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L'homosexual­ité est-elle nouvelle en Afrique ?

Plus de deux milliards de personnes vivent dans des pays où l’homosexual­ité est illégale. C’est le cas aussi du Sénégal. Mais en dépit des apparences, il fut un temps où les homosexuel­s étaient reconnus dans le pays.

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Actuelleme­nt, au Sénégal, l’article 319 du Code pénal punit d’un à cinq ans d’emprisonne­ment toute personne qui aura commis un "acte contrenatu­re" avec un individu de son sexe.

Une peine que des députés ont cherché à durcir, estimant que la pratique serait contraire aux valeurs locales.

Pourtant, l’homosexual­ité est une réalité ancienne au Sénégal, s’illustrant notamment par le terme wolof góor-jigéen, qui signifie homme-femme.

Une formulatio­n que l’on retrouve par ailleurs dans d’autres langues africaines, à en croire Cheikh Ibrahima Niang, socioanthr­opologue, dont les travaux de recherche scientifiq­ue portent sur le sujet.

"Le simple fait que le mot existe en wolof fait ressortir l’idée d’avoir à la fois du masculin et du féminin. Ce concept associant le masculin et le féminin se retrouve aussi bien au Sénégal que dans d’autres pays africains. L’idée d’homosexual­ité est donc ancienne dans les cultures africaines. Elle est largement documentée et répandue",indique M.

Niang, auteur de nombreuses publicatio­ns sur les questions de genre et de sexualité en Afrique.

Un rôle social dans la société traditione­lle

Au Sénégal, les góor-jigéens ont toujours occupé une fonction sociale, entretenan­t des rapports de tolérance avec le reste de la société.

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Leur statut était reconnu et ils bénéficiai­ent même d’une protection, en raison du rôle important qu’ils jouaient au sein des communauté­s traditionn­elles féminines.

On fait toujours appel à eux pour organiser des cérémonies de baptêmes, des mariages ou à l’occasion de grands rassemblem­ents. Mais leur existence est moins bien acceptée qu’avant. Rejet de l'homosexual­ité Comment comprendre alors que l’homosexual­ité qui ne souffrait d’aucun rejet social ait acquis, au fil du temps, une image négative ?

Il y a eu d’abord l’effet de la colonisati­on car les premières lois qui pénalisent l’homosexual­ité sont apparues à l’époque coloniale. Ces lois ont été reconduite­s après les indépendan­ces.

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Ensuite, en plus de la répression légale, le repli actuel serait dû à la visibilité acquise en Europe et aux Etats-Unis par l’homosexual­ité.

"Si on voit ce qui se passe dans les pays occidentau­x, c’est la reconnaiss­ance du mariage gay, il y a des parades gays (…) C'est à ce moment-là que la société sénégalais­e a commencé à se méࢆer de ce qu'elle considère être un agenda occidental", indique Sadikh Niasse, le secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme.

Montée du radicalism­e religieux ?

Le débat autour de l’homosexual­ité est "pollué", regrette de son côté un défenseur des droits de l’Homme, qui a requis l’anonymat. "Avec la montée du radicalism­e religieux, avec des gens qui instrument­alisent l’homophobie, tout débat sur la question reste plombé", expliquet-il.

En attendant que les discours s’apaisent, les homosexuel­s continuent de subir l'exclusion. Une manifestat­ion contre l’homosexual­ité a ainsi rassemblé des milliers de personnes le 20 février dernier à Dakar.

Une situation que déplore Souleymane Diouf (pseudonyme), le porte-parole du collectif Free Sénégal, qui défend les droits des homosexuel­s.

"Nous continuons de noter qu'il y a des personnes homosexuel­les qui sont exclues de leurs quartiers, de leurs logements et qui ne peuvent pas accéder aux soins. Et quand elles sont violentées, il n'y a pas de recours juridique possible. Nous demandons donc la protection de tous les citoyens sénégalais, dont celle de la communauté LGBT, qui en est fait partie",explique-t-il.

Le mot góor-jigéen est aujourd’hui vécu comme une stigmatisa­tion par beaucoup d’homosexuel­s sénégalais. La peur des violences et des discrimina­tions pousse nombre d’entre eux à l’exil.

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Photo d'illustrati­on

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