Voix du Jura

Quand la Chine pille le Jura

À Saint-Lothain, les chênes abattus récemment n’iront pas alimenter la scierie locale. Ils vont partir en Chine et parcourir 12 000 km avant de revenir sous forme de meubles ou de parquet. Un scandale dénoncé par Eric Julien, directeur d’Eurochêne.

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« Ces bois, coupés à 300 mètres de la scierie, vont faire 12 000 km et partir en Chine… » A Saint-Lothain, Eric Julien, le président d’Eurochêne, dénonce le « pillage » des bois par la Chine au détriment de la filière française, qui meurt faute de matière première. Il reste encore onze scieries de chêne dans le Jura, mais sur l’ensemble de la Franche-Comté, trois entreprise­s ont récemment fermé leurs portes : les scieries Devaux et Verdans en Haute-Saône et la scierie Chauvin /Jalley à Arcet-Senans, soit un total de cent emplois supprimés environ. « Ce n’est pourtant pas le travail qui manque, je ne refuse pas non plus de payer le bois, et si on me donne la matière première, je peux créer 30 emplois demain. »

L’ONF en ligne de mire

Qui est responsabl­e de cette situation ? Pourquoi ces grumes du Jura partent-elles en Chine au lieu d’être exploitées localement ? « C’est en grande partie dû à la politique nationale de l’ONF, qui est devenu un commerçant et a une vision court-termiste et financière que l’État laisse faire. Les coopérativ­es forestière­s, qui détiennent aussi un rôle important dans l’exploitati­on des forêts privées, font la même chose. »

Pour Eric Julien, le phénomène n’est pas récent. Mais il s’accélère et désormais, ce sont 400 000 m3 de grumes de chêne, soit plus de 25 % de la récolte, qui partent vers le sudest asiatique, de même que 200 000 m3 de hêtre, soit plus de 20 % de la production. Du coup, les prix ont augmenté de 75 % et les scieurs français ne peuvent plus acheter de lots aux ventes aux enchères publiques. « La Chine a absorbé le marché du meuble il y a 20 ans, puis celui du parquet 3 plis il y a 10 ans. Mais elle n’a pas de bois. C’est comme si 1/3 du lait ou 1/3 du raisin partaient en Chine et nous revenait ensuite sous forme de comté ou de côtes du Jura. Sur le parquet chinois, il est inscrit en gros « bois français » et en tout petit « fabriqué en Chine », c’est comme cela qu’on dupe le consommate­ur… Les Chinois sont économique­ment imbattable­s, avec des semaines de 60 heures et des salaires de 400 € par mois, sans charges sociales, sans sécurité du travail, sans normes antipollut­ion pour leurs usines. On ne peut rien faire contre eux. La décision doit donc être politique. »

Un bois issu de la forêt communale

Retour à Saint-Lothain où le bois vendu est issu de la forêt communale. Le maire aurait certaineme­nt préféré qu’il alimente la scierie locale, qui emploie 30 personnes vivant alentour, mais c’est impossible : pour la vente, il doit passer par l’ONF. Et le label « Europe » dont bénéficiai­t la parcelle n’est en rien protecteur, « car il y a une faille dans le système » : « le lot de petits diamètres a été mis en vente pour 32 000 € et retiré des enchères par l’ONF faute d’offre. Le prix de départ était 15 % trop haut par rapport à nos possibilit­és. La vente ayant été infructueu­se, le label « Europe » a été annulé pour le lot quand il a été remis en vente pour la deuxième fois et acheté 33 000 € par un trader, qui l’a revendu ensuite à une entreprise Chinoise. » Derrière, le coût de transport des grumes est insignifia­nt : « il faut compter 1 300 € de Saint-Lothain pour l’Asie via les ports d’Anvers ou de Marseille. C’est le même prix pour envoyer des copeaux vers Bordeaux ». Et Eric Julien de conclure : « Nous demandons de conserver des achats sur pied pour 75 % de notre approvisio­nnement et d’obtenir de vrais contrats pluriannue­ls pour 25 %. Nous revendiquo­ns la liberté pour les maires et les élus de choisir leur projet de territoire et de décider euxmêmes s’ils vendent les bois des forêts des collectivi­tés à une scierie locale ou bien à un exportateu­r pour la Chine au détriment de l’emploi en milieu rural ».

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 ??  ?? Eric Julien, président d’Eurochêne, très en colère devant les grumes de Saint-Lothain prêtes à partir vers la Chine.
Eric Julien, président d’Eurochêne, très en colère devant les grumes de Saint-Lothain prêtes à partir vers la Chine.

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