Toulouse, « la seule ville du sud de la France où il y a des hooligans dans le foot »
Fight nocturne, attaque d’un bar avant une rencontre de Ligue Europa, matches à risques… Toulouse est la « seule ville du sud » à connaître du hooliganisme dans le foot. Décryptage.
Ils n’ont pas provoqué de remous médiatiques. Et aucun blessé n’est (officiellement) à déplorer. « Nous n’avons pas reçu de plainte pour ce type de faits », assure une source policière. Il y a un mois, dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23 février 2024, quartier SaintPierre, à Toulouse, deux groupes se sont affrontés lors d’une bataille rangée. Et d’après le parquet de Toulouse lui-même, ce n’est pas qu’un épiphénomène. Décryptage.
30 belligérants de chaque côté
Cette nuit-là, les agents de la police municipale se sont retrouvés vers 1 heure du matin en présence d’une trentaine de belligérants de chaque côté, selon nos informations. Les caméras de vidéo-protection ont même capté la scène de chaos. Des fans violents qui s’étaient fixé un rendez-vous pour en découdre en marge de la rencontre d’Europa League entre le Toulouse FC et le Benfica Lisbonne ? Le week-end suivant, rebelote, quartier Compans-Caffarelli, veille de la rencontre de Ligue 1 entre le TéFéCé et le LOSC. Sorte de prélude violent à la victoire des partenaires de Thijs Dallinga et Vincent Sierro, qui ont battu les Lillois à la régulière sur la pelouse Stadium (3-1), confirmant ainsi leur redressement. Dans une vidéo filmée par un riverain, des individus vêtus de noir, sweats à capuche, jeans, baskets, s’affrontent avec virulence dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 février. Certains blessés gisent sur le carreau après leur passage. Là encore, « pas de plaintes déposées au commissariat ». « S’il s’agit de hooligans, ce n’est pas étonnant. Il existe comme un code d’honneur. On se retrouve pour un fight et surtout, on tient la police à l’écart de tout ça », suggère un commandant de police.
Selon nos sources, l’affrontement dominical aurait opposé des hooligans toulousains, dont les rangs ont été grossis par des membres du kop Boulogne du
PSG, à des hooligans lillois. Trois Nordistes qui y auraient participé ont été contrôlés par des policiers, vers 20h30, du côté de Compans-Caffarelli. « 38 Lillois vs 70 Toulousains-Parisiens », selon le décompte sur le réseau X des forces minoritaires en présence. Qui sont ces Toulousains adeptes du coup de poing (américain) ? Dans une enquête de Streetpress datant de septembre 2022, un journaliste spécialiste de la question développe :« Ils posent sur de nombreux clichés en faisant des saluts de Kühnen, variante à trois doigts du salut nazi. Ils sont liés à différents groupes parisiens (KOB, Milice Paris, Jeunesse Boulogne) mais aussi aux MesOs Reims et au Turon Squad de Tours… »
« La seule ville du sud » concernée
À Toulouse, deux policiers des RT (Renseignements territoriaux) sont exclusivement dédiés à la question du hooliganisme. Mais les approcher reste illusoire. « Ils ne communiquent pas directement avec la presse », s’entend-on rétorquer à l’idée d’une rencontre.
Quelle est l’ampleur du hooliganisme à Toulouse ? Qui sont ces « supporters » qui succombent à l’ultra-violence en marge du football ? « Toulouse est la seule ville du sud de la France à constater l’existence d’un phénomène hooligan en lien avec le football », indique le Parquet de Toulouse. Mais combien sont-ils réellement dans la Ville rose ? Quelques dizaines à peine, d’après le parquet. « On estime le nombre de hooligans à environ une quarantaine, lesquels sont en lien avec les hooligans du Nord de la France. Le phénomène hooligan est sous-tendu par une idéologie d’extrême droite, voire ultra-nationaliste, qui doit être distingué des supporters dits ‘Ultras’ qui sont environ 2 600 à Toulouse et ne se revendiquent pas d’une même idéologie », assure encore le Parquet de Toulouse. Résurgence du clivage extrême droite/extrême gauche, décliné sous une forme de combat radicale, en marge du foot ?
Les liens étroits entre Camside Tolosa, groupe hooligan de la Ville rose créé en 2008, et les Parisiens du KOB (Kop of Boulogne), revendiqués sur X et mis en exergue dans l’article de de Streetpress, avaient éclaté aux yeux du grand public lors de la victoire du TéFéCé face à Nantes en finale de la Coupe de France l’an dernier.
Une photo parue dans le journal L’Équipe montrant des hommes le torse nu, couverts de tatouages, assimilés à des « supporters toulousains », représentait en fait des hools de la capitale, noyés dans la marée des maillots violets « amis ». Au total, la France recenserait une vingtaine de ces groupes violents adeptes des fights débridés. La Ligue 1 du hooliganisme tricolore. Avec une seule étape dans la partie sud de la France : Toulouse.
À Toulouse, chaque match (officiel) de Ligue 1 fait l’objet, en amont, d’une évaluation de la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Qui jauge les risques de troubles à l’ordre public sur une échelle de 0 à 5.
« Le parquet de Toulouse est présent au Stadium lors des matchs classés à risque des niveaux 2 à 5, afin d’assurer une réponse pénale en cas d’infractions constatées et pouvoir donner immédiatement des directives dans un cadre judiciaire si le besoin devait se présenter », précise à Actu Toulouse le magistrat toulousain en charge du hooliganisme. Et plus généralement, des exactions commises « dans le cadre des enceintes sportives ». Mais il arrive fréquemment, on l’a vu, qu’elles débordent sur l’espace public. Jeudi 22 février 2024, en milieu d’après-midi, deux heures avant le coup d’envoi de Toulouse-Benfica 16e de finale retour de la Ligue Europa, une averse aussi drue que soudaine rabat des supporters du TéFéCé à l’intérieur d’un pub. Une bénédiction du ciel.
Masqués et vêtus de noir
Car quelques minutes après qu’ils ont déserté la terrasse du Tower of London, qui toise le Castelet de l’ancienne prison et sa station de métro, une vingtaine d’individus vêtus de noir, le visage masqué, déboulent Grande rue Saint-Michel.
Qui sont-ils ? Des Lusitaniens rageurs ? Des Ultras ? Des hooligans ? Sur les vidéos partagées sur les réseaux, aucun élément distinctif ne permet de l’affirmer. Ils repèrent les supporters des Violets à leurs maillots, jettent le mobilier de jardin sur la devanture, fracassent des bouteilles de bière sur les vitres et les incitent à sortir en découdre. « On a tout de suite fermé à clé. Ça n’a duré qu’une trentaine de secondes, mais c’était long », soufflait alors le gérant du pub, Kevin Dunn, très secoué par cette attaque en règle. « C’est la première fois que ça m’arrive. Je ne savais même pas qu’il y avait une rivalité entre les équipes portugaise et toulousaine. C’était stressant, mais au moins personne n’a été blessé et on peut tous rentrer chez nous ce soir... »
La saison dernière, huit matchs au Stadium ont été classés à risques par la DNLH. Les réceptions du PSG, de Marseille ou de Nantes, dont l’antagonisme avec les Toulousains est désormais notoire, en font partie.
« Pour la saison 2023/2024, neuf matchs ont été classés à risques à ce jour et trois autres devraient l’être d’ici à la fin de la saison », précise le spécialiste du sujet au parquet de Toulouse. À chaque match à risques, le préfet de Haute-Garonne prend des arrêtés pour circonscrire les mouvements des supporters adverses à une zone bien définie. Schématiquement un nez d’avion vu de face duquel émergent deux hélices. Parfois, des interdictions de déplacements sont prononcées, irritant les membres de la mouvance Ultras. Quelle est la position du Toulouse Football Club vis-à-vis du hooliganisme ? Comment gère-t-il l’éventuelle présence de hools dans les tribunes du Stadium ou le parcage visiteurs à l’extérieur ? « Le Toulouse FC condamne le hooliganisme, toute forme de violence et toute forme de discrimination », indique le club, sans s’étendre davantage sur le sujet.
Revers de la médaille
Mais force est de constater que l’engouement populaire que le club occitan suscite à travers ses résultats sportifs (champion de France de Ligue 2, victoire en Coupe de France) et son image restaurée, depuis son rachat à l’été 2020 par Redbird Capital, possède aussi son revers en agrégeant dans son sillage — et à son corps défendant — des groupuscules néonazis et ultraviolents. Une facette marginale, certes. Mais bien plus sombre.