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Yaoundé : comment les jeunes apprehende­nt le mariage ?

Au Cameroun, pendant que certains l'appréhende­nt positiveme­nt, d'autres ne veulent plus en entendre parler. Ils préfèrent "le vient-on-reste" ou "le goûter-goûter".

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"Au départ, il y a d'abord ce qu'on appelle le "toquer-porte". Si vous vous entendez avec votre femme déjà, elle vous envoie chez ses parents. Dès que vous arrivez, le premier jour, vous vous présentez. Le second jour, vous revenez donner une enveloppe. Après on vous envoie chez les grands-parents, d'abord, parce que c'est là que tout commence. Vous partez voir le grand-père maternel, vous donnez une couverture, une tine d'huile rouge, un sac de sel et une enveloppe, même chose que chez le grand-père paternel", ainsi raconte fièrement Alex Noisé, le processus du mariage traditionn­el dans sa région, dans l'ouest du Cameroun.

La tradition d'abord...

C'est après ces dons que vous avez le droit de fixer le jour où vous viendrez épouser votre femme. Le mariage coutumier ou traditionn­el est alors une mise en scène dont le scénario non écrit remonte pourtant aux temps immémoriau­x.

On vous présente une jeune femme totalement recouverte de pagne. On vous demande si c'est elle votre future épouse.

Question piège, car très souvent, ce n'est pas elle votre fiancée. On va alors vous demander de négocier pour qu'on vous amène votre "véhicule" (autre appellatio­n de la vraie fiancée). C'est le moment de constituer et de distribuer les enveloppes,

confirme le jeune Alex Noisé:

"Il y a souvent les 150 000, les 200 000, ce que j'ai déjà vu. Sans compter les 50 000 qu'on a d'abord donné au départ, ça dépend du père de la ࢆlle. Il peut être humble, il vous dema nde de donner 150 000, 200 000, 300 000, pourquoi pas ? ".

Le mariage traditionn­el est en fait le mariage entre deux familles, à travers un jeune homme et une jeune femme. C'est l'occasion pour l'homme d'honorer l'amour qu'il a pour sa femme, de s'engager en acceptant la liste des biens ainsi que les enveloppes financière­s à fournir à la belle famille.

Jeanne Mballa Tsoungui, jeune employée communale à Yaoundé, au centre du Cameroun, dit respecter le mariage traditionn­el plus que le mariage à l'état civil : "L'état civil, on peut le déchirer. C'est un papier. Mais lorsque nos grands-parents ont mangé et ont bu, avant de manger et de boire, nous demandent d’abord : est-ce que je peux manger ou boire de ce vin ou de cette nourriture ? Si tu dis "oui", c'est un "oui" qui va te condamner d'abord, toi-même, la femme."

Le mariage traditionn­el n'enchante pas tous les jeunes.

Pour Onguéné, originaire du Centre du Cameroun, il y a comme une marchandis­ation de la jeune femme à travers le mariage traditionn­el : "Je pense qu'aujourd'hui, nos familles sont en train de passer de travers. Parce que se lever et aller à la mairie dépenser 30 000 francs pour l'acte de mariage, c'est tellement facile. Mais alors, ce mariage traditionn­el dont on parle de la dote, je crois que c'est là où tout va mal. ça veut dire quoi? On va te présenter les beaux- frères qui vont te demander les motos, on va te demander les écrans plats, sans savoir où déjà la ࢆlle et le gars habitent ou vont habiter après. Peut-être qu'ils sont dans un petit studio que le gars a même du mal à payer à la ࢆn du mois."

Le mariage traditionn­el est effectivem­ent trop lourd à supporter dans certaines régions du Cameroun, et cela n'est pas pour encourager les jeunes à se marier, souligne Onguéné : "C'est pourquoi on trouve déjà beaucoup de nos soeurs qui vadrouille­nt là dehors. Par exemple, moi j'habite un quartier comme Melen. Là-bas, vraiment, la ࢆlle n'a plus de valeur. La ࢆlle, au départ, elle est belle, et elle se met à accoucher les enfants par-ci par-là. Je dirais : les parents vendent maintenant leurs ࢆlles, parfois sans avoir même donner une éducation à sa ࢆlle. Ou alors sans trouver quoi faire à sa ࢆlle avant qu'elle ne quitte la maison. ça fait que quand la ࢆlle va rester avec le gars, le gars va retrouver à un moment donné que c'est même une charge pour lui, parce qu'elle n'a rien appris. Elle est à la maison sous forme de consommatr­ice."

Les mariages restent les moments de joie pour les parents les jeunes mariés et leurs ami(e)s.Une affaire de sous

Si dans la région d'Alex Noisé à l'Ouest du Cameroun on parle de centaines de milliers de francs Cfa, chez Jeanne Mballa Tsoungui, c'est plutôt une affaire de plusieurs millions de francs Cfa. Et pour faire face au poids du mariage traditionn­el, les jeunes femmes doivent parfois s'associer à leurs conjoints pour payer leurs propres dotes, précise Jeanne Mballa Tsoungui :

"La liste ne regarde pas seulement l'homme. Elle regarde aussi la femme, que tu dois aussi épauler ton mari pour que lui aussi il vienne te donner les honneurs, le respect dans ta famille. Ce qui fait que nos papas et mamans au village soient aussi contents quand ils t’envoient en mariage."

Jeanne Mballa Tsoungui a en effet assisté au mariage traditionn­el de sa tante : "J'ai vu comment on a doté ma tante. Et ma tante, mais elle a dit, non, je ne peux pas laisser mon mari me dot tout seul parce que c'est lui qui veut la femme, non. Elle aussi s'est mise corps et âme pour aussi donner de sa contributi­on même si elle était petite. Cela a au moins encouragé l'homme et ils sont allés même jusqu'à l'église."

Mariage mixte

Malgré le poids souvent lourd du mariage traditionn­el, la jeune Syntia Vanessa Ntolo y trouve une bénédictio­n : "Maintenant par rapport à ce mariage aussi, il y a beaucoup d'autres choses qui se passent; parce que pendant ce mariage on peut, comme on dit souvent au village, soit vous manger soit vous libérer. Parce que quand quelqu'un mange, la parole de Dieu lui dit que c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle. Alors, quand les gens sont déjà dans la joie, qu'ils ont mangé, ils agréent votre mariage. Et là votre mariage se passe à merveille."

Comme Syntia Vanessa, Sombré Paul, originaire du nord du Cameroun n'a aussi rien contre le mariage traditionn­el tant qu'il est sobre comme dans son village. Car dans le nord Cameroun, on peut épouser sa femme avec 150 000 francs, et de surcroît, la bellefamil­le peut contribuer financière­ment et matérielle­ment à accompagne­r la jeune femme en mariage.

Le mariage, le mariage africain, c'est en fait un mariage mixte. Il est à la fois animiste, chrétien, musulman, et même parfois classé à tout-vent. Ainsi parle-t-on du "vient-on-reste" au Cameroun, ou encore du "goûter - goûter", pour signifier le concubinag­e face aux difficulté­s de remplir les normes du mariage.

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Le mariage coutumier en Afrique est souvent plus significat­if pour les familles des mariés.
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Les mariages restent les moments de joie pour les parents les jeunes mariés et leurs ami(e)s.

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