QUELQUE CHOSE EN LUI DE KAULI
LE LAURÉAT DE LA PWA SOMWR 10X CABO VERDE EST UN PERSONNAGE ATYPIQUE. LE SOUL SURFER DE MAUI BERND ROEDIGER REVIENT SUR SA VICTOIRE, POUR SA PREMIÈRE WORLD CUP HORS DE SON JARDIN D’HOOKIPA, RAPPELANT LE STYLE AVANT-GARDISTE DU BRÉSILIEN KAULI SEADI, VAINQUEUR 14 ANS PLUS TÔT À SAL.
Arrivé quelques jours avant le contest, l’hawaïen n’a pas vraiment eu le temps de s’accoutumer à la vague magique de Ponta Preta qu’il découvrait pour la première fois. « J’ai été largement inspiré par le film The Windsurfing Movie que je regardais non-stop enfant. Je suis obsédé par les vagues de point breaks comme Honolua bay à Maui, une des meilleures vagues du monde, mais que les surfeurs ne nous laisseront jamais windsurfer. C’est là qu’est née mon envie de vagues de pur wavesailing. C’était le début de ma quête de vagues parfaites dans le monde, différentes de celle d’Hookipa. C’est une vague fun mais qui ne déroule pas parfaitement. Je n’ai eu l’occasion de naviguer Ponta Preta qu’une demi-heure la veille du contest, il a fallu improviser et adapter ma lecture de vague. L’une des difficultés du spot est l’orientation du vent side-off shore. Il est difficile de faire de bons turns car le vent te sort de la vague. Je pense que les juges ont effectué du très bon travail en faisant la part des choses quand un rideur utilisait tout son savoir-faire pour compléter un joli virage. Ça aurait très bien pu tourner en Air contest. Un big air suivi d’un autre et un autre ».
Bénéficiaire d’une wild card après sa 3ème place à l’Aloha Classic 2019 et grâce au gel des classements lié au COVID, l’américain n’était pas sûr de se rendre au Cap Vert. « Ça représente une grosse somme d’argent. Je ne suis qu’un amateur passionné, je n’ai pas vraiment de sponsors. Flika et Hot Sails me prêtent du matos, c’est tout. Je n’ai jamais couru après un contrat de sponsoring, je souhaite juste m’éclater. Je vis de petits boulots de mannequinat. Je n’étais pas confiant à l’idée d’aller au Cap Vert mais mes proches m’ont incité à tenter ma chance. Il y a eu un bel élan de solidarité pour m’aider à trouver un budget et du matos qui a dopé ma confiance ».
Vainqueur de la Aloha Classic à 16 ans (2012) et waterman complet, le windsurf n’est qu’une des activités où Bernd excelle. « Suis-je un windsurfeur, un surfeur, un SUPeur ? Je n’en ai aucune idée ! J’ai passé quelques saisons sur le Stand Up World Tour, c’était un motif de voyages vers de superbes destinations. La pandémie a tout changé. Le surf, lui, représente le summum de la liberté. Je n’ai aucun sponsor, je surfe simplement parce que j’aime ça, jusqu’à en dessiner
mes propres planches. C’est une passion par laquelle je développe ma créativité. Le windsurf, j’adore. C’est le sport avec lequel j’ai la plus compliquée des relations. Je me demande parfois pourquoi je windsurfe ? C’est difficile, cher, mais en même temps, à chaque bonne session, à chaque trip mémorable, je ne me vois pas abandonner. Cette relation évolue constamment, comme mes inspirations. Enfant, mon père était pour moi le meilleur du monde, il pouvait faire des forward loops ! J’ai ensuite fréquenté les rideurs du quartier comme Levi Siver, un de mes héros, je voulais être comme lui. Kauli Seadi a aussi été une source d’inspiration. J’aimerais pouvoir dire qu’il y a du Seadi dans mon style ».
Roediger est admiratif et fasciné par les sauts inimaginables de Köster, Fernandez, ou Campello à Pozo. « Pendant longtemps, la PWA n’organisait que des compétitions orientées sauts. Je trouvais ça cool mais ce n’était pas moi. Ça me paraissait inaccessible. On dit que je suis un spécialiste du wavesailing mais je me considère comme un généraliste. J’ai une approche « surfy » de la vague mais des freestyleurs comme Balz Muller m’inspirent. Ils élèvent le sport sur une autre dimension. Si je pouvais incorporer ce qu’ils font dans la vague, ce serait incroyable. Un Kono off the lip serait la chose la plus cool de tous les temps ! En participant à cette PWA, j’ai réalisé que j’avais encore énormément de choses à apprendre, et à essayer ».
Si l’athlète et sa créativité ont une bonne part à jouer dans le style de Roediger, le shape de ses planches est un élément déterminant pour l’hawaïen. « J’ai une relation intime avec mes planches. Si tu libères ta planche, elle te laisse faire ce que tu veux. C’est de la magie. Mes premières Flikka étaient faites pour Hookipa. Nous faisons évoluer le concept sur un plan expérimental. La courbe constante de ces planches plaçait le Maître-bau au milieu, entre le rail de pied de mât et le pied avant. J’ai demandé de déplacer ce point vers l’avant. J’ai un peu copié la tendance de John John Florence en surf sur son modèle Ghost. C’est un mix moderne/old school. Ça permet d’aller plus vite avec une meilleure conduite sans avoir à rendre la planche plus étroite. J’avais au Cap Vert 4 planches, toutes de 75 litres pour 216 cm. Je n’en n’avais jamais eu autant sur une compétition ! Des amis m’avaient dit de prendre plus de volume pour flotter et être compétitif. Je ne suis qu’un « freesailor » habitué à rider ce que j’aime. Je n’ai jamais voulu de planche plus volumineuse. Je me suis rendu compte de
mon handicap en demi-finale où le vent était super léger. J’ai eu du mal à prendre des vagues avec ma 4.6. Je voyais mes opposants en gros matos prendre les vagues plus facilement, mais ils luttaient pour tourner. Ce n’est pas comme à Hookipa où tu arrives toujours à placer de jolies courbes avec une grosse planche. Le coeur de la vague de Ponta Preta est si court qu’il faut une taille de matos bien précise. Je me réfère souvent au surf quand je parle de shape, parce que ces gars n’augmentent pas le volume de leur planche quand les conditions changent ». L’artiste parle. Naviguer, surfer une vague, c’est libérer sa créativité pour US 113. « Je ne suis pas allé au Cap Vert en me disant je vais gagner. Je n’avais aucun objectif. J’ai du très bon matos. J’ai constaté que j’étais parfaitement synchronisé avec la vague, et que j’ai mes manoeuvres. On fait des compétitions de windsurf par passion. Pas pour des millions de dollars. Évidemment, on veut bien naviguer et montrer ce que l’on sait faire. La victoire ou la place que tu atteins n’est pas importante. À chaque fois que mon tour venait, je me disais, montre ce que tu sais faire. C’est ton oeuvre. Montre ce que tu as développé au cours de tant d’années d’apprentissage. Montre ta passion ».
Impressionnant sur la vague de surf-sailing à Ponta Preta, Roediger avait tout à perdre à Little Hookipa. « Certains rideurs ne voulaient pas concourir sur ce spot où les conditions n’étaient pas idylliques. Moi non plus mais pour d’autres raisons, j’étais en tête ! Ça allait être plus dur qu’à Ponta Preta même si Little Hookipa ressemble à la maison l’été. Mais il fallait s’y faire, la compétition allait avoir lieu quoi que l’on en pense. La compétition, ce n’est pas comme le free sailing où tu fais le difficile, où tu choisis de ne pas y aller ou d’aller voir ailleurs. Tu es forcé de le faire et de le faire bien. C’était mon état d’esprit, basé sur mon vécu du SUP World Tour. Le plus relax et concentré tu es, le mieux tu surferas. Quelqu’un de stressé ou surexcité ne gagnera pas. C’est le cas de Ricardo par exemple ».
Nº 1 à Sal, l’Hawaïen (pro surf) reste ouvert sur la suite de la saison sportive, mais il milite pour un idéal de parité. « Avec la pandémie, et en étant aux portes d’une troisième guerre mondiale, tu ne sais vraiment pas de quoi le futur est fait. Il faut vivre le présent à 100 %. Je garde mes options ouvertes. L’IWT essaie de placer un contest aux Fidji. C’est un des endroits où je veux aller, j’économise pour ça. La PWA devrait aller sur ce type de spots. Le Cap Vert fut un superbe début de saison. Pour être un circuit compétitif, il devrait y avoir un nombre équivalent de spots de saut et de surf. Cela encouragerait des gars comme moi à venir participer et à apprendre pour former une communauté de windsurfeurs globale plutôt que d’opposer les Maui boys aux Pozo boys ».