Laurent Delorme
Team-manager Specialized Gravity
Laurent Delorme ne monte pas sur les podiums. Son rôle, c’est de tout mettre en place pour que ses pilotes y accèdent, dont Loïc Bruni, vainqueur en 2021 de la Coupe du monde de DH au sein du team Specialized Gravity, une équipe qu’il dirige avec son agence Pureagency.
Tu es un peu l’homme de l’ombre derrière les succès de Loïc Bruni en DH, celui qui met les autres en lumière. Explique-nous quel est ton rôle avec ton agence Pureagency, et ta fonction dans l’équipe Specialized Gravity ?
J’ai créé Pureagency en 2007 dans le but de proposer des solutions clés en main pour les marques. La compétition de haut niveau, ça demande de l’expertise, des talents, de la flexibilité et, en interne, les marques n’ont pas toujours ces ressources à disposition. On leur apporte tout ça via notre structure indépendante, en relation constante avec les bureaux de recherche et développement, les chefs produits, le marketing. On a travaillé durant huit ans avec Lapierre et, depuis six ans, on collabore avec Specialized et le team Specialized Gravity, avec les pilotes Loïc Bruni, Finn Iles, Christopher Grice. On s’occupe aussi de la gestion administrative du team Specialized en enduro, puis on lance en 2022 un nouveau programme avec quatre jeunes espoirs.
Pourquoi une marque aussi puissante et structurée que Specialized fait-elle appel à une petite structure française indépendante plutôt que de tout gérer en interne ?
Je pense que la clé du succès est la relation de confiance qu’on peut établir entre les athlètes et le staff technique. C’est dur d’arriver comme ça, de former l’équipe idéale. Nos clients nous demandent de remplir certaines missions, mais ils ne nous demandent pas comment on le fait, c’est à nous de mettre les bonnes personnes au bon endroit. Je prends l’exemple de Jack Roure, notre chef mécano qui s’occupe de Loïc Bruni depuis le début, c’est un profil atypique qui aurait du mal à trouver sa place dans une entreprise classique, mais qui est pour nous un élément incontournable, une présence indispensable.
Justement, qu’est-ce que vous apporte Jack Roure sur le plan technique, et comment travaillez-vous avec les équipes de développement Specialized ?
Ça fait presque vingt ans que je travaille avec Jack. On dit “chef mécano”, mais il a autant de compétences qu’un ingénieur pour développer certains produits ! Ce sont des échanges permanents avec les ingés des bureaux d’études, que ce soit celui dédié aux cadres, aux trains roulants, à d’autres composants. Là, depuis un an et demi, on a des meetings toutes les semaines avec les équipes Spe’ en Californie, ce sont des échanges ouverts, sans limite ni contrainte. On a créé une formule 1 ! Le but n’est pas de faire un vélo qui va à tout le monde, mais qu’il permette à nos athlètes d’aller toujours plus vite. Par exemple, le vélo de DH actuel est sorti en roues de 29” mais Loïc a voulu tester le “mulet” (29/27.5) et ça lui convenait mieux. D’ailleurs, ça a été ensuite repris sur des modèles de série !
La pandémie qui a sévi sur ces deux dernières saisons, ça vous a compliqué la tâche ?
Oui, énormément. Heureusement, Specialized a été un vrai partenaire, fiable dans ses engagements malgré le manque de visibilité, les courses annulées… La pandémie nous a gênés dans notre programme de test, avec moins de journées d’essai et de préparation sur le terrain, des déplacements compliqués. Ça nous a aussi gênés dans les chaînes d’approvisionnement : on a parfois fait durer le matériel un peu plus longtemps par manque de dispo de certaines pièces, on a refait des roues plutôt que de les remplacer, etc. On a réussi à travailler correctement, mais de façon moins confortable. On a tout de même eu une vraie saison sportive, malgré les annulations, les restrictions.
Loïc Bruni a certes remporté la Coupe du monde de DH l’an passé, mais il ne s’est pas montré aussi dominateur que les saisons précédentes. Comment expliquer cette saison en dents de scie ?
Clairement, la motivation est toujours là, l’entraînement toujours plus qualitatif : il n’y a pas d’usure mais Loïc a un peu galéré l’an passé dans sa préparation en chopant le Covid juste avant le début de saison, puis il a souffert avec des douleurs aux cuisses suite à des hématomes, et une espèce de verrue dans la paume de la main, il n’est pas arrivé à 100 % de ses moyens. Puis la concurrence se rapproche, tout le monde travaille dur. On avait peut-être un peu d’avance sur le plan technologique avec notre maîtrise de l’acquisition de données et d’autres petits secrets grâce à Jack, mais ça s’est resserré. La DH est un sport mécanique exigeant et un click de suspensions en plus ou en moins, ça peut vite faire quelques
dixièmes de différence…
Alors, qu’est-ce qui va changer pour cette nouvelle saison ?
Déjà, jusque-là, toute la préparation s’est parfaitement déroulée pour Loïc, on a pu suivre tout notre programme, valider nos options avec les équipes R&D Specialized. Et on va essayer des choses un peu nouvelles cette année, il y a des trucs dans les tuyaux ! La chance que l’on a avec Spe’, c’est que ce n’est pas une marque de suiveurs, ils aiment l’innovation. Ça prend un peu plus de temps que de copier, mais c’est beaucoup plus intéressant.
Quels objectifs pour 2022 avec Loïc ?
Les objectifs sont très clairs ! Les victoires, c’est pas fini, puis Loïc est encore tellement jeune qu’il y a des records qui peuvent tomber. Faut continuer à bosser dur pour viser le numéro 1 ! Il n’y a personne en particulier qui nous fasse peur, on n’est pas obsédé par les autres, on essaye juste de se donner les moyens d’être les plus rapides. Et sincèrement, je n’ai pas l’impression que pour cette saison à venir, il y a quelqu’un qui soit largement au-dessus de Loïc.
L’après Bruni, tu l’envisages déjà ?
Non, je ne l’envisage pas vraiment pour notre structure, à moins qu’il veuille partir, mais je n’ai pas cette impression. Bien sûr, Loïc est de plus en plus exigeant, toujours plus précis, il sait exactement ce qu’il veut pour arriver à ses objectifs, et peut-être qu’un jour ce qu’on lui propose ne lui suffira plus… Derrière, on a l’équipe enduro avec Specialized, un programme junior qui se met en place. Mais cette grande histoire avec Bruni, on ne pourra sans doute pas la refaire cinquante fois, il faut la vivre à fond jusqu’au bout, puis on verra pour la suite !
Je n’ai pas l’impression qu’il y a quelqu’un qui soit largement au-dessus de Loïc”