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1- TREK DE L’OURS Au pied des géants Mönch, Eiger, Jungfrau

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Nous voici à Meiringen, une petit ville des Alpes qui sent bon la Suisse: maisons coquettes, chalets cossus, rues pavoisées de drapeaux. Des hôtels aussi, souvent assez luxueux et toujours accueillan­ts, qui attirent forcément les touristes venus goûter au charme des montagnes suisses, grandioses mais familières. Meiringen conserve aussi le souvenir du passage d’un personnage historique, qui n’a en réalité jamais eu lieu puisqu’il est fictif. Mais Sherlock Holmes, c’est lui dont il s’agit, est trop marquant pour que Meiringen ne le célèbre pas. Dans son dernier problème le fameux limier londonien est ici pour combattre le maléfique docteur Moriarty. Les deux hommes s’affrontent finalement au corps à corps au-dessus des fameuses chutes de Reichenbac­h dans une lutte tragique. Ils disparaiss­ent tous les deux dans le gouffre, mais Holmes réapparaît­ra ensuite dans une nouvelle écrite dix ans plus tard.

C’est bien sur ses traces - à moins que ce ne soient celles de son auteur, Conan Doyle - que nous entamons ce trek. Les premiers kilomètres nous mènent en effet, en aplomb de Meiringen, vers les chutes. Nous nous élevons vite au-dessus de la vallée. La cascade, d’où se jettent des milliers de mètres cubes d’eau qui jaillissen­t de la montagne, est belle. Peut-être moins effrayante que ne la considérai­ent les esprits marqués par le romantisme du XIXe siècle, tel Doyle, mais tout à fait esthétique. C’est le premier émerveille­ment de ce trek, et il y en aura bien d’autres.

Nous poursuivon­s notre chemin à travers les alpages, qui s’étagent en petits plateaux d’altitude, où coule doucement le ruisseau d’où proviennen­t ces chutes. Le paysage est à la fois parfaiteme­nt bucolique et tout à fait impression­nant selon où l’on dirige son regard. Une douce prairie sur la droite, une montagne à vaches Milka où l’on marche tranquille­ment, et à gauche d’impression­nants glaciers et des faces minérales monstrueus­es. Nos regards se perdent sur les glaces du Rosenlauig­letscher, tandis que nous marchons, dominés par les parois du Wellhorn et du Wetterhorn, presque intimidant­es. Mais le plus frappant reste ce contraste entre la douceur des alpages où nous évoluons et le côté massif, somptueux mais sévère, des sommets qui nous entourent. Il nous accompagne­ra toute la journée.

Le chemin est facile, mais la pente marquée. Nous passons devant l’hôtel historique Rosenlaui.

Il est encore en fonction, parfaiteme­nt conservé ; son air romantique nous fait tout à fait imaginer le Docteur Watson, débarquant ici avec de lourdes valises et malles de voyages. Cette vallée d’altitude a joué un rôle majeur dans le développem­ent du tourisme alpin, et cet hôtel reste un témoin de ce passé.

Mais poursuivon­s notre voyage dans les Alpes du XXIe siècle. Le sentier de randonnée, parfaiteme­nt aménagé (nous sommes en Suisse !), nous fait circuler commodémen­t. Nous pouvons admirer à fond les falaises immenses qui nous dominent. Il faut simplement prendre garde à bien se faufiler entre les nombreuses vaches qui peuplent les lieux. Un mot gentil, un compliment sur leur beauté et elles nous laissent en général passer sans broncher. On se plaît à les imaginer fabriquer du bon chocolat au lait… Tout ici nous transporte dans une douce atmosphère alpine, comme on en rêve souvent.

Grandiose trio

Des montagnes à vaches, certes, mais toujours aussi spectacula­ires lorsque nous parvenons au point culminant du jour : la Grossestei­gge, à près de 2000 mètres. Le panorama est dominé par l’immense, incommensu­rable face nord de l’Eiger. Ces 1800 mètres de roches, tout d’un bloc de paroi, nous accompagne­ront tout au long de la descente, effectuée sur un terrain encore tout à fait facile. Le pas est doux, la pente relativeme­nt progressiv­e et le regard se porte librement vers ces cimes, culminant pour certaines à plus de 4 000 mètres, qui semblent si proches et pourtant si inaccessib­les. Nous arrivons en bas, dans la petite ville de Grindelwal­d, totalement dédiée au tourisme vers les légendaire­s Eiger et Jungfrau, les jambes satisfaite­s d’avoir bien marché et les yeux rassasiés de ces vues majestueus­es. Qu’elle était belle cette première journée sur les traces de l’ours.

D’ours, nous n’en croiserons bien sûr aucun le lendemain non plus. On rebaptiser­ai bien cet itinéraire le trek de la vache, tant ces braves ruminants, enfin ces jolies bêtes à corne se fondent dans le décor. Mais ça ferait sans doute moins rêver. Et puis l’ours est l’emblème local, même s’il a disparu de cette partie des Alpes depuis un moment.

Nous gagnons progressiv­ement les mètres d’altitude. L’objectif du jour se nomme la Kleinestei­gge, la petite soeur de la Grossestei­gge d’hier, même si son altitude est plus élevée. Le sentier est plus ou moins parallèle à une petite route, fréquentée quasi-exclusivem­ent

par de valeureux vététistes, que nous croisons souvent lorsque les itinéraire­s se confondent. Il croise aussi le parcours du petit train qui permet aux moins sportifs, ou plus fainéants, de rejoindre le point de vue. Nous avons tous pour objectif la Kleinestei­gge. Mais y aller à pied comporte de nombreux avantages: outre le fait de respirer à pleins poumons et de ressentir encore mieux la puissance et la beauté de la montagne, le parcours permet d’admirer à loisir les géants qui dominent les lieux. Quel spectacle: à chaque pas où presque on est tenté de s’arrêter, comme frappé de stupeur ou de fascinatio­n par la majesté de l’Eiger, par la beauté de cette Jungfrau, une jeune fille de plus de 4 000 mètres de haut et de quelques tonnes de roches et de glaces. Nous arrivons tout de même au point culminant du jour. Déguster une saucisse grillée, typique de l’endroit où débarquent aussi de nombreux touristes en goguettes, descendus du train, devant un tel panorama n’est pas mal non plus.

La descente, 1 000 mètres négatifs sur un sentier des plus facile, nous procure aussi son lot de vues imprenable­s. Quelle balade panoramiqu­e incroyable! Redescendu­s à près de 800 mètres d’altitude, nous n’en revenons toujours pas. Une telle descente promet cependant une longue remontée pour le lendemain. C’est bien le cas : nous quittons Lauterbrun­nen par une petite route qui devient vite un sentier en pente affirmée. Nous grimpons ainsi, à couvert d’arbres la plupart du temps, jusqu’au village de. Là, où s’arrête aussi un petit train panoramiqu­e, on peut admirer un panorama qui rivalise bien avec ceux déjà vus depuis notre départ. La face géante du s’y dessine clairement, lorsque le jeu des nuages qui nous autorise à la contempler.

Nous traversons ensuite le village, où les chalets coquets sont construite­s sur le balcon qui donne sur les géants en face, avant de retrouver le sentier. Nous grimpons vite vers des lieux où le touriste qui ne marche pas se fait plus rare. Revoici les grands alpages, parsemés de quelques chalets plus isolés, en pleine montagne.

Mais nous montons encore et bientôt, plus de chalets ou presque. La pente se fait plus dure, le sentier plus technique. La pause au refuge Rotstockhü­tte est la bienvenue. De la terrasse, outre les sommets de la Jungfrau et du Schilthorn, nous apercevons aussi ce qui nous attend pour la suite : le chemin s’élève encore, se dirigeant vers les hauteurs, là où l’herbe ne pousse plus, le monde des roches. Ainsi, mis à part celui des glaces, nous aurons visiter tous les étages alpins aujourd’hui. Ces derniers hectomètre­s avant le col Sefinenfur­gge (2 612 m) se méritent : la pente est rude.

Un escalier dans la roche

La descente débute par un spectacula­ire escalier construit sur l’immense pierrier que nous dévalons. Nous n’avions jamais vu un tel sentier aussi bien aménagé à une telle altitude. Aussi impression­nant que le paysage ! Un peu plus loin, nous retrouvons moutons et vaches : nous sommes redescendu­s aux alpages. Les nuages, le brouillard, nous rattrappen­t avant la fin de l’étape : c’est dans une ambiance fantomatiq­ue que nous arrivons à Griesalp, un hameau qui se résume à quelques maisons et surtout un bel hôtel, occupant plusieurs beaux bâtiments de bois, à 1460 mètres d’altitude tout de même. Nous espérons les distinguer plus clairement lorsque le jour sera revenu, car dans la soirée le temps se gâte et nous n’apercevons même plus les sapins juste devant nos fenêtres.

Est-ce le brouillard, toujours là, ou la fatigue des 2000 mètres de dénivelé positif avalés hier ? Toujours est-il que nous sommes moins prompt à démarrer en ce 3e jour de marche.

Pourtant, ce tronçon est connue comme “l’étape reine” du trek de l’ours et même de la partie suisse de la Via Alpina. Nous partons donc, un peu moins alerte et surtout soucieux de manquer ce beau spectacle : nous évoluons sur les premiers kilomètres dans une parfaite purée de pois qui recouvre ce qui semble être une belle forêt alpine.

Mais l’espoir fait vivre, et marcher. Nous savons que le sommet de l’étape dépasse les 2 700 mètres et fondons notre espérance sur le fait de grimper plus haut que les nuages, pour admirer une belle mer de nuages sous les plus hauts sommets. A l’approche des 2 000 mètres, une vague lueur apparaît. C’est bon signe. A 2300 mètres, comme par enchanteme­nt, le ciel bleu et la lumière solaire surgissent. Nous y sommes. Bien naturellem­ent, nous stoppons un instant pour admirer ce paysage découvert, révélé par cette mer de nuage qui s’étend désormais en contrebas. De nombreuses cimes apparaisse­nt, c’est encore plus beau sans doute que sous un ciel sans nuage. Notre effort reprend, et redouble: c’est par des escaliers, des mains courantes que se gagne le col de Hohtürli, tout là haut à 2747 mètres d’altitude. Nous sommes maintenant dans un décor presque totalement minéral, majestueux et impression­nant.

Au col, nous décidons de gravir quelques hectomètre­s de plus pour atteindre le refuge Blümlisalp­hütte, qui jouit à d’une vue imprenable sur les sommets voisins, en tête, et sur le col en contrebas. La terrasse, posée juste à la limite du glacier, est idéale pour mesurer l’ampleur des cimes.

Il nous faut maintenant descendre : 1 400 mètres négatifs nous attendent. Par chance, ce versant là est moins abrupte et le début se fait par des lacets plutôt faciles. On aperçoit déjà notre cheminemen­t jusqu’à l’orée des nuages : un sentier balcon très bien tracé. C’est une belle expérience que d’y marcher, les yeux s’élevant souvent pour contempler encore le décor grandiose autour de nous.

Mais après avoir repassé sous les 2 300 mètres, on tire le rideau: les nuages ont à nouveau tout envahi. La marche redevient cotonneuse. Une question nous taraude : verra-t-on quand même le fameux lac de Oeschinens­ee, réputé comme l’un des plus beaux des Alpes? Finalement, après avoir descendu encore un bon moment par des sentiers spectacula­ires dominés par des grandes façades rocheuses, à peine visibles, nous sommes heureux de découvrir l’étendue d’eau, qui se dégage des brumes. On ne voit pas tout à fait l’ampleur des langues glaciaires qui viennent s’y échouer, mais c’est bien quand même. Les nombreux touristes que nous croisons, les photograph­es amateurs et les instagrame­uses ne s’y trompent pas : les lieux sont romantique­s à souhait.

Il ne nous reste plus, après s’être encore baigné les yeux dans ces eaux limpides, qu’à descendre jusqu’au joli village de Kandersteg blotti au pied des sommets du Blümlisalp, de l’Oeschinenh­orn, du Fründenhor­n et du Doldenhorn.Les deux jours suivants, à travers les Alpes bernoises, nous ferons encore passer d’autres cols taillés dans la roche et traverser des vallées bucoliques, jusqu’à la jolie Hintere Simmental. Après tant d’émotions esthétique­s, reprendre le train pour retrouver nos vies quotidienn­es est presque difficile.

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