La mer autrement
C’est l’histoire – authentique – d’un marin, un coureur qui aimait passionnément la mer, la voile et la compétition, bref, qui adorait son métier. Néanmoins, ayant eu l’occasion de réfléchir à l’impact de ses activités présentes sur notre environnement futur, à la notion d’exemplarité en course au large et aux valeurs que souhaitait, apparemment, transmettre son sponsor, il avança l’idée qu’il était possible d’améliorer le bateau actuel, d’une génération récente, plutôt que d’en construire un nouveau. Il n’était d’ailleurs pas le seul à soutenir cette approche de compétition durable. Mais son partenaire tenait absolument à construire un bateau neuf, et il se retrouva dans cette situation paradoxale de freiner cette volonté d’investissement… Puis de baisser les armes et d’accepter de lancer une nouvelle construction, tout simplement pour garder son boulot. On peut le comprendre. Cette petite fable est issue du microcosme de la course au large, mais elle nous interpelle tous. Nous journalistes au premier chef, parce que dans le cas présent le bateau neuf était moins justifié par la performance que par la visibilité. Or il faut bien le reconnaître : les nouveaux projets ont plus de place dans les médias que les anciens bateaux refités. Idem pour les bateaux de série : le numéro spécial que vous tenez en main ne fait-il pas honneur aux nouveautés qui animeront les prochains salons ? De façon générale, cette anecdote interpelle notre façon de naviguer, et au-delà notre façon de vivre. De consommer. Car de quoi est fait le bonheur d’aller en mer ? Est-il vraiment proportionnel au brillant des peintures, au carbone des espars, au design du cabinet de toilette, au nombre d’options cochées sur le bon de commande ? Sans aller jusqu’à un grand soir écologique qui soulève lui aussi pas mal de questions, on pourrait commencer par se poser les bonnes… Il n’est facile pour personne d’imaginer de nouveaux matériaux, de nouvelles motorisations. De se projeter dans une nouvelle économie nautique basée, entre autres, sur des cycles de produits plus longs, de nouveaux modes de navigation. C’est peut-être pour ça qu’en matière d’écologie, la communication, qui rapporte, prend bien souvent le pas sur les actes, qui coûtent. Mais à ce petit jeu-là, soyons clairs, on peut tous faire le compte de nos contradictions et c’est facile : elles sont criantes. Il ne s’agit pas de nous flageller mais juste de faire un petit pas de côté. Quels que soient nos élans écologiques, nous restons accros à une certaine idée de l’abondance liée, à tort ou à raison, au « monde d’avant ». Pourquoi ? Parce qu’aller au bout du raisonnement dit écolo-responsable, c’est faire un saut dans le vide. Franchir un mur mental. Honnêtement, je ne suis pas sûr d’être prêt ! Pas plus qu’un autre, en tout cas. Pourtant ce mur est d’abord dans nos têtes. Et si derrière c’était l’avenir, tout simplement ?