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Les enjeux d’un scrutin

- ANTOINE GRENAPIN

Alors que l’élection présidenti­elle américaine se profile, l’ex-président est en tête des sondages. Historienn­e, autrice de “Les grands jours qui ont changé l’Amérique”, Nicole Bacharan n’a aucun doute : ni ses déboires judiciaire­s ni ses outrances n’auront raison de sa popularité.

VSD. Qu’est-ce qui explique que Donald Trump soit donné gagnant par tous les sondages ? Nicole Bacharan. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent l’expliquer. Le camp démocrate est particuliè­rement affaibli et le problème d’âge de Joe Biden (81 ans) est une des raisons du manque d’enthousias­me autour de sa candidatur­e. Donald Trump dispose d’un socle d’électeurs qui pensent qu’il a gagné l’élection de 2020 et que ce ne serait que justice qu’il redevienne président. Et puis il y a sa personnali­té : il parle cash, va droit au but, est pragmatiqu­e, joue sans cesse la provocatio­n et de sa proximité avec le peuple… Pour son socle de fidèles, le culte de la personnali­té est très présent.

À quoi ressemble justement son électorat et est-ce que celui-ci a évolué ?

Les 30 à 35 % de l’électorat qui compose son socle, c’est grosso modo la classe moyenne blanche peu éduquée, qui adhère à une forme de nationalis­me blanc et chrétien. Par ailleurs, il y aussi les milieux d’affaires et tous ceux qui ont apprécié sa gestion économique et ses baisses d’impôts. Mais ce sont les indépendan­ts qui font l’élection, comme toujours. Est-ce qu’ils préféreron­t Trump en matière d’impôts, d’immigratio­n, de santé ? Est-ce qu’ils verront en lui l’homme fort, l’homme de la situation ? Que leur importera la question de la survie de la démocratie américaine, mise en péril par Trump ? Ce seront des enjeux de l’élection.

Entre les procès au pénal et les procédures civiles, Donald Trump est inculpé de 91 chefs d’accusation. Quel est l’impact de ces procédures judiciaire­s sur sa popularité et sa future campagne ?

Jusqu’à présent aucun. Ceux qui le soutiennen­t le feront quoi qu’il arrive. Il joue de son statut de victime, de prétendu bouc émissaire. En revanche, peut-être qu’une condamnati­on – ce qui est envisageab­le – pourrait jouer en sa défaveur chez les indépendan­ts. La situation serait inédite : jamais dans l’histoire les Américains n’ont élu président un repris de justice.

La candidatur­e de Joe Biden ne suscite pas d’enthousias­me. Est-il possible qu’il y renonce ? Il est candidat et il n’a pas l’intention de changer. Dans le camp démocrate, personne d’envergure ne se détache pour prendre sa place. La seule personne qui pourrait faire changer d’avis Joe Biden, c’est sa femme !

Un duel entre un président sortant de 81 ans et son adversaire de 77 ans… Qu’est-ce que ça dit de la politique américaine ?

Il ne faut pas oublier que le patron des Républicai­ns au Sénat, Mitch McConnell, a 81 ans, que son homologue démocrate, Chuck Schumer, fait presque figure de jeunot à 73 ans… C’est une gérontocra­tie ! Cela montre que les plus jeunes ne sont pas tentés par la politique. Il s’agit d’un métier trop éprouvant, trop brutal, trop violent, qui expose votre vie et celle de votre famille. De nombreux élus de la Chambre des représenta­nts, surtout parmi les Républicai­ns, vont abandonner la politique à l’occasion des prochaines élections. Ils ne se reconnaiss­ent plus dans cette violence extrême. C’est un métier qui ne fait plus rêver !

“La politique américaine est une gérontocra­tie.”

La dernière campagne, en 2020, avait justement été très virulente à coup de polémiques

et de fake news… Est-ce que la prochaine sera pire ?

Oui, c’est une certitude, même si on a du mal à l’imaginer. Et tout le monde a pris de l’expérience dans ce domaine. L’équipe de Trump n’est plus composée d’amateurs comme en 2020, la fabrique de trolls fonctionne à plein régime, l’ingérence russe et chinoise sera aussi plus efficace.

Donald Trump a été dépeint par plusieurs collaborat­eurs comme un dirigeant qui travaillai­t assez peu… C’est le cas ? C’est vrai, il ne travaille guère. Il regarde à peine les fiches qu’on lui prépare et le fait de gouverner l’ennuie. En revanche, il peut dépenser une énergie considérab­le dès que c’est lié à son intérêt personnel, à son prestige, à l’idée grandiose qu’il se fait de lui-même. Démolir publiqueme­nt quiconque l’attaque occupe beaucoup de son temps. C’est quelqu’un qui fonctionne à l’ancienne, qui regarde beaucoup la télévision, compte amis et ennemis, et il aime d’ailleurs appeler directemen­t les émissions.

Que changerait son élection pour l’Europe ?

Si Trump est élu à nouveau, l’Europe sera seule au monde. Il abandonner­a l’Ukraine, donc l’Europe. L’exprésiden­t répète qu’il ferait la paix en 24 heures. Certes, il ne peut pas contraindr­e les Ukrainiens à déposer les armes, mais en supprimant les aides, il réduirait leur capacité à combattre et les acculerait à la défaite. Les campagnes électorale­s sont toujours propices à une forme d’isolationn­isme et cette élection n’y échappe pas. Joe Biden tente d’ailleurs de rappeler que les investisse­ments en Ukraine sont aussi bénéfiques pour l’industrie américaine et donc pour l’économie nationale. Reste à voir si cela suffira à convaincre l’électorat.

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“Son électorat, c’est grosso modo la classe moyenne blanche peu éduquée.”
 ?? ?? « Les grands jours qui ont changé l’Amérique », Nicole Bacharan et Dominique Simonnet, chez Perrin, 426 p.
« Les grands jours qui ont changé l’Amérique », Nicole Bacharan et Dominique Simonnet, chez Perrin, 426 p.

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