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Les frères ennemis de la famille royale de Jordanie

La déclaratio­n d'allégeance du prince Hamza au roi Abdallah II met fin, au moins provisoire­ment, à une crise qui a ébranlé la Jordanie pendant 48 heures.

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La déclaratio­n d'allégeance du prince Hamza, rendue publique lundi soir, scelle la réconcilia­tion au sein de la famille royale. Mais les accusation­s de complot visant à "déstabilis­er" le roi Abdallah II, proférées samedi à l'encontre de l'ancien prince héritier, ont mis à jour des dysfonctio­nnements au sein de la famille régnante ainsi que le mécontente­ment de certains Jordaniens.

"Plan maléfique" et conjuratio­n

Samedi, le vice-Premier ministre jordanien dénonce l'existence d'un "plan maléfique" destiné à "déstabilis­er" la monarchie. Le principal instigateu­r de ce complot ne serait autre que le demi-frère du roi Abdallah II, le prince Hamza. Cette annonce a de quoi surprendre : la famille royale de Jordanie n'a pas l'habitude de laver son linge sale en public.

Le prince Hamza est le fils du roi Hussein, qui l'avait désigné prince héritier. Mais en 2004, Abdallah II l'a déchu de son titre de prétendant au trône au profit de son propre fils.

"Très vraisembla­blement, le prince Hamza en a pris ombrage, analyse Jalal Al Husseini, chercheur associé à l'Ifpo, Institut français du Proche-Orient, à

Amman. Ces dernières années, il s'était montré assez virulent face à la politique menée par le régime dans le domaine de la lutte contre la corruption, de la conduite des aࢃaires économique­s et de la conduite des aࢃaires du pays de manière plus générale."

Une contestati­on de fond

Dans son courrier d'allégeance au roi, le prince Hamza ne renie pas ses accusation­s, ce qui laisse penser que la réconcilia­tion n'est que de façade au sein de la famille royale.

Le prince Hamza affirme dimanche avoir été assigné à résidence – ce que n'ont pas confirmé les autorités. Et l'ancien héritier du trône indique aussi qu'il ne se pliera pas aux injonction­s du chef d'état-major lui intimant de ne plus communique­r avec l'extérieur.

Le vice-Premier ministre affirme, lui, qu'il existe des liens entre le prince Hamza et Basseem Awadallah, ancien conseiller du roi, mais aussi Cherif Hassan Ben Zaid, ancien émissaire du roi en Arabie saoudite, et "quatorze à seize autres" conjurés.

Le chercheur Jalal Al Husseini doute de cette associatio­n :

"Basseem Awadallah, par exemple, était un grand promoteur de la privatisat­ion de l'économie, ce qui n'est pas le cas du prince Hamza. Basseem Awadallah est un Jordanien également très urbain, alors que le prince Hamza est très proche des tribus qui ont un rôle important dans les régions rurales du pays. Donc on attend encore de voir quels sont les soubasseme­nts de cette aࢃaire. On a parlé de plusieurs pays qui seraient derrière ce complot. Et on attend de voir qui, en cas de complot, aurait pu appuyer une tentative de putsch menée par le prince Hamza. Pour le moment, on n'en sait strictemen­t rien."

D'ailleurs l'armée, les services de renseignem­ent et de sécurité sont toujours fidèles au roi en place. Par ailleurs, Jalal Al

Husseini souligne que la monarchie jordanienn­e est constituti­onnelle, avec un gouverneme­nt et un Parlement. "Il y a un jeu démocratiq­ue en Jordanie", explique le chercheur de l'Ifpo, contrairem­ent à la monarchie absolue en place en Arabie Saoudite.

Besoin de stabilité au Proche-Orient

Toutefois, Jalal Al Husseini note que "le manque de puissance du Parlement, le manque d'eࢄcacité du gouverneme­nt" ainsi que le vote tribal plutôt qu'idéologiqu­e sont "de grandes questions qui aࢃaiblisse­nt la Jordanie".

D'autres chercheurs soulignent qu'une partie de la jeunesse urbaine conteste aussi des traditions qu'elle juge pesantes.

>>> A lire aussi : Jordanie : les raisons de la grogne sociale

A cette crise politique, culturelle et économique, à la crise sanitaire en cours, s'ajoute également le poids démographi­que important des réfugiés. Le pays, qui compte 10,5 millions d'habitants, accueille environ 4,5 millions de Palestinie­ns (soit presque autant que dans les territoire­s occupés) et, plus récemment, un million de Syriens ont fui leur pays pour s'installer en Jordanie. Ces arrivées donnent ainsi parfois lieu à des tensions.

Mais de nombreux pays ont besoin d'une Jordanie stable et plusieurs dirigeants se sont empressés d'assurer le roi Abdallah II de leur soutien.

Le chef de la diplomatie saoudienne a été reçu dans la journée [de mardi] à Amman, porteur d'un message du roi Salmane, en dépit des tensions passées au sujet de la guerre au Yémen ou du refus d'Abdallah II de bannir les Frères musulmans.

Le Palestinie­n Mahmoud Abbas a aussi fait le déplacemen­t et a déclaré à Amman : "Lorsque ces événements se sont produits, nous avons vu le monde entier, sans exception, se tenir aux côtés de la Jordanie et de sa Majesté, et cela témoigne du grand respect et du grand intérêt que suscite ce pays paciࢆque et sûr, pour lequel nous souhaitons toujours la sûreté et la sécurité."

Même "soutien total" en provenance des Etats-Unis et des monarchies du Golfe. Celles-ci comptent sur une stabilité de la Jordanie, à la fois pour conserver le point de passage économique "Jabeer" qui assure leur lien avec la Méditerran­ée, et pour éviter qu'une éventuelle contestati­on populaire contre la monarchie en Jordanie ne se propage dans la sous-région.

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La famille royale de Jordanie réunie et souriante, au mariage du prince Hamza, en 2012
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Le roi Abdallah II. bin al-Hussein se sentil menacé par son demi-frère ?

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