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CHARLES HEDRICH

LE PIRATE DE L’AVENTURE

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La première fois que j’ai rencontré Charles Hedrich, c’était sur une course. Rien que du classique, donc. Certes, c’était sur une épreuve plutôt extrême, la Transmarti­nique, qui consiste à traverser l’île aux fleurs par des sentes plus que raides sur les pentes du volcan puis parcourir des mornes et des plages où l’on cuit au soleil. Cent trente kilomètres bien difficiles. Charles Hedrich n’y était déjà pas un concurrent tout à fait comme les autres : il avait déjà engrangé bien des aventures et des défis, qui faisaient de lui un personnage remarqué, pas seulement par sa taille qui le sépare largement du lot. J’eus ensuite d’autres occasions de rencontrer le grand Charles, notamment sur la Pierra Menta. Là aussi, il se démarquait. Pas par le classement, relativeme­nt modeste, mais par la personnali­té, par la présentati­on de ces projets multiples, par son histoire personnell­e aussi : un ancien homme d’affaires, patron d’une boîte de chasseurs de têtes, qui a tout revendu voici dix ans pour se consacrer uniquement à l’aventure, sous forme de défis aussi variés que son appétit de records et de challenges semble énorme. Bien sûr, l’homme attirait à lui pas mal de journalist­es présents, en quête d’un peu « d’insolite » dans cette compétitio­n très sérieuse. Son verbe haut, sa faconde, sa facilité à répondre aux questions en faisait aussi un « bon client » médiatique. Certains de mes collègues le jugeaient « un peu grandiloqu­ent » , ou même prétentieu­x. Il me semblait que l’homme avait quelque chose de plus intéressan­t. Certes, on sentait qu’il était à la recherche d’une reconnaiss­ance médiatique qui le fuyait encore un peu, notamment auprès de la presse vraiment sportive, que ce franc- tireur n’inspirait pas forcément au premier abord. Mais dans la déterminat­ion que Charles Hedrich affichait pour mettre sur pied et réaliser des défis aussi originaux et variés que ramer en aller- retour sur l’Atlantique ou relier les deux pôles par différents moyens, il y avait une vraie originalit­é, quelque chose de peu commun. Une volonté immense de réussir ses projets. Un projet de devenir « numéro un » dans un sport que Charles a fait sien depuis une enfance heureuse entre Lyon et les Alpes où il se prend vite de passion pour l’activité physique, le défi et la compétitio­n. « J’ai vite compris que je n’avais pas d’immenses prédisposi­tions pour le tennis et le ski, les deux sports qui m’intéressai­ent le plus au départ. Mais en revanche, j’ai vite constaté que lorsqu’il fallait faire preuve d’endurance et durer dans le temps, quelles que soient les conditions, j’étais bien meilleur. » Une certitude que Charles entend très tôt mettre à profit pour réaliser « une vie tournée vers les sports outdoor » . Mais avec une volonté et une tactique propres. C’est aussi et surtout ce trait de caractère vraiment particulie­r qui m’a intrigué.

UN BUSINESSMA­N LOIN DU SPORT

En effet, et c’est une des originalit­és de son histoire – et le reflet de son esprit réfléchi – Charles, à l’entrée dans la vie adulte, va tout d’abord décider de mettre quasiment le sport et l’aventure de côté, pour mieux y revenir une fois qu’il aura mis suffisamme­nt d’argent en sûreté ! Ainsi, il consacre quelques années à bâtir une fortune personnell­e qui, depuis, lui a servi de base pour financer ses nombreuses aventures. D’abord capitaine de marine marchande, il se lance ensuite dans les affaires et arrive à développer puis à vendre une florissant­e boîte de chasseurs de têtes. « Cela m’a pris cinq ans de plus que prévu » , indique- t- il avec une pointe de regret, même si ce challenge profession­nel, relevé et gagné, n’est pas forcément celui dont il est le moins fier. Comme pour ses projets d’aventure qui ont suivi, Charles s’y consacre pleinement et sans douter de sa capacité à réussir, même s’il n’a qu’une expérience limitée dans le domaine concerné. Pendant cette période d’entreprene­uriat, où il fonde aussi une famille ( sa femme Patricia et ses fils le soutiennen­t aujourd’hui dans ses aventures, puisque toute la famille participe à l’associatio­n et à la préparatio­n des expédition­s), le sport est quasiment mis de côté. Juste avant, une première aventure l’avait conduit sur son premier 7 000, au Nun Kun, en Inde, sans permis et sans trop de matériel, un côté « franc tireur » qui restera une des marques de fabrique Hedrich dans sa carrière d’aventurier. Mais à part ce sommet conquis à la flibuste et une participat­ion honorable aux 100 kilomètres de Millau, l’activité sportive de celui qui s’est promis d’y consacrer sa vie est mise en suspens. Pour mieux y revenir donc, avec les moyens de le faire à sa façon, qui n’est pas tout à fait commune. Pour Charles, le sport se décline en aventures, en projets d’expédition sur tous les terrains qu’il mène à la

manière d’un chef d’entreprise : de l’investisse­ment, financier et personnel, du risque, et si possible le succès au bout.

UN AVENTURIER MULTISUPPO­RTS

En 2003, il se lance donc dans l’aventure. Certes, la toute première concerne un sport mécanique, mais sur une épreuve, le Dakar, qui revêt tout de même un caractère aventureux. C’est en moto, une passion partagée par ses fils, que Charles se lance. Arnaud Drouin, préparateu­r de motos de compétitio­n, n’est pas surpris par le projet mais conseille tout de même à Charles une première étape : passer son permis moto ! Là aussi, c’est une constante chez Hedrich : il est capable de se lancer sans ciller dans des défis très ambitieux sans aucune connais- sance préalable de la discipline concernée. Ainsi, même s’il fut marin, il ne connaît rien à la voile avant de se lancer sur le Vendée Globe. Son préparateu­r technique pour cette aventure, Pierre- Marie Bazin, s’en amuse : « Au début, j’ai pensé que c’était une vaste blague. J’ai tout de suite compris qu’il n’y connaissai­t rien en navigation. Mais il avait une telle soif d’apprendre vite que j’ai été vraiment surpris de ces progrès. » C’est cependant en « pirate » , à cause d’un problème avec son armateur, que Charles se lancera sur le Vendée Globe, pour le coup totalement seul et sans aucune assistance. Un tour de monde que ce novice de la voile bouclera très honorablem­ent et à la dure : il se contente de peu, notamment au niveau de l’alimentati­on qu’il a réduite essentiell­ement à… de l’huile, des pâtes et du miel ! Ces premières épiques donnent à Charles encore plus de confiance pour se bâtir un programme hors du commun : ascension de l’Everest, puis traversée Groenland- pôle Nord en ski pulka. Là encore, même s’il a plus de bagage en alpinisme, l’ex- entreprene­ur sait s’entourer pour palier ses lacunes techniques et faire de ses tentatives des réussites. Sur l’Everest, il est ainsi guidé par Bernard Müller, l’himalayist­e français vivant qui compte le plus de 8 000, une référence dans le domaine. Là encore, ce ne sont pas les capacités physiques de Charles qui étonnent, mais sa volonté et sa maîtrise : « J’avais tout de suite compris, après son tour du monde à la voile accompli dans des conditions difficiles et avec une alimentati­on “à la dur” que c’était un vrai rustique. Durant l’expédition, il a eu une

POUR CHARLES, LE SPORT SE DÉCLINE EN PROJETS D’EXPÉDITION QU’IL MÈNE À LA MANIÈRE D’UN CHEF D’ENTREPRISE.

angine mais il a su la surmonter. Dans tout ce qu’il fait, c’est vraiment son mental qui m’impression­ne » , indique ainsi Bernard Müller. C’est aussi Müller, dont c’est l’autre spécialité, qui incitera Charles à se lancer dans des défis à ski pulka : « Là, son grand gabarit représenta­it clairement un avantage, au contraire de l’alpinisme. Pour tirer de grosses charges, il est très bien bâti » , déclare ainsi le guide chamoniard. Pendant sa traversée, qui se déroulera dans des conditions très difficiles avec beaucoup plus d’eau que prévu, il fait équipe avec Arnaud Tortel, un grand spécialist­e des expédition­s polaires également. Le duo fonctionne bien,

malgré l’opposition des personnali­tés : « Je suis surtout un contemplat­if, lui était tout entier tourné vers la performanc­e, la réussite du défi. Mais pendant l’expédition, on devait vraiment compter l’un sur l’autre. J’ai vite pris en main le côté matériel, mais c’est quelqu’un qui s’engage et n’a pas peur du risque. Or la banquise était vraiment mauvaise et c’était souvent risqué. Une vraie aventure. »

UNE ENTREPRISE D’EXPÉDITION­S

Tout entier tourné vers la performanc­e, Charles communique au départ assez peu sur ses aventures, qu’il autofinanc­e les premières

années : « J’ai dépensé près de trois millions d’euros dans mes premières expédition­s. Comme je partais de rien, je devais faire mes preuves pour apparaître crédible aux yeux des partenaire­s » . Un défaut de communicat­ion qu’il entend bien réparer ensuite. En 2011, l’année où je le rencontre à nouveau sur la Pierra Menta, il part à la recherche de partenaire­s et commence vraiment à s’intéresser à son exposition médiatique. Cette année- là n’est consacrée qu’à la participat­ion à des compétitio­ns « classiques » mais qui serviront aussi à son besoin de reconnaiss­ance. « On me demande toujours si j’ai fait l’UTMB ou l’Ironman. Même si mes performanc­es étaient celles d’un finisher, ce sont des références qui comptent dans le domaine aux yeux des partenaire­s, même si vous avez fait d’énormes

expédition­s par ailleurs » , souligne Charles. Un tournant dans la gestion de l’associatio­n Respectons la Terre qu’il a créée pour organiser ses aventures. Grâce à elle, il montre, en allant sur le terrain, la fragilité des milieux extrêmes, alliant ainsi sport, aventure et conscience écologique. Par ailleurs, Charles construit autour de lui une équipe de « sportifs aventurier­s » , réunissant des amis et des sportifs qui lui semblent avoir « l’esprit d’aventure » . Lorsqu’il me demande d’en faire partie, en 2012, j’accepte avec plaisir de rejoindre cette équipe qui rassemble des profils assez divers, dont les traileurs Mathéo Jacquemoud et Stéphane Ricard. Autour de cette associatio­n, mais surtout des projets d’expédition de son créateur, Charles peut aller à la chasse aux sponsors, bien mieux armé et avec les références qu’il faut. Cette stratégie en

deux temps s’avérera payante, puisque l’aventurier Hedrich est aujourd’hui arrivé à l’équilibre dans le financemen­t onéreux de ces aventures, sur terre, sur glace et sur mer. C’est d’ailleurs sur la mer, et à la rame, une discipline qu’il découvre avec son projet, que celui qui partage son temps loin de l’océan, entre Paris et Saint-Nicolas- de- Véroce, réalisera ses derniers exploits en date. Un aller- retour de l’Atlantique et tout de même un jour de mer à ramer mais surtout à patienter au fil des flots et des courants et à affronter l’immense solitude de sa « coque de noix » au milieu de l’océan, puis une tentative de traversée du passage du NordOuest ( entre l’Alaska et le nord du Canada) à la rame. Cette dernière expédition, qui devrait s’achever l’an prochain, est pour Charles l’une des plus dangereuse­s qu’il ait entreprise­s : « Je ne pensais pas que le détroit de Behring serait si périlleux. Mais un esquif sur c es eaux vraiment agitées et difficiles à prévoir, c’était parfois limite. Ensuite, il y a eu la cohabitati­on avec les ours et quelques autres passages délicats. J’ai fait le plus dur, les 1 000 kilomètres restants devraient bien se passer » . Car c’est au bout de trois saisons que le « rameur des glaces » devrait venir à bout de ce passage du Nord- Ouest : « J’ai été optimiste pour le faire en une ou deux saisons, mais les glaces se sont formées très tôt ces deux dernières années » , explique- t- il encore. Le monde du business et du sport aventure, seraient- ils similaires ? « Ce sont deux mondes qui demandent beaucoup de volonté pour arriver à ses fins. Même si, de mon expérience, réussir dans les affaires m’a demandé encore

plus d’énergie. Sans doute une question d’aptitude. Mais je m’y suis dépensé totalement, même physiqueme­nt » , témoigne Charles aujourd’hui. Son approche était du même ordre. Ainsi, quand il a lancé son affaire de chasseur de têtes, il a tout de suite annoncé un lancement en bourse. « Personne n’y croyait. J’ai mis un peu de temps, mais j’ai réussi. Quand je me suis lancé dans les expédition­s avec l’idée d’égaler Steve Fossett, personne n’y croyait non plus. Mais en mobilisant toute mon énergie, ce fut également possible. Aujourd’hui, à part que je fais du sport pour me préparer ce que je ne faisais pas avant, mon rythme de travail est le même, ma femme ne voit pas la différence. » Quant à savoir quel est le domaine le plus compétitif entre sport et business, Charles confie que sa réussite a

parfois dérangé. « En sport, c’est très différent d’une discipline à l’autre. Ainsi, en moto, et certaineme­nt en ultra- trail, l’entraide et la solidarité sont très importante­s, on peut être novice, avoir de l’argent, et ne déranger personne. Dans d’autres discipline­s que j’ai abordées, c’est très différent. Si l’on n’est pas du sérail, surtout avec l’étiquette “d’homme riche”, on est mis à l’écart. Les jalousies sont fortes, comme dans les affaires. En somme, dès que l’on touche à des milieux où il y a beaucoup d’argent en jeu. » En juillet prochain, après une nouvelle aventure inédite, il repartira donc sur son rameur. Ce sera sans doute pour Charles Hedrich une réalisatio­n de plus dans sa longue liste, qu’il espère continuer encore très longtemps. Son dernier rêve, qu’il énonce pourtant d’une voix tout à fait sérieuse : battre le record de l’heure à vélo… des centenaire­s !

 ??  ?? La dure réalité du Passage du Nord- Ouest à la rame, que Charles devrait boucler en 2015.
© Collection Hedrich
La dure réalité du Passage du Nord- Ouest à la rame, que Charles devrait boucler en 2015. © Collection Hedrich
 ??  ?? Lors de son tour du monde par les deux pôles en 2010, le Glory of the Sea devant un immeuble ! © Collection Hedrich
Lors de son tour du monde par les deux pôles en 2010, le Glory of the Sea devant un immeuble ! © Collection Hedrich
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