L’énigme de Fontainebleau
Deux mois et demi après leur disparition, les corps d’Anne-Sophie Vandamme et Gilles Naudet sont découverts dans une zone pourtant soigneusement ratissée par la gendarmerie...
Lorsque les enquêteurs lui présentent les photos des corps, madame Naudet remarque immédiatement que quelque chose cloche. L’anorak de son fils est trop propre, « comme s’il sortait du pressing ». Une intuition corroborée par les premières observations du médecin légiste : « L’état de décomposition des cadavres est incompatible avec un séjour de plusieurs semaines à l’extérieur. » Les fougères qui dissimulent les dépouilles ont été coupées « moins de huit jours plus tôt ». Tout converge vers ce scénario : les corps ont été conservés quelque part, probablement un congélateur, et déposés là, dans le secteur de Coquibus, au coeur de la forêt de Fontainebleau, quelques jours (heures ?) avant leur découverte par des chasseurs le 10 janvier 1989. Anne-Sophie Vandamme et Gilles Naudet, tous deux âgés de 25 ans, sont signalés disparus par leurs familles et leurs proches depuis le début du mois de novembre 1988. Couple sans histoire domicilié dans le Val-de-Marne, « des gens normaux » – elle travaille comme assistante sociale pour une société de HLM, il est conseiller clientèle au Crédit Mutuel –, Anne-Sophie et Gilles ont décidé de profiter du long et beau week-end de la Toussaint qui s’annonce pour aller s’oxygéner en forêt de Fontainebleau. Dans la matinée du 31 octobre, le couple gare sa Peugeot 304 blanche sur un petit parking forestier, en bordure de nationale, à proximité du départ du GR11. Accompagnés de Dundee, un jeune berger blanc de Pyrénées qu’ils viennent d’adopter, ils empruntent le sentier et s’enfoncent dans les bois. Plus personne ne les reverra jamais vivants. À la nuit tombée, sans aucune nouvelle de la journée, les parents de Gilles s’inquiètent, d’autant qu’attendu pour le dîner chez des amis, le couple n’est pas venu. Il ne s’est même pas décommandé. Curieux, cela ne leur ressemble pas…
Il faut encore quarante-huit heures pour que la gendarmerie considère la disparition comme « inquiétante ». La voiture est rapidement localisée. Six cents hommes sont alors déployés dans les environs de Coquibus pour méthodiquement ratisser les abords du GR11. Chaque fourré, chaque fossé est inspecté. Un hélicoptère survole la zone. Rien, strictement rien : les gendarmes ne recueillent aucun indice, aucune trace, aucun témoignage crédible parmi les promeneurs, les joggeurs, les cueilleurs de champignons et les dizaines de chasseurs présents ce jour-là dans le secteur – le 31 octobre lançait la saison de la chasse au gros gibier. Clairement focalisées sur le milieu des chasseurs et des braconniers, les investigations se retrouvent rapidement dans l’impasse. Seule certitude : les jeunes gens et leur chien ont été abattus de plusieurs balles de 22 long rifle, « tirées à très courte distance, presque à bout touchant », selon le légiste. Mais l’utilisation de 22 LR en période de chasse en forêt de Fontainebleau
ne saurait constituer un début de piste… Conservés « quelque part », les corps ont été déplacés et assez bien camouflés sous des fougères « coupées avec un couteau d’un modèle courant ». Bien maigres indices… 200 000 heures d’audition, 1 700 témoins interrogés, 1 600 fusils examinés et des milliers de procèsverbaux plus tard, les gendarmes n’ont toujours pas de suspect. Un routier portugais, coupable de trois homicides similaires, se vante auprès d’un codétenu. Les enquêteurs l’interrogent et le mettent hors de cause. Toutes les pistes, même les plus ténues (comme celle de « la méprise », Gilles Naudet étant le portrait craché d’Alaa Moubarak, le fils du président égyptien), ont été remontées, explorées et finalement classées lorsque dix ans plus tard, au mois de janvier 1999, un coup de téléphone anonyme dénonce le tueur : un certain Cédric, mineur au moment des faits.
Jugé suffisamment crédible, l’appel est localisé. Il a été passé depuis une localité du Doubs par Germaine*, 91 ans, qui, bien penaude de voir débarquer les gendarmes, leur explique que sa soeur, « voisine de la grandmère maternelle de Cédric à Paris, l’a mise dans la confidence ». Interrogées, les deux vieilles dames confirment. Cédric a bien dit un jour à sa grand-mère qui l’a répété à sa copine qui l’a rapporté à sa soeur : « Ma vie est foutue, je vais finir en prison. » Le 11 février 1999, le jeune homme est arrêté. Cédric a le profil idéal : passionné de chasse et de braconnage qu’il pratique avec son père depuis son enfance, Cédric, qui se fait appeler Rambo, collectionne les armes (il possède une carabine X51 bis 22 LR « compatible avec l’arme des crimes », dont le canon a été limé, rendant ainsi et fort opportunément l’analyse balistique impossible), il est inscrit en criminologie à l’université de
Montpellier et fait une école d’armurerie à Liège en Belgique. Confronté aux déclarations de sa grand-mère, il avoue. Puis se rétracte. Pendant sa garde-à-vue, il change quatre fois de version. Il implique parfois son père, un ancien militaire devenu pilote de ligne, parfois un voisin, parfois les deux, avant les disculper et d’assumer seul, les meurtres. Au cours des interrogatoires, il livre une multitude de détails sur les vêtements des victimes, les angles de tir, la façon dont il a « maquillé » l’arme des crimes. Embusqué ce jour-là sur le plateau de la Mare-aux-Joncs pour braconner, il tue accidentellement Dundee. Dans la panique, il tire sur le couple et les achève d’une balle dans la nuque. Il dissimule les corps dans un trou naturel en les couvrant de plusieurs couches de bruyère à des dates différentes. Au terme des quarantehuit heures de garde-à-vue, il est déféré devant un juge d’instruction devant lequel il se rétracte. Celui-ci le met pourtant en examen et le place en détention provisoire. Son père et le voisin sont également poursuivis. L’instruction ne permet cependant pas d’apporter la preuve formelle de l’implication du jeune homme et ses complices présumés dans le double homicide. D’ailleurs, le père de Cédric et son ami ont déjà bénéficié d’un non-lieu lorsque le suspect est renvoyé devant la Cour d’assises des mineurs d’Évry au mois de novembre 2001. Âgé de 17 ans au moment des faits, Cédric a désormais 31 ans. Jugé à huis-clos, ses avocats sont confiants : « Il n’y a rien de sérieux contre lui, pas d’éléments matériels, pas d’armes, pas d’ADN. » Au terme d’une semaine de débats, Cédric est acquitté, « au bénéfice du doute », de toutes les charges pesant contre lui. Une cruelle et terrible désillusion pour les familles Naudet et Vandamme qui veulent alors encore croire à la manifestation de la vérité. Dix années s’écoulent encore avant qu’en 2011, « les faits étant prescrits », la justice ne referme définitivement le dossier des fiancés de Fontainebleau qui reste donc l’une des grandes énigmes des annales criminelles française.
Au terme d’une semaine de débats, Cédric est acquitté, « au bénéfice du doute ».