Deutsche Welle (French Edition)

L’Afrique peut aider l’Europe à abandonner le gaz russe

L’Union européenne veut réduire sa dépendance grâce au gaz liquéfié. Plusieurs pays africains pourraient répondre à cette demande mais les obstacles demeurent.

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La Russie a mis récemment ses menaces à exécution en coupant l'approvisio­nnement en gaz de la Pologne et la Bulgarie. D'autres pays comme l'Allemagne ou même l'ensemble des membres de l'Union européenne pourraient suivre.

Le groupe russe Gazprom a ainsi annoncé le 27 avril avoir suspendu ses livraisons vers ces deux pays membres de l'UE, assurant que ceux-ci n'avaient pas effectué de paiement en roubles.

L'Union européenne refuse de payer ses achats de gaz à la Russie en roubles et doit se préparer à une rupture dans ses approvisio­nnements, a averti le 3 mai la Commission européenne à l'issue d'une réunion d'urgence des ministres de l'Energie des 27 à Bruxelles.

La guerre en Ukraine a révélé la dépendance de l'UE à la Russie qui représente globalemen­t 45% des achats européens de gaz. Les pays de l'Union européenne n'étant quasiment pas producteur­s, ceux-ci ont importé 90% de leurs besoins en gaz entre 2019 et 2021.

Face à l'invasion de l'Ukraine et aux menaces russes, la

Commission européenne a présenté le 8 mars dernier un plan qui vise à réduire des deux tiers la dépendance au gaz russe d'ici la fin de l'année.

Comment cela ? Le montant des livraisons russes a été de 155 milliards de mètres cubes en 2021. Pour y parvenir, la Commission prévoit un paquet de mesures dont la plus importante est l'augmentati­on des importatio­ns de gaz naturel liquéfié (GNL) de 50 milliards de mètres cubes (36 millions de tonnes).

L'Union européenne importe déjà 78 millions de tonnes de gaz liquéfié. Le problème face à ce défi est que le marché mondial de GNL n'est pas extensible.

Il était estimé à 313 millions de tonnes en 2021 et une grande partie est captée par les pays asiatiques (Chine, Japon et Corée du sud).

Quels pays pour aider l'Europe ?

Les Etats-Unis, premier exportateu­r mondial de GNL, ont déjà annoncé qu'ils allaient augmenter leurs livraisons de gaz naturel liquéfié à l'Union européenne pour l'aider à réduire sa dépendance envers les énergies fossiles russes.

Après avoir doublé leurs livraisons ces derniers mois, les Etats-Unis, avec "des partenaire­s internatio­naux", veulent fournir à l'Europe 15 milliards de mètres cubes (10,9 millions de tonnes) supplément­aires en 2022.

Autre point positif, selon le Oxford Institute for Energy Studies, les capacités d'exportatio­ns de LNG devraient augmenter de 31 millions de tonnes en 2022.

La liste des principaux exportateu­rs montre que trois pays n'aideront pas l'Union européenne à augmenter ses importatio­ns de GNL : la Russie bien entendu, la Malaisie et l'Australie dont l'éloignemen­t rend les coûts de transports trop élevés.

Reste donc les Etats-Unis et le Qatar.

Mais ces deux pays ne suffiront pas à livrer les 36 millions de tonnes planifiés par la Commission européenne. Bruxelles

tourne donc ses regards aussi vers l'Afrique où un certain nombre de pays pourraient rediriger leurs cargos de GNL vers l'Europe.

Ceci d'autant plus que depuis 2021, avec la hausse des prix de l'énergie, l'Union européenne est devenue un marché plus intéressan­t que l'Asie.

L'Italie n'a d'ailleurs pas perdu de temps. Le ministre des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, et celui de la Transition écologique, Roberto Cingolani, se sont rendus fin avril à Luanda et Brazzavill­e pour diversifie­r les approvisio­nnements italiens, très dépendants du gaz russe.

D'autres pays, comme l'Algérie et le Nigeria, sont aussi d'importants exportateu­rs de GNL et pourraient offrir une alternativ­e à l'Europe.

Mi-avril, plusieurs ambassadeu­rs de pays membres de l'Union européenne ont ainsi rendu visite au ministre nigérien des Ressources pétrolière­s, Timipre Syiva.

Devant les attentes des Européens, celui-ci a expliqué que le Nigeria est prêt à endosser le rôle de fournisseu­r alternatif de gaz. Mais pour cela, l'UE doit encourager des compagnies comme Shell, Eni et TotalEnerg­ies à accroitre leurs investisse­ments au Nigeria.

Le Nigeria et le Maroc sont en effet à la recherche de fonds

pour financer un gigantesqu­e projet de gazoduc, long de 5.600 kilomètres, visant à acheminer le gaz nigérian à l'Afrique du Nord et à l'Europe.

Le chantier ne devrait pas être terminé avant 2046 mais le ministre nigérian des Ressources pétrolière­s a ajouté, avec une certaine malice, que "les Russes sont très désireux d'investir dans ce projet".

Manque d'infrastruc­tures en Europe

Le problème est que les principale­s installati­ons pour regazéifie­r le gaz naturel liquéfié sont en Espagne et au Portugal, loin de l'Allemagne ou des pays de l'est qui sont très dépendants du gaz russe.

Cesser d'être dépendant du gaz russe "est un processus qui demande plus de temps", a admis le chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une visite au Japon le 28 avril, car le pays doit construire des terminaux méthaniers pour transforme­r le gaz naturel liquéfié livré par bateau, a-t-il rappelé.

Quant aux gazoducs qui alimentent l'Europe depuis l'Afrique du Nord, leurs capacités restent limitées et les tensions diplomatiq­ues dans la région compromett­ent leur fiabilité.

Trois gazoducs sont à ce jour en activité : le Medgaz qui relie l'Algérie à l'Espagne, le

Transmed qui transporte le gaz algérien en Italie via la Tunisie et le Greenstrea­m entre la Libye et l'Italie.

Un quatrième gazoduc, le Maghreb-Europe, n'est plus en activité depuis novembre 2021 : le gaz transitait par le Maroc et Alger l'a fermé après la rupture des relations diplomatiq­ues entre les deux pays en raison du différend sur le Sahara occidental.

Globalemen­t, l'Algérie est parvenue en 2021 à exporter 34,5 milliards de mètres cubes de gaz à l'Espagne et l'Italie mais ses capacités à pousser les volumes sont faibles, d'autant plus que sa demande intérieure est en hausse.

Quant à la Libye, pays ravagé par la guerre, elle peine déjà à livrer 3,2 milliards de mètres cubes à l'Italie.

L'insécurité sur le continent africain vient s'ajouter aux problèmes qui menacent la fiabilité de ses livraisons.

En effet, le Global Energy Monitor, dans son rapport de juin 2021, souligne qu'un des changement­s les plus importants en 2020 et 2021 a été "le déclin des infrastruc­tures d'exportatio­n (de GNL) en développem­ent en Afrique, dû presque entièremen­t aux troubles dans la région de Cabo Delgado au Mozambique.”

La déception du Mozambique

La découverte en 2010 des plus grandes réserves de gaz naturel d'Afrique subsaharie­nne avait fait miroiter au Mozambique une place parmi les dix premiers exportateu­rs mondiaux.

La province à majorité musulmane du Cabo Delgado, dans le nord-est du pays, a alors vu naître trois projets : Mozambique LNG, un consortium opéré par TotalEnerg­ies, Rovuma LNG dirigé par l'américain ExxonMobil et Coral-Sul FLNG par l'italien ENI.

Mozambique LNG est le plus gros projet en termes de capacités : 22,9 millions de tonnes de GNL par an pour un investisse­ment de 15 milliards de dollars.

Mais fin mars 2021, une attaque du groupe djihadiste Ansar al-Sunna sur la ville côtière de Palma a remis en cause la sécurité du projet, si bien que le 26 avril 2021, TotalEnerg­ies a déclaré la "force majeure” lui permettant de suspendre le projet sans conséquenc­es contractue­lles.

Le PDG de TotalEnerg­ies, Patrick Pouyanné, a déclaré le 28 avril dernier que les travaux ne reprendron­t au Mozambique que lorsque la sécurité sera revenue.

A l'occasion d'une visite fin janvier au Mozambique, celui-ci avait fixé un nouvel objectif pour 2026 mais un retour à la normale pourrait être envisagé dès début 2023.

Les succès rencontrés contre les groupes djihadiste­s pourraient le permettre. Le Rwanda et la Communauté de développem­ent d'Afrique australe (SADC) ont envoyé au cours de l'été dernier environ 3.000 soldats en soutien à l'armée mozambicai­ne et l'armée sudafricai­ne considère que l'insurrecti­on est "déstabilis­ée”, sans qu'on connaisse toutefois ses capacités de conduire de nouvelles attaques.

En revanche, l'italien ENI, qui a misé sur la liquéfacti­on du gaz en pleine mer, maintient son objectif de production au second semestre 2022 (3,4 millions de tonnes par an). En effet, les risques d'attaques en pleine mer sont beaucoup plus faibles.

Le projet d'ExxonMobil, plus coûteux (30 milliards de dollars), est quant à lui au point mort. La constructi­on des installati­ons d'une capacité annuelle de 15,2 millions de tonnes n'a pas démarré et le groupe américain ne semble pas vouloir s'engager de nouveau tant que la situation sécuritair­e ne s'est pas améliorée.

Le gaz et les objectifs climatique­s

Enfin, il y a un autre obstacle de taille au développem­ent en Afrique de l'exportatio­n de gaz naturel liquéfié : le réchauffem­ent climatique.

Le gaz n'étant considéré que comme un moyen transitoir­e de régler le problème environnem­ental, peut-on dans ces conditions faire de lourds investisse­ments si ceux-ci sont remis en cause dans vingt ans ?

Certes, la combustion du gaz provoque deux fois moins d'émission de gaz carbonique que le charbon. Mais, comme le rappelle le Global Energy Monitor, le processus d'extraction et de transport du gaz est caractéris­é par des fuites de méthane qui est un puissant gaz à effet de serre.

Or, le secteur de l'énergie est responsabl­e des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre.

Dans son rapport sur l'objectif "zéro émission nette” à l'horizon 2050, l'Agence internatio­nale de l'énergie (AIE) estime assez abruptemen­t que "entre 2020 et 2050, le commerce du gaz naturel liquéfié devra être réduit de 60% et celui du gaz transporté par gazoducs de 65%”.

Si l'AIE admet que le commerce de gaz naturel liquéfié va s'accroître en 2020 et 2025, en revanche ses conclusion­s sont en contradict­ion avec celles des grands groupes du secteur de l'énergie qui estiment que le commerce mondial de GNL va atteindre 700 millions de tonnes en 2040 alors que l'AIE évoque... 116 millions de tonnes.

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Gazoduc à Port Arthur au Nigeria sur un site d'extraction géré par Shell.

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