Voile Magazine

Un océan de sargasses !

- GAEL FREBOURG

Cette année 2021, lors de notre transat retour, les sargasses ont été omniprésen­tes depuis la Guadeloupe jusqu’à 600 milles nautiques des Açores, soit près de 70 % du trajet ! C’est ma quatrième transat retour à cette période, en mai/juin, mais c’est la première fois que j’en vois autant et surtout quotidienn­ement... Les sargasses étaient présentes soit sous forme de lignes fines plus ou moins continues espacées de

2 à 10 mètres, soit sous forme d’amas de 5 à 10 m2. J’ai traversé les plus grosses concentrat­ions à 200 milles des Antilles sous forme de « radeaux », chaque radeau faisant près de 1 km de long sur 500 m de large. Ils n’étaient pas faciles à éviter, j’en ai traversé à la voile en espérant ne pas me retrouver bloqué dedans. La nuit j’entendais le frottement sur la coque, je sentais le voilier ralentir et la vitesse passait brusquemen­t de 6 à 2 noeuds. Heureuseme­nt je n’ai pas eu à en traverser au moteur.

Cette triste expérience m’a donné envie de me documenter un peu sur le sujet… La sargasse est un genre d’algue brune, il en existe une dizaine d’espèces. Certaines sont fixées au sol par un thalle, d’autres vivent de façon exclusivem­ent flottante, maintenues en surface par des sphères remplies d’un gaz produit par l’algue, elles peuvent former des bancs en étant concentrée­s par les courants circulaire­s de l’Atlantique. Depuis 2011, la proliférat­ion accélère. Les chercheurs l’attribuent à la déforestat­ion et à la destructio­n des mangroves d’Amazonie ainsi qu’à une agricultur­e intensive, une utilisatio­n massive d’engrais, notamment pour le soja qui nourrit nos élevages européens. Les sols se retrouvent alors nus et lessivés par les pluies qui charrient oligoéléme­nts et engrais vers l’océan. Ces dernières années ont aussi été marquées par une intensité inédite de sable fin originaire du Sahara, poussières qui ont enrichi l’Atlantique de l’Afrique aux Antilles. A tout cela s’ajoutent le réchauffem­ent des eaux océaniques, leur acidificat­ion à cause de l’excès de CO2... C’est comme si nous avions mis sous serre l’océan et déversé plein d’engrais dedans pour que ça pousse vite. Résultat : au-delà de la mer des Sargasses, leur aire d’expansion naturelle, les sargasses colonisent de nouvelles zones en profitant des courants circulaire­s de l’Atlantique, notamment entre l’Afrique de l’Ouest et le nord de l’Amérique du Sud (au nord du fleuve Amazone) ainsi que dans le golfe du Mexique. Les échouages massifs concernent une zone qui va du nord du Brésil jusqu’à la Côte Est des Etats-Unis en passant par les Antilles et le Mexique. Ils provoquent des perturbati­ons touristiqu­es, économique­s et sanitaires – notamment par l’émission d’hydrogène sulfuré, un gaz toxique.

Les écosystème­s sont durement touchés. On retrouve dauphins et tortues morts empêtrés dans les radeaux de sargasses. Les tortues ne peuvent plus pondre sur les plages ; les mangroves sont asphyxiées, et avec elles la vie marine. Pour nous autres marins, c’est finalement bien moins grave... Les coureurs peuvent être freinés ou stoppés net dans ces nappes, à l’image des Minis 6.50 que j’ai croisés à l’approche des Antilles en 2019. En croisière, impossible de pêcher et d’utiliser un hydrogénér­ateur, les algues obligeant à remonter le tout, toutes les 10 minutes… Même chose pour l’hélice du speedo. Et faire route au moteur est pour le moins aléatoire. L’expérience des sargasses à grande échelle me laisse un sentiment d’impuissanc­e face à l’eutrophisa­tion « globale » de l’océan.

 ??  ?? La traversée de plusieurs « radeaux » de sargasses a un peu gâché la transat retour de Maud et Gaël... Très inquiétant.
La traversée de plusieurs « radeaux » de sargasses a un peu gâché la transat retour de Maud et Gaël... Très inquiétant.
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