Découverte
Les Alpes du Léman
C’est une petite pépite, enchâssée dans un territoire encore méconnu, éclipsé par ses plus célèbres voisins, Portes du Soleil et massif du Mont-blanc. Raison de plus pour découvrir avec envie Lullin et ses alentours, en compagnie de figures locales du VTT.
Depuis le temps qu’il nous en parle ! Propriétaire d’un appartement dans la petite station d’hirmentaz, Vincent Ancelin, qui officie par ailleurs pour Peugeot Cycles, n’avait de cesse de nous vanter les sentiers de son coin, nous assurant qu’il y avait matière à beau roulage. Comme l’homme a roulé sa bosse et à vélo (premier zeugma) aux quatre coins du monde, il s’avère plutôt au fait de ce qu’est une session de VTT mémorable. Une fenêtre météo providentielle en cet été automnal nous a fait sauter sur l’occasion et en selle (deuxième zeugma) afin de découvrir ce petit bout de montagne discret dressé non loin du lac franco-suisse du Léman. « Je vous présenterai aussi Meumeu, vous allez voir, c’est un personnage ! », avait assuré Vincent. Avouez que ça pique encore un peu plus la curiosité. Rendez-vous est donc donné dans le petit village de Lullin, chez le fameux Meumeu, Nicolas Masse de son vrai nom, à la tête de la marque de vélos français sur-mesure Égérie ( voir encadré “Rencontre”). Un rapide calage sur le plan de bataille de la journée et nous voilà en route vers Très-le-mont. À 1 350 mètres d’altitude, l’alpage piqueté de vaches abondances et montbéliardes déroule son tapis vert aux parapentistes, qui y profitent d’un décollage magnifique avec vue sur le lac mille mètres plus bas. Les Alpes du Léman portent bien leur nom. Le restaurant-auberge familial “Au Petit Savoyard” y a pris ses quartiers depuis plus de quarante ans. Les produits locaux et la générosité des assiettes (on n’est pas venu à bout de la crème dans laquelle nageait savoureusement la féra, et on s’est intérieurement félicité de ne pas avoir commandé le Repas du Petit Savoyard qui, avec son enchaînement charcuterie-omelette aux herbes-plateau de fromage, nous aurait obligés à la sieste postprandiale !) ont droit de cité dans cette ancienne ferme agropastorale. L’endroit est aussi réputé pour constituer le point de départ d’une randonnée familiale vers le joli mont Forchat, deux cents mètres plus haut. Si on y ajoute un soupçon d’humour graveleux au masculin, rien d’étonnant, dès lors, à ce que notre première spéciale secrète du jour ait hérité du nom de « Forchatte ».
Shapers locaux
On se lance à son assaut après une belle grimpette bien raide qui ne laisse aucun doute sur l’identité alpine du territoire. La trace déroule à flancs de montagne. Le revêtement a gardé une petite humidité qui fait glissouiller les racines et les pierres rencontrées, mais rien de méchant pour nos comparses. Avec une poignée d’amis, Nico a ouvert le bas de la trace, quittant le sentier de randonnée emprunté par les promeneurs. Entre les sapins, leur
Pas de foule, des randonneurs souriants au milieu de paysages riants… une vraie pépite pour le VTT !
cuisine shapée aux petits oignons tournicote sur l’humus chargé d’aiguilles avec des airs de Vosges qui contrastent avec la vastitude de l’ambiance montagne que l’on retrouve peu avant d’attaquer l’autre beau morceau du jour : le Chable. « C’est l’une des pistes les plus roulées, assure Nico. Les orages de cet été ont bien tout ravagé et ça donne un passage aux airs de coupe du monde sur le bas. » Bien, bien, bien… Mais même si la ligne est la plus connue de celles roulées par la petite bande de furieux amoureux du bel enduro, il faut bien avouer qu’on n’a pas croisé un chat par ici non plus… et c’est tant mieux ! La ligne serpente entre les arbres, puis la pente s’accentue. L’inclinaison a invité la pluie à creuser la sente, qui prend des airs de canyon percé à mesure qu’on descend. Une shunte évite joliment le point le plus chaud, qu’on rafraîchira un peu plus tard à l’eau de la source de la rue de la Croix, histoire d’arroser sobrement cette première journée (non, mais en fait, c’est juste que les stops photo ne nous ont pas laissé le temps d’aller déguster la bière locale promise chez Nico…).
Nifflon, très bon
Au lendemain matin, un stop à la boulangerie de Lullin où le muffin aux fruits rouges et le moelleux aux
pommes tiennent la vedette, et on arrive bien garnis au garage-atelier de Nicolas. Pas de quoi se laisser impressionner côté calories par le programme du jour, qui comprend apparemment un joyeux « pousstage » (prometteur mélange de poussage et portage de vélo) de trois quarts d’heure. « Mais tu vas voir, c’est pour faire “Nifflon”, le plus beau run de la région », rassure Vincent. Ah bah, alors, si c’est pour Nifflon et la région…
La petite route se transforme en sentier qui grimpe sur les pentes alentour de Bellevaux. Le rocher y abonde et la pellicule de rosée rend son accroche bien délicate. Au détour d’un bouquet de racines, Nico met pied à terre. Il pose l’égérie contre un arbre du bois de Viret et file dans les fougères. « Venez, j’ai un truc à vous montrer… », lance-t-il d’un air malicieux. À quelques dizaines de mètres du sentier, imperceptible pour qui n’est pas au courant, un gouffre plonge vertigineusement dans les entrailles de la terre. Deux plaquettes indiquent qu’il s’agit d’une entrée spéléo. Renseignements pris, le gouffre de Tré-l’avouille, aussi peu poétiquement nommé « BV 63 », a été découvert en 1972 par la Société de spéléo du Chablais. Depuis bientôt un demisiècle, il livre ses 200 mètres de profondeur aux explorateurs qui souhaitent accrocher l’une des plus profondes cavités du Chablais à leur palmarès. Un léger penchant claustrophobe et des abords glissants nous retiennent de pousser plus avant la découverte du sous-sol karstique du coin. On préfère définitivement rouler dessus… ou marcher. Puisque vient le moment du portage, ligne de vie main
Les Alpes du Léman étoffent doucement mais sûrement leur offre vélo. La volonté politique y est, le territoire aussi.
gauche au menu. Une petite dissertation sur la technique idoine, apparemment venue du Chablais suisse, et on débouche dans les alpages de Nifflon-d’en-bas. De petits chalets recouverts de tavaillons, ces tuiles en bois typiquement hautsavoyardes, nous accueillent dans un paysage qui déroule la diversité des reliefs sous nos yeux : des sommets effilés des Dents du Midi, le massif du Mont-blanc, la chaîne des Aravis, des courbes plus rondes façon Jura et, au loin, le lac Léman… On ne s’ennuie pas côté géologie par ici !
Haberus bike-park !
Un dernier effort pour pousser les vélos sur la butte sommitale, et nous parvenons à la croix du Rocher de la Mâche. La vue plonge sur Bellevaux et la vallée du Brevon, qui, avec les vallées Verte et du Risse, constituent le territoire des Alpes du Léman. « Tu vas voir, la descente est magnifique », prévient Vincent. Je soupçonne un peu de chauvinisme. La suite me donnera tort. Le sentier est une merveille de trail all-mountain, à partager avec les quelques randonneurs croisés. Nous passons des alpages aux bois, puis des sapins au bord de torrent… impossible de ne pas se dire qu’on tient bien là une de ces pépites encore discrètes dont on a envie de profiter un peu jalousement. Mais on ne va pas faire nos râpes, hein ! Alors on vous confie volontiers que cette trace est d’une beauté et d’un équilibre technique/ ludique parfaits. Mais on compte sur vous pour éviter de l’ébruiter auprès de gens irrespectueux du travail mené ici. Histoire qu’on reste en bonne compagnie (sourire smiley avec les dents, voyez le genre ?). Un petit coup de shuttle propre au reportage, et nous regagnons Habère-poche, mignonne station qui a fait du festival Rock en Poche son fer de lance, et qui mise désormais sur le VTT pour se faire connaître. La preuve, la municipalité vient d’ouvrir deux nouvelles pistes de DH, tracées par le descendeur Romain Paulhan, désormais à la tête de sa société PRP Tracks. Attablés à l’incontournable Auberge du Bois-noir (un super spot !), nous y sommes rejoints par Vincent, le maire, qui arrive sur son Moustache Trail électrique,
Thibaud, élu convaincu par la pertinence du vélo dans ses montagnes, Seb, chef d’exploitation, et Max, responsable du service des pistes et enfant du pays fraîchement embauché pour gérer le bike-park en plein essor. Des tomates rôties au reblochon, un goulasch et une coupe d’abricots melba plus tard, et nous montons confortablement lestés sur le tranquille télésiège du Darandet. De son pied, vous pourrez parcourir et/ou coupler l’un des 5 itinéraires VTT balisés de 2,7 à 7 kilomètres. Et du sommet, les nouvelles Darandel (bleue, 1,8 km, 220 m de D-) et Dré Bas (rouge, 1,4 km, 220 m de D-) vous attendent. On va commencer dans l’ordre : la Darandel affiche la couleur. Ici, c’est plutôt bleu foncé. En fait, non, c’est simplement bien une piste de DH et non d’enduro. Et si Romain Paulhan en a assuré le flow, il n’a pas lésiné non plus sur les options de doubles et de sauts. La Dré Bas confirme bien qu’à l’image de Ben, guide à la tête de Bike Experience, et Pat, ex du team de Jean-pierre Bruni, les descendeurs les plus aguerris se feront plaisir, tandis que les moins adeptes de river gaps profiteront des « plans B » permettant d’éviter les plus musculeux passages. Bien sûr, le site n’en est qu’à ses débuts, et il en garde la convivialité des commencements. Mais portée par la volonté d’une municipalité bien décidée à tirer profit de son emplacement proche du Genevois, l’équipe du bike-park des Habères confie qu’une verte familiale est en projet, tout comme l’aménagement des alpages communaux, desservis par le télésiège des Crêtes. Alors, si vous aimez être aux balbutiements d’un endroit qui cumule les atouts d’un site naturel magnifique rayé de sentiers variés, d’un bike-park tracé par un pro, d’adresses locales gourmandes, on ne peut que vous conseiller de faire un tour du côté des Alpes du Léman.