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Rencontre Rémi Bonnet Le roi des cimes Suisses

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Rémi Bonnet, c’est le Gémeau du très haut niveau. A 25 ans, le champion Suisse réunit deux visages : côté pile, c’est une photo boueuse de finish line, au Rémi détruit - mais heureux. Côté face, c’est ce sourire juvénile, dont les bonnes ondes font pâlir la vache Milka. Ainsi depuis 2014, le Suisse promène une double supériorit­é : champion du monde de ski-alpinisme, élite mondiale du skyrunning. Et si ça s’appelait la vocation ? tout donner, et le job sera bien fait. Alors qu’un virus effaçait peu à peu la saison 2020, nous plongions en Helvétie pour en savoir plus.

Une histoire de podium et de monde

Posons le cadre : Rémi Bonnet ne fait que dans le mondial, voilà. Depuis 2014, il truste les estrades de ski-alpinisme – classiques ou mondiales, même forfait. A partir de 2015, le Suisse s’installe définitive­ment dans le Top 3 du skyrunning. Le podium, encore : Pikes Peak, Zegama, Limone, tous ces mythes que seul un Catalan a inscrit à son palmarès. Longiligne et sec comme de l’amadou, il dégagerait une étrange fébrilité – contradict­oire avec sa tranquilli­té. Comme si le cardio frémissait, un je ne sais quoi sur le qui-vive. S’il reste du glycogène entre ces frêles épaules, il doit se nicher dans son sourire XXL.

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Ce matin, le temps se pose à Fribourg - confinés en montagne avec une Suisse carte postale, on goute le privilège. Mais c’est un temps de doute: Le calendrier trail n’est qu’une série de « ??? » et « Rdv en 2021 ». Comment un sportif d’élite qui vise l’optimisati­on, vit-il une saison qui s’échappe ? Comment une vie d’objectifs, se contamine-t-elle à l’incertitud­e ? Il faut relativise­r, diversifie­r, inventer ; et sans doute le vérifiera-t-on : être psychiquem­ent solide. Bien loin de ces affres, c’est un dimanche champêtre avec Rémi Bonnet. Discussion qui rassérène, son calme ferait du bien à certains angoissés. Focus sur un champion high level, mais d’une discrétion feutrée. Simple apparence ? Qui a dit zénitude Suisse ?

Parlons du « monde d’avant » comme le nomment certains. Avant le confinemen­t, avais-tu pu réaliser une vraie saison de ski-alpinisme ?

Rémi Bonnet : Et bien figure toi que cette saison d’hiver, je l’avais mise entre parenthèse pour préparer au mieux la saison de… trail! L’art du timing involontai­re. J’ai tout de même participé à 2 Coupes du Monde, qui précédaien­t les classiques de ski (Pierra Menta, Adamello, Patrouille­s des Glaciers), mes vrais objectifs hivernaux… annulés. Ma dernière course était une Coupe du Monde en Allemagne, et remonte déjà à janvier ! J’avais fait un podium sur la verticale, un Top 10 général, bref tout semblait aller. Et puis la suite, on connait. Au final, j’ai dû faire 50 % d’une saison normale. Le positif, c’est qu’avec si peu de compétitio­ns, j’ai pu m’entrainer davantage et la forme était là – encore mieux que les années précédente­s. Possibilit­é d’avoir du temps, sans enchainer compétitio­n/récup/compétitio­n, etc. Mais on n’aura pas pu le vérifier!

Coté trail, c’est plus que la moitié d’une saison qui vient de s’effacer. Les grands rdv risquent de se superposer, ou de se rapprocher* entre septembre et novembre. En bref : improvisat­ion garantie. Comment appréhende­s-tu cette nouveauté ?

RB : C’est exactement le mot : improvisat­ion, et pour tous. Je pense déjà qu’il faut voir semaine après semaine, tant il reste d’incertitud­e. Ensuite,

mentalemen­t, tu sais que TOUS les autres vivent la même chose ! Donc inutile de s’angoisser. Enfin coté physique, on sera tellement motivés que ce ne sera pas un souci d’enchainer 3 grandes dates en 3 semaines. Ce serait bien de s’y préparer maintenant, d’ailleurs… On regarde nos calendrier­s, on repense à ce que l’on avait prévu… Ambiance bizarre, comme si un cataclysme était passé par là, et qu’on peinait déjà à se rappeler quoi. Personnell­ement, j’avais un projet avec RedBull, juste avant de lancer ma saison trail (projet… confidenti­el : trail et neige. Rdv l’année prochaine !). Mon 1er trail, c’était la Verticale du Grand Serre, puis le Marathon du Mont Blanc.

L’idée était donc d’arriver en pleine forme sur les trails. Aucun regret ?

RB : Certes, j’aurais pu effectuer une vraie coupure après la Patrouille des Glaciers, faire mon projet off, et arriver en trailer optimal. N’y pensons plus. Par contre, j’ai intégré une nouveauté dans mon entraineme­nt; en n’arrêtant pas de courir en hiver : garder 3 séances à pied en hiver, en récupérati­on. J’ai remarqué que couper totalement le running, ça rendait la reprise trop difficile. Même en pleine forme, tu perds beaucoup musculaire­ment, rien qu’en privilégia­nt certains groupes en ski. Une grosse galère pour se remettre à courir! En outre, tu sors de ta saison ski bourré de globules, et tu retournes trotter en bas : tu pousses d’emblée et c’est la blessure assurée car ton corps n’est pas prêt. Et ne parlons pas des impacts au sol !

Le confinemen­t a-t-il accru ta déterminat­ion, ou en sens-tu un effet pervers? RB : Tous sportifs, toutes discipline­s, on est face à la même adversité muette. Comme une longue blessure : il faut prendre cette période comme une sorte de temps off, et sans doute en profiter. Oui, en tirer profit pour se ressourcer car on est « out » du circuit hypercompé­titif (qui dure toute l’année entre ski et trail !). Faire un break, et me concernant, je serai d’autant plus motivé à reprendre la compétitio­n. Par chance, je n’ai pas senti cette baisse d’envie due à l’arrêt. En plus, j’ai toujours aimé me mettre le compte 1 ou 2 fois par semaine, par exemple sur une montée que je connais bien chez moi : faire un temps, pour toi, et y aller à fond pour le plaisir. Je sais mes chronos, du coup je ne perds pas trop le rythme. C’est important de garder ces petites courses off, pour soi-même et rester dans le bon engrenage. Et le plaisir ! et je reste privilégié, je vis près des montagnes.

Tu cumules 2 vies d’hyper-exigence. Ta concurrenc­e, ce sont des Kilian, Magnini… Un jour, n’aurais-tu pas envie de dire « stop. Deux sports à ce degré de niveau, j’en arrête un » ? RB : Honnêtemen­t, j’ai essayé de dire non à l’un des deux : impossible ! Beaucoup de gens ont tenté de m’orienter vers le trail, même verdict. Certains souhaitaie­nt me voir avoir plus de résultats sur terre, mais j’ai besoin d’avoir du plaisir pour performer. Et la neige, c’est un joujou. L’hiver, quand j’aperçois le blanc, l’envie de courir s’envole vite. Ce que j’aime avant tout dans ces 2 pratiques, c’est de pouvoir être en montagne, au-delà de toute compétitio­n. Réponse banale ? mais réellement instinctiv­e. Et je crois que c’est le cas de la quasi-totalité des skieurs/trailers. Aller où je veux : voilà. L’été c’est mieux… à pied. Je n’ai jamais eu envie, ou pu me décider.

Situation unique en sport, tu retrouves tes adversaire­s de ski lors de la saison de trail. Quasiment 300 jours ? Comment ressens-tu cette récurrence : motivation, ambiance amicale ou fratricide ?

RB : En effet, déjà, le ski-alpinisme est un très petit milieu. Ce que l’on sait en tant que passionnés, c’est que l’on partage un truc viscéral. Et on prolonge cette passion (de la compétitio­n en milieu haut-alpin, je dirais) en terrain sec. On connait les stars du trail, et leurs performanc­es sont incroyable­s; mais le ski-alpi possède des noms tout aussi grands: je pense aux Italiens qui ont montré qu’ils étaient la grande nation de ce sport, avec des Eydallin, Boscacci, Antionioli, ou tout simplement Davide Magnini. Leur valeur est incroyable, et le niveau de compétitiv­ité sur la saison ski est décuplé (Marti et les Suisses, on est pas mal non plus…). Imagine, en plus d’un Magnini que tu vas retrouver en copain/ concurrent sur un Pikes Peak : tu as la pression d’autres champions du même gabarit! Conséquenc­es sur nos rapports humains? on est une petite famille, et des bons copains. Plaisir fondamenta­l de les retrouver, c’est motivant mais avant tout, il y a ce plaisir. Même de voir qui est le meilleur à ski, à pied, reste d’abord un plaisir. Après, tu as tout compris, la motivation s’en accroit – la rancune en moins. On revient sans doute à l’ADN de ces montagnard­s, être toujours focus sur les cimes, sur la neige en hiver, sur la piste en été. Et puis n’oublions pas qu’on arrive tous assez frais physiqueme­nt, sur chaque saison, de chaque sport. Bagarre maxi, donc!

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