Gros plan sur l’orgue et ses organistes
Majestueux par ses dimensions et sa puissance sonore, l’orgue est un instrument symbolique de par sa présence dans les églises et son association à de grands événements. Zoom sur celui de l’église de Villefranche et ceux qui le font vivre.
adis, seules les paroisses assez riches pouvaient se doter d’un tel instrument. En Lauragais, ce fut par exemple le cas de Revel, Saint-Félix–Lauragais, Saint-Papoul ou encore Avignonet-Lauragais, Villenouvelle ou Saint-Michel-de-Lanès.
Villefranche-de-Lauragais a eu la chance de faire partie de ces heureuses communes et son bel orgue de tribune est l’un des éléments de son patrimoine. Construit en 1850 par Frédéric Jungk, il fut remanié en 1920 par Théodore Puget et inauguré par Georges Debat-Ponsan, organiste de Notre Dame de la Daurade. Enfin, il fut de nouveau restauré en 2001 par Gérard Bancells.
L’instrument compte aujourd’hui 18 jeux (sonorités créées selon le nombre de tuyaux) sur deux claviers et un pédalier puisque l’organiste joue à la fois avec les mains et les pieds. Aux dires des musiciens qui l’utilisent, cet orgue mériterait encore quelques travaux, car il souffre d’un petit essoufflement, bien normal à son âge. Quoi qu’il en soit, cet orgue presque bicentenaire ravit désormais lors de chaque office religieux les oreilles des paroissiens, cela grâce à l’abbé Daniel Saphy, curé de la paroisse, qui a tenu à ce qu’il vienne rehausser la solennité des offices célébrés dans l’église.
JInstrument singulier et musiciens pluriels
Pour jouer de ce bel instrument, qu’il est évidemment impensable de déplacer avec soi, plusieurs organistes se relaient aux commandes, au rythme des offices, afin d’assurer une permanence du service. Quelques fidèles attentifs et à l’oreille aiguisée savent reconnaître l’organiste du jour à sa façon de jouer.
Le plus jeune, récemment nommé par le curé, est Emanuel Zozor, âgé de 21 ans alors que le doyen, Pierre Fonvieille, en a 63 de plus. Entre les deux, un autre organiste talentueux intervient de temps à autre. Il s’agit de Hubert Borde, 58 ans, résidant à Balma où il est titulaire de l’orgue et où il exerce le métier de chercheur en philosophie. Et pour être complet, mentionnons le diacre Mathieu Marchet, que l’on peut écouter souvent à Baziège et parfois à l’orgue de Villefranche-de-Lauragais.
Tous partagent la même passion pour cet instrument exceptionnel, mais aussi quelque chose qui relève du sentiment, du respect. Et ils en parlent parfois comme d’un être vivant, qui peut mourir si on le délaisse, qui respire avec le vent et n’est pas indifférent à la météo. On devine aussi qu’il existe une corporation des organistes avec ses codes, ses hiérarchies, sa fidélité à la tradition, au sacré, et le souci d’entretenir l’aura d’un instrument
L’orgue de l’église de Villefranche avec son buffet en bois et ses centaines de tuyaux métalliques.
hors du commun.
Le benjamin…
Le benjamin de ce quatuor alternatif, Emanuel Zozor, est né en 2002 à L’Isle-Adam (Vald’Oise), d’un père pilote d’hélicoptère et d’une mère hôtesse de l’air. Lui est redescendu sur terre en choisissant le métier de conducteur de train. Ses parents n’étaient pas particulièrement musiciens, même si son père jouait un peu du piano. Emanuel, lui, a pris son premier cours de piano à Marrakech puis, arrivé en France, il intègre l’école de musique de Saint-Orens. Mais c’est lors d’une visite à la basilique de la Daurade, à Toulouse, que le choc se produit. Il découvre le grand orgue, l’écoute avec émotion et se dit : «Voilà
ce que je veux faire » !
Sans tarder, il va prendre des cours à l’Institut catholique et commence à jouer à Revel, à la Paroisse étudiante de Toulouse, à l’église Saint-Pierre des Chartreux, à Auriac-sur-Vendinelle et enfin à Villefranche-de-Lauragais et Baziège. Mais pris par le virus de l’orgue, Emmanuel éprouve aussi le besoin de le transmettre. Il crée l’association des amis des orgues de Revel et réalise également de nombreuses vidéos sur Internet qui connaissent un certain succès, car, dit-il, « il faut démocratiser l’orgue sans le désacraliser », montrer aux jeunes ce que c’est, leur donner envie et ainsi participer à son rayonnement, « garder l’orgue vivant ».
Si des compétences sont, bien sûr, nécessaires, sur le plan musical, mais aussi religieux, avec notamment une bonne connaissance de la liturgie, il faut aussi une grande connivence avec le prêtre qui célèbre l’office et que l’organiste ne voit pas à ce moment-là, ou au mieux dans un miroir, de même qu’avec l’animateur des chants.
…et le doyen
Pierre Fonvieille, lui, est né en 1939. Après des études au conservatoire de Toulouse, il se lance dans une carrière d’organiste et sera titulaire à l’église Saint-Sernin de Toulouse où il exercera pendant 54 ans. Là, il retrouve son père qui joue au grand orgue alors que lui est à l’orgue de choeur. Le père de Pierre avait lui-même succédé à son père à Saint-Sernin et son frère fut également organiste à Saint-Aubin. Au décès de ce dernier, Pierre prendra aussi sa relève. Autant dire que la famille Fonvieille a donné une véritable lignée d’organistes.
Si l’amour de l’orgue suffit à créer une forte motivation à jouer, il ne permet pas d’en vivre, car un organiste perçoit en moyenne une vingtaine d’euros par cérémonie, ce qui permet simplement de couvrir ses frais. Pierre Fonvieille a donc mené en parallèle une carrière de commercial. Aujourd’hui en retraite à Montesquieu-Lauragais, il intervient de temps en temps à l’église de Villefranche-de-Lauragais
et exceptionnellement dans d’autres églises, comme celle de Baziège où il aime aller travailler des partitions, car, précise-t-il, elle possède un orgue très complet.
En fait, il connaît bien les orgues du Lauragais, «le très bel orgue de Villenouvelle», celui de Saint-Michel-de-Lanès, récemment restauré, et d’autres encore, et leurs particularités. Concernant celui de Villefranche-de-Lauragais, il reconnaît qu’il permet de tout jouer et que la municipalité de Pierre Izard a eu le mérite d’en faire une bonne restauration. Mais il regrette un peu que le projet d’un grand orgue de 20 jeux, qu’il avait lui-même proposé, n’ait pas été retenu. Outre les caractéristiques des instruments, Pierre Fonvieille sait aussi percevoir les différences de sensibilité des générations qui s’y succèdent. Ainsi, estime-t-il, « les jeunes jouent très vite, ce qui produit un jeu un peu froid, au détriment de l’harmonie ».
Musicien dans l’âme, Pierre Fonvieille ne se limite pas à l’orgue. Il est également violoncelliste, contrebassiste et dirige l’ensemble de musique de chambre « La corde à mi », qu’il a créé. Ce groupe de 8 musiciens, dont une chanteuse, se produit chaque été dans des églises de la région et jusque dans le Cantal.