VTT Magazine

Tokyo avec eux

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■ Pauline Ferrand-prévot 10e de la course femmes après une chute et une crevaison arrière

« Une semaine après, je n’ai toujours pas forcément envie d’en parler, et j’ai aussi l’impression que les gens ne comprennen­t pas qu’il me faut du temps. On réagit tous différemme­nt… Mais de mon côté, c’est forcément toujours un peu dur. Les Jeux de Rio ( sur lesquels Pauline avait abandonné sur blessure dans un contexte très difficile physiqueme­nt et personnell­ement, NDR) m’ont forgé le caractère, peut-être un peu trop, d’ailleurs. Je m’aperçois que je suis parfois dure avec les gens, parce que même mes proches, je suis incapable de les appeler pour leur raconter. Mais il faut se rendre compte de ce que c’est – pas seulement l’imaginer, mais essayer de le vivre – : tu travailles pendant cinq ans et en une heure et demie, c’est bâclé. Pour pas grand-chose au final… J’ai d’autres objectifs, j’ai vraiment eu besoin de me projeter rapidement dans la suite, de me remobilise­r, mais je n’ai aussi tellement vécu que pour ça, tellement tout fait pour y arriver. Peut-être que je prends trop les Jeux comme un truc de fou… Quand je vois que Jolanda se casse la main un mois plus tôt, qu’elle n’arrive pas forcément au mieux de sa forme physique sur la course et que ça le fait, je me dis qu’il faut peut-être que je prenne un peu plus de recul par rapport à cet événement. Mais j’aime vraiment tout mettre en place pour un objectif, c’est mon tempéramen­t aussi. Ce qui me met en colère, c’est qu’on s’était tous mis dans la tête qu’il allait faire super chaud et que le circuit en lui-même serait super technique. Au final, il a plu toute la nuit la veille et ils ont changé le circuit, c’est devenu une patinoire. Plus j’y pense et plus je me dis que j’avais véritablem­ent tout prévu sauf ça. Bien sûr, on avait tout le matériel pour, on a monté les pneus boue, préparé la paire de rechange, mais au fond, je ne m’étais pas projetée dans la réalité de ce scénario. Donc, en un sens, je n’étais pas prête à courir dans ces conditions-là. Et puis il y a mon interpréta­tion de l’attitude Jolanda, que je connais quand même par ailleurs, la chute qui en découle et cette crevaison sur un truc bête. Je ne dirai jamais “C’est la faute à pas de chance”, ce n’est pas vrai, je suis passée plein de fois sur ce rocher à allure course et je n’ai jamais crevé ! Mais la déception de ces Jeux tient à un chiffre, une place, parce que tout le reste s’est super bien passé. Je suis arrivée, j’étais heureuse d’y être avec le staff et on s’est super bien entendues avec Loana. Plus la course approchait, plus je voyais son stress monter, alors j’ai essayé de lui dire que ça allait bien se passer, que je n’étais pas là pour lui mettre des bâtons dans les roues, donc tout s’est dénoué, ça nous a libérées. Je n’aime pas le conflit, ça ne sert à rien. Mon but, c’est d’être heureuse et je ne le suis pas si les autres sont malheureux. Une fois rentrée en France, je n’ai pas participé à la tournée des médias. Je n’avais aucune envie de me faire démonter par des gens qui, au fond, ignorent tout de ce qu’est la vie d’un sportif de haut niveau et n’ont pas envie de la comprendre. Ça ne m’intéresse pas. Donc grâce aux réseaux sociaux, j’ai dit ce que j’avais à dire, à partager avec les gens qui me suivent, et je les remercie de leur soutien. Je n’avais rien de plus à ajouter, pas l’envie de me répéter non plus, ni de me faire du mal à revivre ce moment à travers ces explicatio­ns. Je n’ai pas lu les articles, ça ne m’intéresse pas – plus – de m’autoflagel­ler avec ce qu’on peut penser de moi. Je préfère passer à autre chose. Donc j’ai coupé complèteme­nt, pris du temps pour moi au calme afin de faire le point. J’ai passé du temps en famille. Et ma grand-mère a eu la présence d’esprit de me rappeler ce proverbe : “Jamais deux sans trois”, elle a ajouté : “Voilà, c’était la troisième, c’est fini. La malédictio­n sur les Jeux est partie !” En un sens, ça m’a libérée. Vraiment, il faut toujours écouter sa grand-mère. »

■ Jordan Sarrou 9e de la course hommes après avoir lourdement chuté l’avant-veille

« Pour mes premiers Jeux, c’était une sacrée expérience ! Ça reste vraiment un bon souvenir, même si le résultat n’est pas celui que j’attendais. Je suis forcément aussi déçu, mais je n’ai pas de regret car ma prépa était vraiment excellente, j’étais prêt physiqueme­nt quand je suis arrivé à Tokyo. Tous les chiffres étaient au vert physiqueme­nt sur mes intensités, j’ai presque réalisé des records alors que ce n’était pas prévu. Mais deux jours avant la course, j’ai fait une erreur à l’entraîneme­nt, une roue avant un peu trop à gauche… Or, sur ce circuit, c’était au millimètre, et ça m’a coûté vraiment cher ! Je ne pouvais plus lever le bras, j’ai encore mal au genou aujourd’hui, donc ça ne m’a pas permis d’être à 100 % le jour J. Merci en tout cas au staff médical, j’ai passé les deux dernières après-midi à faire des soins avec eux. Pour la course, j’y suis allé au mental, je ne sentais rien, je suis parti en mode diesel, j’avais vraiment du mal à monter dans les tours, alors je me suis accroché et j’ai essayé de lisser l’effort au maximum, ce qui m’a permis de décrocher un top 10. Aujourd’hui, je suis un peu nostalgiqu­e, car cette semaine est passée malgré tout très très vite… même si on a essayé d’en profiter au maximum tous ensemble, mais maintenant, c’est rendez-vous dans trois ans. » • Le moment dur : « Ma chute, vendredi, et la course des filles. On était en mode staff avec Victor, à bloc dedans, et après l’arrivée, c’était fini, sans résultat à la clé collective­ment… C’est vraiment dur de partager tout ça. » • Le moment fort : « Le partage avec le staff. J’ai vraiment des affinités avec Didier et Yvan… Le débriefing après la course des filles a été très intense émotionnel­lement, chacun a dit ce qu’il avait à dire et c’était vraiment génial car personne ne s’est caché, on s’est tous dit ce qu’on avait à dire et ça, c’est très positif. Avec Victor, on a roulé ensemble dans le team BH devenu Orbea. Ensuite, on n’était pas resté vraiment en contact, mais sur place, tout s’est vraiment bien passé, avec de beaux souvenirs. C’était cool de partager cette histoire avec lui. Le sport procure des émotions intenses, c’est aussi pour ça que je le fais, mais tout le monde ne peut pas comprendre ce qu’on ressent. Alors, pour ma part, je suis reparti de Tokyo avec une seule chose : l’envie de retourner aux Jeux, et d’aller au bout, pour décrocher une médaille. »

■ Loana Lecomte 6e de la course femmes après avoir déraillé

« Je dirais que j’ai hyper bien vécu ces Jeux, mais je ne me suis peut-être pas rendu compte du stress et de l’énergie que je dépensais. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, bien sûr, je suis arrivée en ayant dans un coin de la tête “une médaille si possible”, mais après la course, après les sensations que j’avais eues, je me suis dit que je ne pouvais pas avoir de regrets, que j’avais tout donné, donc que je devais aussi être contente de ce que j’avais vécu sur cette première édition. Mais les commentair­es autour ne m’ont pas renvoyé ça. Moi qui ne les regarde jamais sur les réseaux sociaux, je comprends mieux pourquoi ! D’ailleurs, c’est drôle, ce matin, j’ai regardé les images de la médaille d’or de Jean Quicampoix avec un ami et je lui ai dit : “Tu as vu, on a eu une médaille d’or !” Mais en fait, ça n’est pas nous, c’est lui. Ce qu’il fait, c’est pour lui. Tout le monde oublie et se l’approprie, même au niveau politique, mais cette médaille appartient au sportif et à l’équipe. On le fait d’abord pour nous, pas pour les autres. »

• Le moment dur : « Deux jours avant, j’ai chuté bêtement aux entraîneme­nts à cause d’un manque de concentrat­ion sur une descente un peu fuyante. J’ai eu de grosses courbature­s dans le haut du corps, mal à la tête, aux cervicales, mais je ne voulais pas que ça se sache et que le staff voie que j’étais affectée ou leur mettre du stress en plus, puisque Jordan était aussi tombé le matin même. Le plus dur a été de faire comme si tout allait bien, de m’en persuader pour que tout aille bien le jour de la course. Je ne voulais en parler à personne et quand mes parents ont vu que je m’étais écorchée, ils m’en ont parlé et ça m’a énervée contre moi-même. » • Le moment fort : « Après la course, quand on était tous ensemble dans le car, on sentait que tout le monde décompress­ait, c’était vraiment bien. On était soulagés, en quelque sorte. Je garde aussi en mémoire le débriefing à chaud, le mot d’“échec” qui a été lâché. J’en avais les larmes aux yeux, jusqu’à ce que Pauline et Victor prennent la parole pour répondre que non, ce n’était pas un échec. Là, j’ai senti qu’on était vraiment une équipe, soudée. » • Ce qu’elle ramène de Tokyo : « De l’expérience, je ne m’en rends pas encore compte, mais j’y pense beaucoup. Et quand je regarde un peu les JO à la télévision, après quelques minutes, je réalise que moi aussi, j’y étais et ça me fait un pincement quand je vois qu’on ne parle que des médaillés. J’en sors grandie, je dirais que c’est le mot. En dehors de la performanc­e sportive, on a eu une belle équipe soudée. Les gars après leur course sont venus nous faire un câlin, à Pauline et moi, on s’est soutenus tout du long, même après les courses, ça n’a pas de prix ! Ah, et sinon, je me suis aussi acheté un magnet à l’effigie des Jeux pour le frigo, comme ça, je le verrai tous les jours, et j’ai échangé des pin’s avec tous les pays ( rires) !»

■ Victor Koretzky 5e de la course hommes

« C’est ma deuxième expérience sur les Jeux, donc j’ai pu comparer avec Rio, et c’est sûr qu’être hors du gros village olympique, c’est spécial, il n’y a pas vraiment d’ambiance, mais la Fédé avait bien géré et mis tous les moyens possibles pour qu’on se retrouve dans de bonnes conditions, et il n’a pas manqué grand-chose pour le podium, 12 secondes. » • Le moment dur : « Il y a eu la déception de ma course d’abord, mais je suis vite passé à autre chose car je savais que je n’avais rien à regretter, j’avais tout donné, je m’étais arraché jusqu’au bout, je n’avais pas fait d’erreur en course… Le plus dur a été la course des filles, les voir pas dans le match alors qu’elles avaient tout fait pour, c’était vraiment triste. Surtout qu’avec Jordan, on avait pris les talkies et fait partie du staff, on était à fond derrière elles, on les encouragea­it. »

• Le moment fort : « Franchir la ligne d’arrivée. J’étais à la fois triste – on va tous aux Jeux pour décrocher une médaille et, contrairem­ent à ce que j’ai pu lire, je n’ai pas temporisé, c’est Valero qui est rentré avec une vitesse folle sur le dernier tour –il a d’ailleurs signé les quatre meilleurs temps au tour et, sur le dernier, il était plus rapide que tout le monde – et a vraiment fini hyper fort ! Et j’étais aussi content de voir ce cycle qui se termine et de refermer ce chapitre. Il y a plein d’émotions mélangées. »

• Ce qu’il ramène de Tokyo : « Je suis revenu de Rio avec pas mal d’expérience et, là, je repars vraiment avec de l’assurance : on m’a souvent vu comme un outsider, irrégulier, mais maintenant, je crois que j’ai montré que je savais être régulier, cibler et atteindre des objectifs. Je vais avoir 27 ans fin août, je sens que j’arrive dans une période où je suis fort, capable d’être constant, donc je sais que je suis potentiell­ement médaillabl­e et je veux tout optimiser – ma prépa, mon entraîneme­nt – pour. »

 ??  ?? Quand le rêve de médaille se dérobe pour des athlètes qui y ont consacré des années de travail, il reste à montrer d’autres valeurs, ténacité, esprit d’équipe et courage en tête.
Quand le rêve de médaille se dérobe pour des athlètes qui y ont consacré des années de travail, il reste à montrer d’autres valeurs, ténacité, esprit d’équipe et courage en tête.
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 ??  ?? Le sourire des Françaises à l’arrivée sera d’abord un refus de l’abattement, le sacre d’une aventure humaine… et le début du chapitre de la revanche sur ces Jeux qui se sont refusés à l’équipe de France malgré sa force.
Le sourire des Françaises à l’arrivée sera d’abord un refus de l’abattement, le sacre d’une aventure humaine… et le début du chapitre de la revanche sur ces Jeux qui se sont refusés à l’équipe de France malgré sa force.
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 ??  ?? Comme un carnet de vacances pour ce qui n’en a pas été. Et si les tablettes sont restées vides de médailles, ces Jeux sont pourtant loin d’avoir été vains. À chacun de regarder le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Comme un carnet de vacances pour ce qui n’en a pas été. Et si les tablettes sont restées vides de médailles, ces Jeux sont pourtant loin d’avoir été vains. À chacun de regarder le verre à moitié vide ou à moitié plein.
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