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BOLIVIA EXPÉDITION RACE

- EXPEDITION BOLIVIA RACE prochaine édition du 17 au 29 octobre 2021 www.teamglobet­railers.com

Fin octobre 2019, ils étaient 40 à suivre Christophe Le Saux en Sud Lipez, pour la 3e édition de son Expedition Bolivia Race : course à étapes la plus haute du monde, road trip de 230 km entre 3 700 et 6 010 m. 7 manches en pente douce, du Salar d’Uyuni jusqu’à l’ascension du volcan Uturuncu. Pour la gagne ou l’aventure, tous plongeaien­t dans un décor XXL. De son grand Ouest Atlantique, l’un d’entre eux découvrait ce Far West latino. Lorsque le paysage s’élargit et que l’oxygène diminue, les échelles changent : c’est l’histoire de Laurent, milieu de peloton, sourire et yeux grands ouverts.

Rdv : demain Lieu : Lac Titicaca

La tentation était trop grande. Mon Bro Naoned Nantais, j’ai beau l’aimer, ça laissait rêveur : comme guide 5 étoiles, Christophe. Estampillé Jaguar, un Le Saux globe-trailer depuis une bonne décennie, 330 jours sur la route depuis son 7 Wild Trails*. Passé par l’altiplano, et décidant en 2015 de le partager. Nous sommes 40 à avoir dit oui – la suite, on verra bien. D’ailleurs, les fines lames ne manquent pas : il y a Marco, le suisso-péruvien qui sature à 243 % d’O2. Alex, l’ex-boxeur promis à un bel avenir trail; ou Jacky le Guide qui promène son vécu long comme un 100 miles. Mathilde et Flo, c’est pour une lune de miel-hypoxie ; Marylin ou Seb l’AMM maitrisent l’ultra comme personne. Bref, la Belgique salue la Haute-Savoie, les plats pays sourient au D+. Mais qu’ils soient Gilles ou Jean-Lou, vétérans capés et jeunes en feu, tous affichent le truc: on a beau savoir que ce sera éprouvant, ce sont 40 grands ados qui se retrouvent à Puno. 4000 m, et Titicaca Beach, rien que ça. L’inconnu? on le désire.

Du Grand Ouest à un Far West

Car de la découverte, il en est question pour 13 jours. 13 jours d’expé intégrale, de soi-même à la terre, de l’autre côté d’une grande flaque mythique. Du Pérou nous sauterons sur La Paz, avant d’atteindre notre base de lancement: Uyuni, Salar. L’ultime au revoir à nos trouilles, car alors débuteront 230 km de chrono. Et pourtant. Je crois que j’ai signé en deux jours. La veille, je n’avais pas perdu à la crapette; personne ne m’avait drogué. Pas de soirée créole au mauvais rhum. Pire : même pas une once d’envie de me prouver que. Les concours de muscle, très peu pour moi depuis 15 ans que je cours plaisir. De 60 à 170 bornes, quelques UTMB, Diag’ et Pyrénées, et un honnête premier quart des partants ; telle est ma foulée, ainsi file mon amour du long. Plus que la destinatio­n, « c’est le chemin qui est beau », comme dirait l’autre. N’empêche. Une Expedition Bolivia Race, ça vous prend et ne vous lâche plus. Et pardon, mais la destinatio­n tout de même.

Menu Dégustatio­n pour Repas de Rois : un Sud Lipez à se partager

Le programme ? tout simplement irrésistib­le. Il suffit d’un pdf et durant 10 mois, on commence à rêver et à oublier tout ce qui n’est pas Bolivien. Christophe Le Saux a dressé la table : un premier saut sur les Iles du Lac Titicaca, en guise d’apéro acclim’ – Cordillère Royale en décor. Du repos façon bus impérial jusqu’à Uyuni, dernier avantposte. Et puis un matin, rien à faire, ce 25 octobre arrivera forcément : l’heure des au-revoirs pour une Journey de 7 jours. Lancement des hostilités amicales et des comptes à rebours à chaque aube d’étape, début du « bonne course, profite » au départ, et du « bravo, belle course » à l’arrivée. Nous brûlerons à 4 500 m, suffoquero­ns à 5 500 m, pleurerons à 6 010 m, nous pédalerons et courrons… on survivra, quand même? Stop à la gamberge. Plongeoir ultime, 40 partants viennent de faire plouf dans un inconnu à 7 visages. Destinatio­n : l’extrémité du Sud Lipez, bout du bout d’une Bolivie de rallye, à frôler le Licancabur Chilien.

Touriste runner : passe ton chemin

Quelles seront les limites : physiques, mentales ? Quelles réactions du corps soumis à cette nouveauté ? Course à étapes, connais pas. 7 étapes au-dessus du Mont-Blanc? Soyons sérieux. Or, l’art de Christophe est précisémen­t d’en faire un projet à s’approprier, et pas une loterie ITRA. Que chacun y place son ambition, mais y trouve sa définition du voyage. Distribuer matériels et fourniture­s dans chaque village, c’est louable ; mais peut-être pas le fondement du convoi bariolé, que notre organisate­ur emmène. Douceur des consignes, mais clarté des objectifs, Christophe Le Saux trace la route de 13 jours : « s’il vous plait, ne pensez pas performanc­e. Vous êtes invités, nous sommes tolérés par les lieux. Pas de club Med’ du trail. Vous l’avez désiré, vous y êtes, et nous sommes tous sur la même start line. Pas de suite nuptiale mais le même hôtel de sel, la même soupe. Chacun pour soi, s’il le désire, mais chacun face à ce pourquoi il est là. Cherchez-le si vous ne le savez pas encore ! Je ne vous demanderai que 3 choses : faites-vous plaisir, faites-vous petits, et profitez à vous en exploser. Absorbez. Bonne course et M… ! »

Pour qui connait Christophe, c’est un Rahan à la supplique sincère qui vient de causer, et qui connait son sujet compétitif. Un silence étrange tombe. Puis l’auberge espagnole reprend bruyamment ; fais gouter ton saucisson – je te prêterai mon camembert. Le chauvinism­e worldwide nous fait du bien, toutes les gnôles de Navarre nous aideront à dormir. On appelle ça une veillée d’armes. Ou le dernier repas des condamnés. A courir le lendemain.

Lever de rideau et traversée du Désert

Depuis trois nuits, les spéculatio­ns vont bon train. « Et si on trichait ? tu montes sur le guidon » juste pour s’aérer l’appréhensi­on. Le plan est simple: il est 7 heures et nous avons un désert à traverser. 80 km de run & bike en couple. Une journée à crapahu-rouler sur un plateau de sel, et un Salar d’Uyuni que l’on ne connaissai­t que dans Échappées Belles. Il est

pour nous. Mais cette tension qui monte? la chimie du sport et sa formule. Trouille + désir = adrénaline. Ouvrez les portes des 4x4, lâchez les membranes, et nous voici posés sur un immense papier Canson. 41 zozos de chair rose sur un plat de faïence à 3680 m. Une rôtisserie grandeur nature. Bouton ON.

La guirlande va clignoter toute la journée, à peine 7h pour les premiers. Je suis casquette, tu es fluo, il est moulant – bref on jure dans le décor. Mais pour une fois, on colorie l’espace. Nous nous sommes octroyés le droit de jouer les feutres, et notre Weleda King Size, on l’a voulu. Et puis qui viendrait nous moquer? 10, 14 heures même de « passe-moi le vélo ». L’absorption vient de commencer; le soleil va nous grignoter, le Salar nous gober. A l’arrivée, Chris et Marco sont posés depuis 3 heures, et Mister Alex sifflote. Bon sang, ces trois-là m’impression­neront. Autant qu’un Stéphane ou une Mélissa, capables de franchir la ligne avec banane et frontale alors qu’on termine le dessert. Moi, je découvre un concept charcutier: la salaison humaine. Surdose d’espace pour un lever de rideau, mais gavage de bonheur.

Cime et Sel, d’un Salar à un volcan

Imaginez : c’est reparti. On reprend les mêmes. Tiens, c’est bizarre – Un Jour Sans Fin, je connais ces visages? Les épidermes se remettent à peine, que le Salar nous claque son Hola¡ matinal. C’est parti pour une ronde sur blanc salé, un tour des iles de 35 km. Des îles ? Oui, plantées au milieu du désert. « Gère. 7 jours, ça se gère ». Chrono lancé, allure maitrisée, car nous craignons tous l’étape N° 4. Or je ne le sais pas encore, mais mon mur va se jeter à ma face : le Salar m’écrabouill­e au km 20. Lentement, je me mets à patauger. Je piétine et deviens calembour. Cervelle en boucle et cul de plomb, le sel m’enrobe. On n’est que le jour 2 ? Mon hôtel de sel, poulet en croute, foie gras au sel. Km 25, j’ai 4 marathons en moi. Sans les sourires de Karine ou Déborah, je me ferais paludier. NaCl, chlorure de sodium et pâte à sel, qu’on m’apporte mes sels car je tourne mal. Et c’est la révolte au km 30 : Moi le Breton, mon beurre salé et Guérande ? Marco, j’accroche ton pas en me forçant à ne pas virer saumâtre, et je passe enfin cette finish line. Coureur, paie ta gabelle sur 3 h 40.

Gérer, qu’il disait. Je n’ai jamais autant entendu parler de gestion, un vrai stage de compta. Mais aujourd’hui, hors de question – désolé. Car c’est bonbon, pain au chocolat et bubble-gum ; du fun et de la grimpe, de la couleur et du D+/-. Attention fast-food pour trailer : montée au Volcan Tunupa (5 400 m) et redescente chronométr­ée ! Et Dieu, quel pied. Tout y est, de la couleur au cardio. Vert, rouge, brun volcanique­s, Mama Tunupa nous accueille, bras ouverts sur cratère. Joie pure du groupe, plein soleil pleine face, et dégringola­de de jeunes abrutis heureux ! Le shoot est total, et je redécouvre le mot courir. 1500 de D-, Flo l’emporte malgré double gadin, Seb redonnerai­t le sourire à un mourant, bref. Du bonheur pur stocké à jamais et partagé complet. L’étape fatale, c’est bien demain ?

Jour 4. Puis un jour tout arrive, même l’Adieu au Salar. Lundi 28 octobre, deux évènements mondiaux ont lieu. On fête les Simon. Et la voici la fameuse : 40 km de ligne parfaiteme­nt droite. Un brave projet ; azimutez sur la chiure de mouche tout là-bas. Notre point de fuite, c’est l’Île aux Cactus. Alors quand la rumeur se joint aux courbature­s, la vitesse, comptez sur moi pour la gérer. Drôle de pincement au coeur et temps fort, notre cohorte s’est dénudée ce matin. Certains ne prendront pas le départ. Brûlés de soleil ou meurtris, ils ont choisi d’encourager, tel un Gilles en or. Chapeau bas à l’annonce, car grâce à eux va se produire un petit miracle. Après 5 heures à dérouler, je passe la ligne sans

une douleur. Et bientôt je ne comprends plus, en les voyant arriver: les blessés, les stoppés. Deborah et son essuie-glace, Isabelle, qui passent la ligne sous les hourras. 40 km au mental. Ça vaudra bien un repas de fête. Dans notre barnum de luxe en plein caniar, on peut se congratule­r, et tester un poil de ridicule. Jambes lourdes et ventres pleins, nous pouvons fuir légers. Terminé le blanc de blanc : nous partons plein sud frôler le Chili et souiller les pistes du Dakar. On double-jubile.

'HV FRQÞQV GX 6XG /LSH] à l’apogée Uturuncu

Jour 5 – San Carlos. Revenus à la terre, nous avons grimpé et ne redescendr­ons plus. 4200 m, c’est une bonne jauge pour se tirer la bourre, mon coeur ? Nos 3 dernières étapes seront en couleur ; du Sud-Lipez illimité, geysers et lagunes inclus. Les guérites chiliennes coiffent les volcans – toujours un fusil à portée de main, des fois qu’une invasion. Jour 5, on annonce un 20 km pêchu mais facile. Mais alors qui sonne ce départ de cadets ? ! Ok ils nous applaudiss­ent, mais la majorité du groupe partira 7 km plus loin, version sans sucre. Moi, j’ai passé l’âge de ces âneries mais j’y suis, j’y reste. Et voilà que je me prends à accélérer pour accrocher le gruppetto ! Problème : 4 200 m. Mes cellules commencent à chanter Il était une fois la vie en cinémascop­e brutal, panique à bord dans les artères. Promis Laurent, quand tu rentres, tu passes les 2 heures au marathon. Pour l’instant, je mets 15 km à éteindre La Tour Infernale. Ça tient mais je m’en mords les doigts, mon navire cardio prend l’eau, Mayday, fuite de lactique à bâbord… jusqu’à cette arrivée sous les holàs, et un bonbon quotidien d’amitié. Je crois que je commence à comprendre. « Course à étapes », ça s’appelle. Ensemble.

Jour 6 – Sol de Manana. La croisière 16/9e continue mais sent la fin panoramiqu­e. Les heures de piste s’enchainent, et le décor continue de changer. Demain, nous serons alpinistes. Ce matin, un dernier bout pour arrondir les chronos : 25 km vers Agua Caliente, à plus de 4 600 m. 3 h 20 de trot pour un bain chaud en slip. Moi, ça y est, j’ai disparu dans ce paysage de SF. Notre opéra run nous comble, Ligue 1 du décorum. Dune et Lynch, c’est la D3. Et puisque c’est le dernier jour, je laisse partir devant : mes 25 km, je m’y baigne entier. La pause pipi devient eucharisti­e méditative. Attraper son gel sans s’arrêter ? Hérésie. Chaque micro-besoin devient arrêt heureux. Vous feriez quoi, à ma place ? vous dépêcher alors que vous nagez dans l’immense ? à 10 000 km du 10 km dominical, accrocher le peloton et gagner du rab de lunch box? La « perf’ », je l’embrasse chaque matin et nous nous endormons ensemble. Nous nous sommes accordés, et elle m’observe fière comme une mère ; son rejeton sait pourquoi il court. Mais qui est ce coureur qui rebrousse chemin vers moi ? « On se fout du podium. Terminons plutôt ensemble ? » silence, sourire ému. Parfois la

parole, ça fait du bruit et l’on ne s’entend plus s’entendre. Je les revois encore cacher leurs larmes, lorsque nous franchiron­s la ligne ensemble. Presque derniers.

Paysage sans fin, même Dali n’en a pris qu’un pouième – Désertio de Dali. StarWars, Tatooine, Jakku ? Un peu. Mais à une différence près: l’horizon a disparu. A sa place, il y a un chapelet, une pléiade ; des volcans à perte de vue. Notre flotte Toyota cabote dans un fjord de sable. Pas un bruit car je crains qu’un ver des sables géant ne surgisse. Extinction des feux et affutage des lames, nous voici interloqué­s à la veille du Grand Jour. Très peu ont déjà tâté du 6 000. On se trouve bêtes, mais fébriles, alpinistes pétochards et touchants. Car l’inconnu est ultime au réveil. On raconte que, à cette altitude. Et les doigts qui tombent. Et ton embolie… Et le lever comme des vrais à une heure, pour manger des oeufs qui restent coincés. Il y a de la fin dans l’air, et de l’apothéose humble – départ de 5 200 m. Marche avant, en se sentant observés par un Big Brother physiologi­que. On sait que l’organisme est secoué, décalqué par les UV, et qu’un grand

Tout nous tripote. Mais par chance, rien n’implose. Et tout explose. Une émotion qui jaillit comme une source alors que le dernier franchit le ressaut: torrents de larmes et de sourires béats ! Tu l’as fait, on l’a partagé, nous sommes à 6010. Étreintes sans fin, le plus taciturne devient émotif, nudité nue! Point de descente au chrono. On se promène, on vérifie 20 fois la montre. C’était l’Uturuncu. Bonjour Puno, mais laisse-moi le temps de revenir, un peu.

Conclusion : mon grand ouest

Grand voyageur ou quidam des miles, rien à faire. On reste unis par ce réflexe post-Tout : faire le bilan. Bilan d’un premier 8 000 ou bilan comptable, médical ou d’un amour, notre sensible se réveille quand il faut dire au revoir. Alors on appuie sur pause, et l’on s’interroge sur le gain. Reviens-je changé – ou pas. 41 se sont retrouvés sur un désert de sel à perpète, mais à portée d’Air France. La Normandie a rencontré les Calanques, mélangées à l’Auvergne, le Ch’Nord ou la Yaute. On s’est toisés, poursuivis ou encouragés ; on en a même chialé à 25 % de plus haut que notre Mont Blanc. Puis on s’est dispersés – un voyage en groupe, quoi. Tiens, Nantes apparait, Barbara change d’avis et me chante la bienvenue. Mais la banderole, elle, je l’avais oubliée : « ZAD partout. Notre-Dame des Landes sera votre Vietnam ». L’exotisme me gifle. Déculottée du voyageur qui rentre à la maison. C’est là, que la sensation me remonte en friandise refuge. Nous causions, nous nous taisions. Nous courions ensemble : copains parfaits. Jour 6, Sol de Manana, Bolivie, 4 700 m. « Soleil du Matin », ça veut dire.

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 ??  ?? * En 2018 et 2019, Christophe Le Saux réalise son projet 7 Wild Trails : « 7 pays, 7 défis, 7 records ». Une aventure ultra sur 6 continents en totale autonomie, de la Nouvelle Zélande au Haut-Atlas Marocain, de l’Islande aux Annapurnas, en passant par le Canada ou la Cordillère Huayhuash. Au menu, traversées inédites en solo et parcours XXL, de 120 à 320 km. Avec et pour l’associatio­n Everest en Sable. + d’infos : www.chrislesau­x.com
* En 2018 et 2019, Christophe Le Saux réalise son projet 7 Wild Trails : « 7 pays, 7 défis, 7 records ». Une aventure ultra sur 6 continents en totale autonomie, de la Nouvelle Zélande au Haut-Atlas Marocain, de l’Islande aux Annapurnas, en passant par le Canada ou la Cordillère Huayhuash. Au menu, traversées inédites en solo et parcours XXL, de 120 à 320 km. Avec et pour l’associatio­n Everest en Sable. + d’infos : www.chrislesau­x.com
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