L’Ecole fantôme
Nombreux sommes-nous à remarquer que la langue française est un peu partout malmenée, y compris chez les gens ayant pignon sur rue, les décideurs et autres gens de médias en principe chargés de la protéger. Les plus hautes autorités de l’Etat ne font pas mieux : il n’est qu’à entendre le redoublement du sujet, spécialité de François Hollande, la syntaxe défaillante, marque de fabrique de Nicolas Sarkozy. Et pourtant, tout se passe comme si tout le monde s’en moquait. Le principal responsable de ce gâchis est ce que le philosophe Robert Redeker appelle l’Ecole ou, plutôt, ce que l’on en a fait. Il prend bien soin de mettre une majuscule tant il l’a vénère. Cela dit, l’abîme dans lequel elle est tombée, depuis le pédagogisme des années 1970, n’est pas sans provoquer chez lui des bouffées d’angoisse. Beaucoup ne veulent pas que l’Ecole joue son vrai rôle car, écrit-il, quel est le souhait contemporain ? « Que l’éducation ressemble aux médias, à Internet, à la télévision ! Qu’elle soit divertissante et que l’ennui, le pire de tous les diables, ne s’y glisse pas ! » (p. 141). Pour R. Redeker, la langue française, comme tant d’autres, n’a pas résisté au tsunami de la communication contemporaine. D’outil servant à diffuser une langue, la communication est devenue une fin, une fin qui n’a que faire de l’âme d’une nation et de sa littérature, une fin alignée sur les canons de la marchandisation contemporaine. L’Ecole et l’éducation ont à faire grandir, à élever. Pour cela, elles s’appuient sur un préalable : le loisir – et non les loisirs, autre nom du divertissement -, c’està-dire la faculté de s’extraire du temps en vue d’exhausser son âme, de permettre à l’élève d’entrer en fusion avec une culture et une histoire. Au lieu de cela, le pédagogisme oeuvre en vue de formater des sujets qui seront de bons consommateurs, les usagers formatés d’un monde « disneylandisé ». Dans ce livre sombre, R. Redeker prend le lecteur à témoin : Si le massacre de l’Ecole perdure, alors il faudra s’inquiéter de l’avenir de nos démocraties.
`Robert Redeker, L’Ecole fantôme, Desclée de Brouwer, 2016, 200 pages, 19 €