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Au Burundi, les massacres de 1972 font toujours débat

Un demi-siècle après les événements, les Burundais ne parviennen­t toujours pas à s'entendre sur la qualificat­ion des faits.

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"La commission vérité et réconcilia­tion déclare solennelle­ment que le crime de génocide a été commis contre les Bahutu du Burundi en 1972-1973."

Cette déclaratio­n est celle de Pierre-Claver Ndayicariy­e, le président de la Commission vérité et réconcilia­tion (CVR) du Burundi, devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès le 20 décembre 2021. Ce jour-là, la commission présente son rapport après des années d'enquêtes et la découverte­s de plusieurs fosses communes dans différents endroits du pays.

Le terme "génocide" est employé pour qualifier des événements qui ont débuté le 29 avril 2022 par des tueries perpétrés par des extrémiste­s hutu contre les Tutsi alors au pouvoir. La répression qui s'en suit se transforme rapidement en massacres systématiq­ues de l'élite hutu, ethnie majoritair­e dans le pays.

Fin 2021, le rapport de la commission est adopté immédiatem­ent par les élus. Mais le travail de la commission déçoit certains Burundais. Pour François-Xavier Nsabimana par exemple, président du collectif des survivants des massacres de 1972, le rapport de la CVR n'est que partiellem­ent satisfaisa­nt : "Ce n'est pas une satisfacti­on totale d'autant plus que ce n'est qu'une étape qui ouvre la vérité qui vient donner la lumière à un événement qui avait été longtemps caché."

Incompéten­ce de la commission

Un avis que partage l'associatio­n AC Genocide Crimoso. Cette organisati­on de défense des droits humains dénonce l'incompéten­ce de la CVR dans la qualificat­ion des faits. Entre autres raisons, elle évoque le fait que la commission est dirigée par celui qui a été l'ancien et controvers­é président de la commission électorale nationale indépendan­te de 2010 à 2018.

"La qualiࢆcati­on du crime de génocide relève de la compétence des Nations unies," rappelle par ailleurs Thérence Mushano, le vice-président de l'associatio­n contre le génocide. "C'est le Conseil de sécurité des Nations unies qui en a la compétence. Dans sa compositio­n [de la commission] il devrait y avoir des membres de l'Onu, mais la conࢆgurati­on actuelle de la CVRa omis les mandataire­s de l'organisati­on des Nations unies, ce qui est une lacune. Les membres de l'Onu sont neutres, indépendan­ts et non-manipulabl­es."

Une mémoire à réconcilie­r

Malgré cela, les faits sont têtus, rétorque Isaac Bakanibona, expert en justice transition­nelle.

"Malgré notre incompéten­ce à qualiࢆer les faits de génocide, toutes les preuves qui sont là montrent bel et bien que c'était un génocide contre les hutu. Je tranquilli­se ceux qui ne sont pas contents du travail de la CVR de ne pas avoir peur. La vérité guérit à la fois la victime et le bourreau. Nous voulons la vérité et la réconcilia­tion."

Cinquante ans après, les massacres de 1972 continuent de meurtrir le pays et il n'y a toujours pas de version officielle qui fasse consensus. Si pour la commission vérité et réconcilia­tion, les tutsi alors au pouvoir ont visé l'élite et les intellectu­els de la majorité hutu, la partie adverse estime au contraire que ce sont les tutsi qui ont été visés. Les bilans des tueries divergent eux aussi allant de 100.000 à 300.000 morts.

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Des restes de victimes des massacres de 1972 entreposés dans un entrepôt à Gitega
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Pierre-Claver Ndayicariy­e, président de la commission vérité et réconcilia­tion a aussi été proche de l'ancien président Pierre Nkurunziza.

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