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Yvan Attal “Aujourd’hui, il peut m’arriver n’importe quoi, je m’en fous”

Avec « Un coup de dés », l’acteur et réalisateu­r plonge dans les entrailles du film noir. Sa façon à lui de rendre hommage à un cinéma qu’il aime par-dessus tout, quitte parfois à en souffrir.

- Par Olivier Bousquet

Famille, boulot, tout va bien dans le meilleur des mondes pour deux amis sous le soleil de la Côte d’Azur. Jusqu’à ce qu’une affaire d’adultère aux répercussi­ons dramatique­s saborde la belle histoire. Acteur, réalisateu­r et coscénaris­te, Yvan Attal joue finement la partition du film noir dans Un coup de dés, son huitième long-métrage.

VSD. Pour « Un coup de dés », vous retrouvez la double casquette d’acteur et de réalisateu­r, quatre ans après « Mon chien stupide ».

Yvan Attal. Il s’agit pourtant d’un concours de circonstan­ces. Au départ, j’avais pensé à plein d’acteurs. Mais les films coûtent désormais si cher que je me suis engagé [rires].

C’est épuisant ?

J’aime bien les jours où je suis uniquement derrière la caméra car je porte toute ma concentrat­ion sur les autres. L’avantage de jouer dans mes films, c’est que je sais à peu près comment je fonctionne.

On a pourtant l’impression que ce personnage a été écrit pour vous.

Je suis en empathie avec lui parce que c’est un homme banal qui se révèle médiocre. Il n’est ni très courageux, ni très lâche, bref, il mène sa vie comme tout le monde. C’est un enchaîneme­nt d’incidents qui va l’amener à tenter de sauver sa peau. L’intérêt du projet résidait dans la volonté de faire un thriller avec un mec comme ça, et surtout d’adapter le genre à un contexte français, c’est-à-dire de préserver la crédibilit­é de l’histoire. Je garde les codes des films « de chez nous » mais en même temps, j’aborde un genre pas forcément typique de notre cinéma.

Aborder un genre, c’est aussi éviter les clichés.

Il faut juste essayer de raconter une

histoire du mieux possible, de prendre le spectateur par la main et de l’amener là où on veut qu’il aille. Le cliché sanctionne le manque de travail, de talent ou de vision. Tout artiste est porté par ses influences mais il faut savoir ce que l’on en fait. Parfois, je vois des films avec des séquences copiées sur d’autres, au plan ou au dialogue près. Une influence ne se copie pas, elle doit infuser le travail.

Quelles sont les vôtres ?

Les films qui m’inspirent, je les ai assez en tête pour ne plus avoir besoin de les revoir ! Que je fasse une comédie ou un drame, la manière de filmer ou de raconter est à peu près la même. Il y a deux ou trois metteurs en scène que je regarde régulièrem­ent : Sidney Lumet, Michael Mann et Woody Allen. Et Francis Ford Coppola également. Un metteur en scène est un grand virtuose lorsqu’il nous raconte une histoire et qu’on ne voit pas les moyens qu’il a employés pour la raconter. Il faut revoir Le parrain pour se rendre compte à quel point le travail de Coppola est virtuose. Tous les réalisateu­rs dont je vois la mise en scène, et je mets Martin Scorsese dans le lot, ne font pas partie pour moi des plus importants. J’ai grandi avec un cinéma qui était très honnête, dans lequel les mouvements de caméra, les plans séquence servaient la narration.

C’est quoi, le style Attal ?

Je m’attache toujours à raconter l’histoire au mieux et à ne jamais me mettre en avant.

J’aime quand les plans sont magnifiés par la lumière, le cadre, l’associatio­n par le montage… Mais les gens qui font bouger la caméra en permanence sous prétexte de virtuosité, ils m’ennuient.

J’aborde un genre pas forcément typique de notre cinéma.

Vingt ans après « Ma femme est une actrice », avez-vous changé en tant que cinéaste ?

Je ne suis pas sûr d’avoir changé, j’espère juste avoir progressé. Je me suis détendu en tout cas et j’ai de plus en plus de plaisir à faire ça. Surtout, je me détache de plus en plus du jugement des autres, ce qui me permet d’aller vers plus de liberté. Mes deux plus grosses gamelles ont concerné les films auxquels je tenais le plus : Ils sont partout et Les choses humaines. Le premier, j’aurais dû anticiper que j’allais me faire massacrer. Mais quand je vois l’époque d’aujourd’hui où l’antisémiti­sme peut s’exprimer sans vergogne, je me dis que j’étais en avance sur mon temps ! Je reconnais cependant qu’il a beaucoup de défauts. En revanche, pour l’autre – que je considère comme mon meilleur film –, j’étais profondéme­nt déçu. Donc il peut m’arriver n’importe quoi, je m’en fous. Je le dis le plus honnêtemen­t du monde, la seule chose qui compte pour moi, c’est d’être sur le plateau avec des acteurs, une équipe, une caméra, un scénario. C’est ainsi que je prends mon pied ! Quand on réalise un premier longmétrag­e, on a envie que les gens aillent le voir. Quand on en a fait huit ou neuf, c’est différent : seul le résultat importe, pas les entrées ni les médailles. Le désir de faire des films reste le plus fort, surtout plus fort qu’un mauvais accueil. Et j’ai connu ces moments douloureux où ni le public, ni la presse, ni le métier n’étaient derrière moi. Mais c’est comme le cheval : tu te casses la figure, tu remontes aussitôt. La chute qui me fera arrêter n’est pas encore arrivée.

“Mes deux plus grosses gamelles ont concerné les films auxquels je tenais le plus.”

Il y a une quinzaine d’années, vous nous confiiez votre ambition de réaliser un

film qui rassembler­ait les cinéphiles et le grand public. Avec « Le brio » (2017), vous avez presque réussi votre pari.

Si les cinéphiles avaient le courage de regarder mes films… C’est quand même un drôle de métier où on rencontre des gens considérés comme des auteurs alors qu’ils sont incapables de mettre en scène. Ils ne savent pas mettre un plan derrière l’autre, je vous le garantis ! Je le dis d’autant plus facilement que j’ai travaillé avec certains. Lumière, montage, plans, tout est pourri ! Mais on les prend au sérieux parce qu’ils abordent des sujets graves.

Le Attal metteur en scène a-t-il pris le pas sur l’acteur ?

Un temps, oui. Mais je reprends du plaisir devant la caméra. Je me suis beaucoup amusé en tournant D’argent et de sang, d’autant que j’avais surtout en face de moi un vrai metteur en scène en la personne de Xavier Giannoli. Êtes-vous un consommate­ur de séries ? Comme spectateur, j’ai tendance à me lasser très vite. J’ai grandi avec des films où les histoires excèdent rarement deux heures. Donc quand on étire un récit sur douze heures au moyen de digression­s inutiles, ça m’ennuie. Quand on me dit de m’accrocher pendant deux ou trois épisodes… mais ça fait trois heures de ma vie, soit deux longs-métrages ! En revanche, profession­nellement, c’est une autre histoire. Je suis d’ailleurs en train de développer un projet.

“Les gens qui font bouger la caméra en permanence sous prétexte de virtuosité m’ennuient.”

Et un film ?

Non, je pensais profiter de la liberté que m’offre le théâtre pour écrire durant la journée*. Mais je n’y arrive pas, la période actuelle me paralyse. Donc l’énergie qu’il me reste, je la préserve pour les représenta­tions.

*Il joue dans « Vidéo Club » au théâtre Antoine à Paris jusqu’au 9/01.

Je ne suis pas sûr d’avoir changé, j’espère juste avoir progressé.

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 ?? ?? Avec Guillaume Canet, Marie-Josée Croze, Alma Jodorowsky, Maïwenn… 1 h 35. Le 24/01.
Avec Guillaume Canet, Marie-Josée Croze, Alma Jodorowsky, Maïwenn… 1 h 35. Le 24/01.
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