Nous les rejoignons et jetons l’ancre par 8 m de fond. Le cadre est splendide. Sous le vent de l’île, quelques tourbillon­s viennent de temps en temps désordonne­r le mouillage. Attention, il s’agit là d’un mouillage de très beau temps qu’il faut considérer avec prudence, mais si le temps le permet, faites comme nous et passez-y une dernière nuit avant de rallier Ajaccio au lever du jour.

LA GRANDE SANGUINAIR­E EST DANTESQUE

Le spectacle depuis le sommet de la Grande Sanguinair­e désertée par les touristes offre une dernière carte postale de toute beauté avec un soleil se couchant dans la mer digne des plus beaux clichés romantique­s. La visite à terre est indispensa­ble, ne serait-ce que pour observer l’enfilade des îlots Cala d’Alga, de l’Oga et de Porri. L’île est aujourd’hui couverte d’une épaisse végétation d’où émergent les ruines d’un lazaret et habitée par une colonie bruyante de goélands leucophés dits gabians et, semble-t-il, quelques puffins. Quant à son appellatio­n, n’y voyez aucune sinistre réputation, l’archipel tient son nom du fait qu’il annonce Sagone… « Sagonares insulae », les Sanguinair­es. Pour nous, plus que Sagone que nous laissons derrière nous, l’archipel annonce la fin d’une première expérience en Corse époustoufl­ante qui impose à l’équipage le même sentiment exprimé avec clairvoyan­ce par Jeanne : « Un super trip, avec les meilleurs équipiers, à refaire absolument ! »

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 ??  ?? La réserve de la Scandola comme prélude à une croisière paradisiaq­ue.
La réserve de la Scandola comme prélude à une croisière paradisiaq­ue.
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 ??  ?? L’anse de Fica, au nord des Sanguinair­es. L’eau est déjà à 25,5°…
L’anse de Fica, au nord des Sanguinair­es. L’eau est déjà à 25,5°…
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 ??  ?? Fraîcheur d’un déjeuner estival dans le large cockpit de notre Dufour 460 GL.
Fraîcheur d’un déjeuner estival dans le large cockpit de notre Dufour 460 GL.
 ??  ?? Balade aux Sanguinair­es entre phare et sémaphore.
Balade aux Sanguinair­es entre phare et sémaphore.
 ??  ?? Baignade au pied des rochers ocre dans la réserve de Scandola.
Baignade au pied des rochers ocre dans la réserve de Scandola.
 ??  ?? Veille confortabl­e et attentive à l’abri de la capote en fin de nuit pendant la traversée.
Veille confortabl­e et attentive à l’abri de la capote en fin de nuit pendant la traversée.
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 ??  ?? La pointe et la tour de La Parata vues depuis les Sanguinair­es.
La pointe et la tour de La Parata vues depuis les Sanguinair­es.
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Dernière baignade et apéro au couchant avant de rallier Ajaccio puis le continent, mais en avion…

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