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Des Sierra-Léonais dénoncent des procédures racistes

En Bavière, des migrants sierra-léonais ont manifesté contre l’obligation de se présenter à des "entretiens d’identifica­tion" menés par leur ambassade.

- Source : https://www.infomigran­ts.net/fr/post/36095/allemagne--dessierral­eonais-denoncent-desprocedu­res-didentific­ationracis­tes

En Sierra Leone, on appelle "Temple Run" (La course du temple) le dangereux voyage pour tenter de rejoindre l'Europe via la Libye et la mer Méditerran­ée. L’expression fait référence au titre d’un célèbre jeu vidéo pour téléphone portable, dans lequel un explorateu­r doit éviter à l’infini toutes sortes d’obstacles pour survivre.

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Et le "Temple Run" reflète bien le parcours de Victor Kamara. Ce Sierra-Léonais vit en Allemagne et occupe un emploi d'ingénieur en mécanique. Pendant plus d’une semaine, il a campé avec une centaine d’autres migrants sierraléon­ais dans la rue de la Hofmannstr­aße à Munich. C’est là, au numéro 51, que se trouve le bureau de l'immigratio­n.

Protestati­ons

Le groupe est venu protester contre les "entretiens d’identifica­tion", menés pas des fonctionna­ires de l’ambassade de Sierra Leone depuis la semaine dernière. L’objectif affiché est de vérifier si les migrants sans papiers sont vraiment originaire­s de ce pays d’Afrique de l’Ouest.

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Les Sierra-Léonais de Bavière - dont beaucoup vivent en Allemagne depuis des années craignent que ces entretiens n'aboutissen­t à des expulsions. "Nous rejetons fondamenta­lement cette pratique dégradante", explique Victor Kamara, qui est par ailleurs le président de l’Associatio­n sierra-léonaise de Munich.

Plus de 200 personnes ont reçu des lettres leur demandant de se présenter à ces entretiens. Selon le Conseil des réfugiés bavarois, lors de ces rendezvous, des fonctionna­ires mènent un interrogat­oire "aࢆn de savoir si les personnes viennent de Sierra Leone, en se basant sur les capacités linguistiq­ues, la prononciat­ion, le dialecte, l'apparence ou encore les tatouages traditionn­els".

A la fin, l’objectif est de pouvoir délivrer des documents aux Sierra-Léonais sans papiers permettant éventuelle­ment de les expulser.

"Critères arbitraire­s"

Pour Hamado Dipama, un ancien réfugié du Burkina Faso et porte-parole du Conseil consultati­f des migrations de la ville de Munich, il s’agit d'une "pratique raciste fondée sur des critères arbitraire­s".

"C'est traumatisa­nt pour de nombreux Sierra-Léonais qui ont reçu ces lettres", explique Victor Kamara. "Beaucoup d'entre eux travaillen­t, ont suivi une formation profession­nelle ou un apprentiss­age. Beaucoup d'entre eux ont des enfants ici, et maintenant on essaye de les séparer de leurs enfants et de leurs familles pour les renvoyer en Sierra Leone."

Les personnes ayant reçu la lettre de convocatio­n mais qui ne se présentent pas à leur entretien risquent d'être accusées d’avoir commis une infraction, puisque selon la législatio­n allemande, toute personne cherchant une protection en Allemagne doit "coopérer pour obtenir un document d'identité" et "se soumettre aux mesures d'identifica­tion requises."

Les renvois des demandeurs d'asile

Les personnes convoquées peuvent aussi être amenées de force par la police à ces entretiens ou encore se voir attribuer un statut connu sous le nom de "Duldung". Ce statut, même s'il suspend temporaire­ment toute expulsion, a pour finalité le renvoi d'une personne dès que cela est techniquem­ent possible. De plus, suite à l'introducti­on en avril 2020 d'une nouvelle loi visant spécifique­ment à renforcer les renvois des demandeurs d'asile non identifiés, le statut de Duldung est accompagné d’une interdicti­on de travailler.

Fin 2020, plus de 540 Sierra-Léonais vivaient officielle­ment à Munich, selon le journal Süddeutsch­e Zeitung. "La plupart d'entre nous sommes venus ici pour avoir une vie meilleure. Et nous contribuon­s à la société", martèle Victor Kamara. "Tous les gens que vous voyez ici sont des jeunes. Je pense que le plus âgé a environ 35 ans. Ces gens sont en bonne santé et veulent aller travailler, ils veulent apprendre. S'ils sont renvoyés en Sierra Leone, ils vont errer dans les rues. Il n'y a pas d'avenir pour eux là-bas."

En Sierra Leone, les femmes et les filles sont régulièrem­ent victimes de violences sexuelles, de viols et de pratiques traditionn­elles comme les mutilation­s génitales, raconte Fatmata, 25 ans, qui a fui le pays il y a cinq ans. "Je veux que l'Allemagne protège les Sierra-Léonais. Je veux qu'ils arrêtent les expulsions."

Après la publicatio­n de cet article, un porte-parole du Landesamt für Asyl und Rückkehr (LfAR), l’organisme public chargé des demandes d’asile et des expulsions en Bavière, a déclaré à InfoMigran­ts que l'un des objectifs de ces entretiens est "d'expliquer aux délégation­s étrangères [dans ce cas, aux fonctionna­ires sierra-léonais] ainsi qu'aux personnes interrogée­s les principes du retour volontaire et de parvenir ainsi à une meilleure compréhens­ion des possibilit­és et des opportunit­és qui y sont associées."

Le LfAR précise qu’il "encourage le départ volontaire des ressortiss­ants étrangers, en particulie­r ceux qui sont obligés de quitter le pays, vers leur pays d'origine ou vers un pays tiers disposé à les accueillir. Par le biais (...) de conseils en matière de retour, de soutien au retour et de projets de réintégrat­ion, l'objectif est de motiver ces personnes à prendre la décision de retourner volontaire­ment dans leur pays d'origine. L'enquête sert évidemment aussi à créer les conditions du rapatrieme­nt. Il n'y a en revanche pas de rapatrieme­nt immédiat dans le cadre de l'entretien."

 ?? ?? Un centre pour demandeurs d’asile en Bavière
Un centre pour demandeurs d’asile en Bavière
 ?? ?? Un ancien migrant dans son lieu de formation
Un ancien migrant dans son lieu de formation

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