Le travail n’est pas une marchandise
Comme chaque semaine, le Père Dagras livre son analyse et propose un temps de réflexion autour d’un sujet d’actualité l’ayant marqué.
Les manifestations « Nuit Debout » soulevées par le projet de modiication du code du travail révèlent un mécontentement dont on ne perçoit pas clairement tous les motifs. Surtout quand la mobilisation, un temps érodée, reprend malgré des modiications portées à la loi sous la pression des revendications. Contre quoi s’insurge-t-on au juste ? Des interviews font état d’un certain flou. « On verra… Comment les choses évolueront… nous restons disponibles », déclarait au début l’un des jeunes manifestants nocturnes ! Le véritable objet de la protestation serait-il ailleurs ? Les calicots et les cris, les grèves et les débrayages, exigeant le retrait pur et simple du texte, cacheraientils un ras-le-bol plus profond, venu du marasme de jeunes sans emploi, mais aussi de la perte du sens du travail lui-même ? Quelle représentation nous faisons-nous du travail ? Souvent réduit à une activité lucrative, perturbé par le cauchemar du chômage, déchu de sa condition de valeur profondément humaine, il voit sa grandeur se ternit dans un brouillard de termes servis vaille que vaille : emploi, gagne-pain, boulot, job, turbin, où l’on se rend pour bosser, trimer, marner… Or le travail véritablement humain n’échappe-t-il pas par nature à cet ensemble dépréciatif s’il répond à l’un des besoins essentiel d’êtres intelligents et libres, c’est-à-dire responsables. Retrouvant ainsi ses lettres de noblesse le travail intègre des activités et produit des fruits à apprécier en termes de tour de main et de bel ouvrage, mais aussi d’épanouissements personnels, de relations et de solidarités. Si Le travail n’est humain qu’en demeurant intelligent et libre1, il devient alors impossible de le considérer et de le traiter comme une marchandise ! Le prix parfois exorbitant des tableaux de maîtres montre bien que la valeur de l’ouvrage ne saurait se mesurer à l’aune de quelque montant que ce soit. Cette observation est à porter sur l’ensemble des activités spéciiquement humaines dont l’évaluation échappe au seul critère d’un salaire. Telles les tâches éducatrices et de soins, l’embel- lissement de logements, de lieux publics des lieux de vie, la confection et à la présentation de repas et même les hobbies… comme tout ce qui exprime une intentionnalité de créativité ou/et de service de l’homme. On en arrive à réaliser que le travail, entendu comme valeur spéciiquement humaine n’a pas de valeur vénale, ni plus ni moins que l’amour ( sauf prostitution !) ou la vie (sauf paiement de mères porteuses). Certes tout travail mérite salaire2, mais comme une gratification financière qui, même tarifée, est attribuée à l’auteur d’une réalisation qui en elle-même demeure hors de prix. Écrire ainsi soufle peut- être un air de révolution culturelle ? Et si c’était justement la perte du sens humain du travail qui pour une part atteignait et blessait les jeunes protestataires des Nuits Debout ? S’ils refusaient et la violence des casseurs et la culture de l’employé jetable, traité comme un déchet faute de rendement sufisant ? S’ils demandaient que le Droit au Travail prévale toujours sur le Droit du Travail, non pour discréditer celui- ci mais pour irradier ses règles et ses dispositions ? S’ils nous invitaient ainsi à condamner la perversité des violences et à repousser l’inanité des rêves, pour rechercher et soutenir de justes réponses à des questions majeures pour l’homme et pour la société ?
1. Encyclique sur « Le développement des Peuples » n° 28 (1 967) 2. Luc 10,7 et 1 Timothée 5,18