Nous oublions l’histoire et la géographie
Jadis, les inondations faisaient partie du quotidien, elles étaient même une arme stratégique.
Le dérèglement climatique entraîne un bouleversement des phénomènes naturels.
En préparant la matinale de RTL, délocalisée à SaintOmer dans la Somme, je me suis aperçu que, jusqu’à la fin de XIXe siècle, les inondations étaient intégrées à la vie courante de millions de Français. Toutes les régions plates – les Flandres, la Somme, les Charentes, le Poitou, la Vendée et bien d’autres – étaient régulièrement inondées, en moyenne tous les trois ans. Il n’y avait aucun système de régulation des cours d’eau et les crues faisaient partie de la vie. Le paysan savait qu’il pouvait perdre ses récoltes et ce risque était totalement intégré. Jusqu’au début du XXe siècle, les inondations pouvaient même être utilisées comme arme de guerre. On trouve de très nombreux récits qui détaillent comment, en ouvrant des vannes ou des écluses, l’état-major paralyse les armées ennemies : les fantassins et leurs charrettes tractées par des chevaux ne peuvent plus progresser. Tout change avec la Grande Guerre et l’utilisation massive de l’artillerie : il n’est plus besoin d’inonder un champ de bataille puisque désormais les canons portent plus loin. Et toutes ces zones naturellement marécageuses ou inondables sont alors petit à petit conquises par l’homme qui y installe des maraîchages avant d’urbaniser à outrance. Alors aujourd’hui, dès qu’une rivière sort de son lit, dès qu’une nappe phréatique déborde – et je conçois évidemment tous les inconvénients que cela entraîne –, tout le monde s’emporte contre un phénomène pourtant millénaire et naturel. Nous avons oublié que nous avons gagné toutes ces terres sur la nature. Et lorsque la déclivité des terrains est très faible, comme dans la région de Saint-Omer ou de Saintes en Charente-Maritime, la décrue prend du temps. C’est mécanique. Par nécessité de rendements sans cesse plus importants, par volonté de vouloir dompter la nature, nous avons oublié notre histoire et notre géographie. Le dérèglement climatique entraîne un bouleversement du cycle et de l’intensité des phénomènes naturels. Il va nous falloir une démarche intelligente pour, demain, affronter ces défis. Autrefois, le garde champêtre entretenait les rus, les fossés, les canalisations et les systèmes d’irrigation. Surtout, les anciens avaient intégré les crues comme des épisodes réguliers de leur vie quotidienne.