Interview
« Même les erreurs sont passionnantes »
Julien Absalon
Depuis trois ans, le plus grand champion de VTT de l’histoire est passé de l’autre côté de la piste. D’athlète à team-manager, Julien Absalon trace son chemin comme toujours : en visant l’excellence. En ces temps incertains pour tous, le boss d’absolute Absalon-bmc montre qu’adaptation et remise en question valent de l’or.
Un petit gîte au milieu de la forêt de Montauroux, mi-janvier. Le team Absolute Absalon-bmc y a posé son camp pour quatre jours de tests, majoritairement dédiés aux réglages des suspensions Rockshox. Car depuis cette année, la marque américaine a remplacé SR Suntour pour équiper le BMC. Quelques jours plus tard, à Aix, au sein du Magasin Matériel-vélo, l’un des principaux partenaires du team, aura lieu la présentation officielle de l’équipe. En comité restreint, crise Covid oblige. Bref, c’est la rentrée pour Julien Absalon. Le double champion olympique, quintuple champion du monde, neuf fois vainqueur du général coupe du monde, quatorzuple (ça, ça ne se dit pas, je crois, mais c’est pour traduire « quatorze fois », voyez…) champion de France de cross-country dirige le team qu’il a créé voilà trois ans : Absolute Absalon. Allié à BMC pour ses vélos, il a grandi à mesure, mais rapidement. L’an dernier, les sacres français et mondial de Jordan Sarrou, le titre national de Mathis Azzaro chez les U23, la médaille de bronze de Titouan Carod aux mondiaux et sa place de vice-champion d’europe ont été de belles récompenses pour celui qui apprend sur le tas le métier de teammanager. Pas d’école de management. Juste du bon sens, de l’écoute, de l’analyse et de la remise en question. En 2021, Jordan Sarrou est parti pour vivre l’aventure Specialized ( voir le « Dans la roue de… » par ailleurs), et Pauline Ferrand-prévot, neuf fois championne du monde et compagne de Julien, a, elle, signé son arrivée dans l’équipe franco-suisse. Dernier couché, premier levé, au four de la cuisine et au moulin de la présentation micro en main, Julien Absalon est en train de réussir l’une des étapes souvent taboues dans le sport : celle de l’après-carrière. Ça n’est pas que du sport, c’est aussi une leçon de vie.
Pour commencer, un petit coup d’oeil dans le rétro sur la saison 2020 ? On peut dire qu’elle a été très compliquée avec l’épidémie. Ça a impacté la tenue des épreuves, il a fallu beaucoup faire et défaire les plannings, voir avec les partenaires car on a fait très très peu de courses, donc on a optimisé à fond les résultats… Mais si je prends le bilan brut de 2020, même avec une saison complète, j’aurais signé pour un tel résultat.
Serais-tu enfin satisfait ? Disons que ça me donne de la satisfaction que, dès la troisième année pleine d’existence du team, avec les mondiaux et Jordan, on ait gagné la deuxième plus grande course hors Jeux olympiques qui puisse exister. Être passé équipe officielle BMC en 2020 a aussi été une grosse étape, une preuve de confiance de la marque. Et cette année, l’arrivée de SramRockshox et la preuve de confiance que ça traduit nous donnent aussi une belle satisfaction.
Comment s’est faite cette arrivée de Sram-rockshox dans le team à la place de SR Suntour ? Le team comptait déjà Sram parmi ses partenaires pour la transmission, mais pas Rockshox, et l’arrivée de Pauline a joué car elle roulait Rockshox, et eux voulaient garder Pauline. Ils ont donc décidé d’entrer dans le team en tant que partenaire majeur, puisqu’ils sont le sponsor numéro 2 de l’équipe. Au-delà de ça, ce que j’aime beaucoup, c’est qu’il existe une vraie interaction entre les partenaires, les pilotes et les mécaniciens de l’équipe et la marque BMC. Celle-ci prend en compte nos autres partenaires pour ses montages OEM ( première monte de série, NDR), le choix des composants, etc. Tout revient souvent à l’humain, et là, ça remonte à la relation de confiance que nous avions établie avec David ( Zurcher, P.-D.G. de BMC, NDR) quand j’étais coureur. Dès le montage de l’équipe voilà trois ans, alors qu’elle était petite, on a eu de belles discussions sur tous les projets, il m’y associe et c’est vraiment sympa ! Il n’y a pas de filtre, on discute de tout, ça permet d’être réactifs !
Justement, cette année, les BMC du team vont être équipés de suspensions Rockshox. Ça veut dire qu’en 2022, on pourra les voir sur les modèles de série ? Ça veut dire que c’est possible, oui, de voir un team Replica en 2022 avec une monte Rockshox. Ça donnera plus de cohérence entre le FS01 que l’on pourra trouver en magasin et celui de l’équipe, alors qu’en 2020, peu d’éléments étaient identiques entre ces deux modèles. Mais ça veut aussi dire que ce stage spécial de préparation des suspensions en début de saison était vraiment très important, notamment pour l’amortisseur. Le Fourstroke n’avait jamais été monté avec du Rockshox. En amont, on avait partagé avec les ingénieurs pour
En 2022, on pourra trouver un BMC FS01 de série très proche du vélo du team Absolute-absalon.”
développer une cartouche spécifique afin d’obtenir un amortisseur adapté à la géométrie et la cinématique du BMC, mais ça, c’était uniquement sur le papier, il fallait vérifier sur le terrain. Et on est ravis d’être déjà partis d’une base très bonne ! Au fil des jours et des essais, on a pu aller vers un raffinement des réglages au top ! Qu’on atteigne une telle performance aussi rapidement nous a agréablement surpris, et le choix des pilotes au niveau de la fourche est intéressant : Pauline va rouler avec la Sid SL Ultimate en 32 mm, c’est la plus légère, en 100 mm. Ça lui suffit pour ses deux vélos, car c’est ce qu’elle utilisait déjà en 2020. Les garçons, eux, ont choisi la SID Ultimate en 35 mm avec 110-120 mm de débattement possible : Mathis ( Azzaro) et Titouan ( Carod) vont donc rouler en 110 mm ; et Filippo ( Colombo) et moi, en 120 mm. Même si on est en 120, elle reste très légère, et les fourreaux plus gros, en termes de rigidité, c’est top ! Le tout complété par un disque en 180 mm devant. On a aussi fait des essais avec le Twostroke équipé de la petite fourche en 100 mm pour les garçons. C’est à voir… L’idée serait
peut-être d’optimiser encore le choix du hardtail pour son poids, donc rouler avec la 100 mm fait encore plus sens… On verra.
Donc cette année 2021, comment l’abordes-tu ? À vrai dire, je m’attendais à un début de saison plus normal, mais on voit que ça commence comme 2020 a fini, avec des annulations de courses, des déplacements annulés, comme celui que nous avions prévu en Afrique du Sud fin janvier… ça devient assez pénible. Mais pour le team, on est dans la continuité de 2020, car beaucoup de choses restent identiques : nous poursuivons avec BMC, la plupart de nos autres partenaires, quoiqu’avec la sensation d’avoir franchi une étape supplémentaire, puisque, il faut le dire, l’arrivée de Pauline ( Ferrand-prévot, ndr) donne une autre dimension à l’équipe.
Qu’est-ce que tu en attends ? On sait que l’attention médiatique se concentre sur quelques têtes d’affiche : trois ou quatre femmes, et idem chez les hommes. Or, quand tu as l’une de celles-là dans ton équipe, comme c’est le cas avec Pauline, tu sais que ton équipe sera plus regardée aussi, donc ça profite à l’ensemble du team – pilotes et partenaires – en termes de visibilité. D’autant que Pauline va rouler cette saison encore avec le maillot de championne du monde sur les épaules. Ça aussi, ça accroît l’intérêt médiatique. En 2020, avec Jordan, on a remporté un maillot de champion du monde, et cette année, avec Pauline, on va rouler avec. C’est différent. Mais je suis vraiment heureux d’avoir connu et de connaître les deux !
C’est dur de voir un de ses athlètes partir, surtout après son titre mondial, comme ça a été le cas avec Jordan ?
Oui, forcément. D’autant que Jordan est le premier top pilote Élite à m’avoir fait confiance. Il a évolué, passé un cap avec l’équipe, on a grandi en même temps, donc c’était une belle histoire qui s’était créée dès le début, alors évidemment, ça fait quelque chose de le voir partir. Mais c’est aussi la suite logique : les athlètes ont des contrats à durée très courte, et il existe un marché avec des transferts selon les opportunités, les projets de chacun. Le fait d’avoir connu ça en tant que pilote facilite le dialogue, je me mets à sa place… car j’y ai été ! et je sais qu’on doit faire des choix de carrière, surtout dans ses plus belles années. C’est important. Ce qui a rendu la séparation moins rude aussi, c’est que je savais que Jordan avait de la motivation pour vivre un nouveau projet. Il n’est pas parti parce que ça ne lui convenait pas ou que nous étions en mauvais termes, c’est une affaire d’opportunités pour lui… Ça aide.
L’arrivée de Pauline va-t-elle ouvrir la porte à une gamme de vélos BMC féminins ? Ça va féminiser la marque, oui, le vélo aussi, oui. BMC est une marque très premium, mais qui n’a pas pour le moment une image féminine, donc c’est intéressant aussi, car le haut de gamme et l’hyper-performance ne sont pas l’apanage des hommes, bien sûr !
Mener les carrières qui ont été et sont les vôtres, c’est le signe que vous avez une forte personnalité Pauline et toi. Mais n’est-ce pas compliqué de travailler vraiment ensemble ? Oui et non. On a déjà un peu mélangé les choses depuis un certain temps. L’un comme l’autre, nous sommes ultra pro, et on sait ce que l’on a à faire…
Qu’as-tu appris de ces trois ans de management ?
D’abord, ça m’a permis de rester dans le milieu que j’apprécie et connais le mieux. Et de mettre à profit toute l’expérience acquise durant mes années de compétition, c’était l’idée. Analyser ce qui était bien, moins bien, et le transmettre aux pilotes tout en continuant à vivre les émotions de la compétition d’une autre manière grâce à eux. Donc, j’ai découvert plein de choses ! C’est dur de se retrouver à devoir apprendre, ne pas être le meilleur tout de suite, faire des choses plus ingrates mais nécessaires pour que tout fonctionne. Il faut apprendre le management, les relations humaines… J’ai fait des erreurs, mais elles sont aussi passionnantes car elles te permettent d’avancer ! Quand tu es athlète, tu es totalement centré sur toi-même. Quand tu diriges, c’est tout l’inverse, il faut être ouvert, observer, comprendre ce qui fonctionne avec une personne mais ne va pas nécessairement marcher avec une autre. Ça apporte aussi au niveau personnel ! Dans ce rôle, le plus complexe pour moi a été d’apprendre la gestion, la comptabilité, monter un business plan… tout le financement, qui est le nerf de la guerre, et les démarches auprès des partenaires :
Quand tu es athlète, tu es totalement centré sur toi-même. Team-manager, c’est tout l’inverse.”
c’est là que j’ai été le moins à l’aise, car vendre n’est pas mon truc. Mais j’apprends…
Tu as eu des propositions pour changer de marque ? Oui, il y a deux ans. Financièrement, c’était plus intéressant, mais ça ne fait pas tout. Et c’est ce que je trouve bien dans l’histoire de l’équipe, cette continuité, cette relation de confiance. Et ce qui m’importe, c’est de proposer à mon équipe le meilleur matériel possible, donc j’ai privilégié ça, et l’inscription d’une histoire dans la durée.
Comment t’est venue l’idée de manager ? En tant qu’athlète, je pense avoir été là au bon moment et eu une carrière assez longue, jusqu’à 38,5 ans, c’est raisonnable. Donc sans vraiment y penser tous les jours, j’ai commencé à réfléchir à ce que je ne voulais pas faire : ni la course de trop ni devenir entraîneur ou acheter un magasin de vélos… ça a éliminé des pistes. L’idée de monter une équipe est venue après ma fracture de la clavicule en juin 2017, ça devait être ma dernière saison. Ça m’embêtait d’arrêter sur une année tronquée, je voulais continuer mais différemment. Alors j’ai créé ma structure en 2018 pour courir, mais de manière autonome. Mais là aussi, ma saison s’est arrêtée à cause de l’aggravation de mes allergies. Je n’ai rien prévu, mais quand au fin fond de l’allemagne, j’ai rencontré de grosses difficultés à respirer en course, que je n’ai pas pu finir ma course, je suis rentré à l’hôtel et j’ai dit à mon ostéo que j’arrêtais ma carrière. J’ai pris ma décision en quinze minutes. Et je ne l’ai pas vécu comme une déception ! Durant ma carrière de sportif, j’ai été pas mal épargné par les blessures : deux fractures seulement, donc mon corps m’a bien suivi. Là, j’y ai vu le signe qu’il fallait arrêter de lui tirer dessus. D’autant que le rôle de manager me plaisait de plus en plus, j’avais envie de transmettre, donc…
Et au final, c’est plus facile d’être pilote ou team-manager ? Pilote, ça, c’est sûr ! Car tu as une seule chose dont tu dois t’occuper, c’est toi-même ! Bien sûr, ça n’est pas donné à tout le monde, il faut à la base des aptitudes physiques, que tu vas ensuite travailler, alors que pour réussir dans un job classique, le travail peut suffire.
J’avais des aptitudes physiques, donc en un sens, je n’avais qu’à travailler, et je n’ai rien vécu comme du sacrifice : c’était ma vie, elle était entièrement consacrée à la performance. Ça ne laissait évidemment pas beaucoup de place pour autre chose ! Alors là, même si je ressens plus de contraintes dans le travail, je me sens aussi plus libre, je retrouve une vie plus classique, plus conventionnelle et, au fond, des libertés que je n’avais pas. C’est une deuxième vie, oui, mais totalement dans la continuité de la première ! Alors je n’ai pas de regrets. Il y a un temps pour tout, et ce que je vis aujourd’hui me satisfait. . . . .