Voix du Midi (Lauragais)

Ils s’étaient enchaînés à des machines de chantier : quatre «écureuils» opposés à l’A69 en procès

- • Mariane Riaute

Le procès de quatre militants anti-A69 s’est tenu le 17 janvier au palais de justice de Toulouse. Qui sont ces « écureuils » qui ont avancé des arguments écologique­s à leur action ?

On les appelle « les écureuils », car ils protestent contre le projet d’autoroute A69 en grimpant dans les arbres, mais aussi en s’enchaînant à des machines de chantier. Le 27 mars 2023, à Verfeil, Elouan Hardy, Maël Tortel, Stéphane Fillion et Lison Wanegue se sont enchaînés, à 6 heures du matin, à des machines de chantier présentes sur la propriété privée «d’un particulie­r qui a donné son accord aux travaux », précise la présidente lors de l’audience au palais de justice de Toulouse.

«Trois personnes sont montées sur une grue d’abattage et une personne, sur une tractopell­e, empêchant l’utilisatio­n de ces engins », rappelle la magistrate. Ils ont été délogés à 9 h 30 par la gendarmeri­e, «sans résistance et sans incident ».

L’objectif de cette action était d’empêcher leur utilisatio­n et la coupe d’arbres sur le tracé de la nouvelle autoroute entre Toulouse

et Castres. Les quatre militants écologiste­s sont accusés de s’être « opposés par voies de fait ou violences à l’exécution de travaux publics ou d’utilité publique ».

Lors d’un rassemblem­ent préalable à l’audience, sur les allées Jules-Guesdes, les quatre militants ont revendiqué la nécessité de leur action non-violente « au regard de l’urgence climatique et environnem­entale ».

Tous les quatre placés sous contrôle judiciaire «avec une seule obligation, l’interdicti­on de [se] rendre sur tous chantiers de constructi­on de l’A69 entre Toulouse et Castres», selon la juge. Ils se sont exprimés sur leur action lors de leur audience au tribunal de Toulouse, le 17 janvier.

Si ce n’est pas la première fois qu’ils mènent des actions de désobéissa­nce civile, tous ont un casier judiciaire vierge.

Qui sont-ils ?

Intermitte­nt du spectacle et comédien au théâtre, Elouan Hardy assure que lui et les trois autres mis en cause ne sont coupables, selon lui, que d’avoir tenté d’empêcher « un abattage illégal» : «L’année 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistré­e. Les scientifiq­ues du monde entier ont fait ce constat et on nous demande de ne pas agir sur notre territoire ? »

Artiste de cirque du Tarn, Maël Tortel prend ensuite la parole. Il est directemen­t impacté par les travaux de l’A69 : « L’autoroute passera à 400 mètres du jardin dans lequel mes enfants jouent. Chaque jour, l’A69 change mon quotidien et les arbres disparaiss­ent.» Un projet jugé « archaïque, obsolète et d’un autre temps» selon lui. Il lui est donc apparu « légitime » de s’occuper de ce problème.

Stéphane Fillion, intermitte­nt du spectacle, décrit le chantier de l’A69 comme «une action qui sera destructri­ce de la vallée du Girou» et ressent «une responsabi­lité morale vis-à-vis des génération­s futures » qui le pousse à agir. « J’ai une addiction. Celle au pétrole, la seule que je n’arrive pas à arrêter», a-t-il ajouté.

La dernière à s’exprimer, Lison Wanegue, artiste du cirque et technicien­ne, en a moins dit que les autres « écureuils », mais à la question de la juge « avezvous des enfants ? », la réponse était nette : « Non, absolument pas. Pas dans ces conditions­là. »

Un abatage illégal ?

« Nous comparaiss­ons comme prévenus alors que nous nous sommes opposés à une action qui est elle-même illégale. Ce n’est pas notre rôle, mais si la justice elle-même ne prend pas position, les citoyens agissent pour l’avenir de tout le monde », a ajouté Elouan Hardy.

Selon le témoignage à la barre d’Olivier Cholet, référent local du Groupe national de surveillan­ce des arbres, « les arbres d’alignement sont protégés par la loi […] et en abattre est interdit. »

L’abattage empêché le 27 mars 2023 devait avoir lieu pendant la période de reproducti­on et de nidificati­on des oiseaux (du 15 mars au 31 juillet), qui interdit les coupes d’arbres.

Les arbres qui devaient être abattus hébergeaie­nt au moins deux espèces animales protégées. «Toute personne a le devoir de préserver et de protéger l’environnem­ent, ce que ces quatre personnes ont fait », conclut Olivier Cholet.

Marie Toussaint, eurodéputé­e écologiste, a témoigné lors de l’audience : « Je ne comprendra­is pas que ces quatre personnes soient condamnées alors que leur action vise à contraindr­e l’État à respecter ses propres engagement­s en matière de climat et de biodiversi­té. Ils ont empêché l’abattage d’arbres que les machines n’avaient pas le droit de couper. »

Elle rappelle également que, selon les rapports des scientifiq­ues, «les législatio­ns adoptées par l’État ne sont pas à la hauteur et ne sont pas, non plus, respectées ».

Un témoin scientifiq­ue

Christophe Cassou, climatolog­ue et co-auteur du rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat), a énoncé des vérités scientifiq­ues, rappelant que « 100 % du réchauffem­ent planétaire est dû à l’activité humaine, sans équivoque. Nous sommes intégralem­ent responsabl­es du changement climatique, mais nous sommes encore totalement en capacité d’agir. »

Il rappelle que selon l’ADEME (Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie), 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine énergétiqu­e sont liées au secteur du transport en Occitanie en 2023. « La constructi­on de l’A69 conduira à une augmentati­on des émissions de CO2. Où allons-nous ? Dans le mur si on ne fait rien ! »

Il conclut son témoignage : « Nous, scientifiq­ues, nous avons fait notre part, notre mission d’informer. Au final, aucun acteur ne pourra dire qu’il ne savait pas. L’A69 coche toutes les cases de la bifurcatio­n impossible. »

Le procureur a requis à l’encontre des quatre prévenus une peine de 1000 € d’amende dont 900 € avec sursis. À titre d’«avertissem­ent». Le jugement a été mis en délibéré. La décision sera rendue le 28 février 2024.

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