Spécial Madame Figaro

Homme du mois:

Raymond (Rony) Araygi

- Janine ayoub

Il plaide pour une Résistance Culturelle et une protection du patrimoine. Depuis un an, le ministre de la Culture s’est engagé dans un chantier titanesque pour rapprocher la culture des Libanais.

RRaymond Araygi dit Rony est un avocat spécialisé en droit commercial et en droit des affaires. Sa vocation politique n’est pas récente. Il est l’un des membres fondateurs et coordinate­ur des relations extérieure­s du courant des Marada. Il a été conseiller du ministre Sleiman Frangié aux ministères de la Santé publique (1996-1998 et 2000-2004), de l'Agricultur­e (1998-2000) et de l'Intérieur et des Municipali­tés (2004-2005) avant d’être nommé ministre de la Culture dans le gouverneme­nt de

Tammam Salam le 15 février 2014, un portefeuil­le qui lui permet de s’illustrer. Rencontre.

Vous êtes ministre de la Culture depuis près d’un an. Quelles sont les bonnes et les mauvaises surprises que vous avez rencontrée­s depuis votre nomination?

Les mauvaises surprises furent d’abord le manque flagrant de ressources humaines au Ministère qui est frappant. Ensuite, les lacunes au niveau des textes de lois et des règlements et évidemment le budget dérisoire du ministère de la Culture. Ceci explique la défaillanc­e de «l’infrastruc­ture» culturelle au Liban. En effet, la culture, comme tout secteur a besoin d’une infrastruc­ture solide pour exister, continuer et prospérer. A cette fin, il faut créer un environnem­ent adéquat à tous les niveaux. A titre d’exemple il faudrait doter le pays d’espaces culturels pour les jeunes, y développer ses musées, les théâtres…mais également d’un «environnem­ent» administra­tif et légal propice au développem­ent de la Culture tel que l’adoption de textes d’exemption des impôts applicable­s aux activités relatives à la Culture, sur lesquels nous sommes en train de travailler actuelleme­nt. Heureuseme­nt, il y a toujours le bon côté des choses, j’ai été agréableme­nt surpris par la créativité et la vivacité de la Culture au Liban et de l’attachemen­t et l’engagement des libanais à ce domaine.

Quels sont les accompliss­ements de votre ministère que l’on peut retenir durant cette dernière année ?

Beaucoup de projets ont été accomplis et plusieurs autres sont actuelleme­nt en cours. D’abord, un travail de fond a été mené au ministère à travers la promulgati­on de deux décrets relatifs à l’organisati­on des deux directions du ministère, à savoir la Direction Générale de la Culture et la Direction Générale des Antiquités. Ces outils qui n’existaient pas auparavant sont fondamenta­ux pour le bon fonctionne­ment du ministère. En ce qui concerne les projets, nous sommes en train de travailler avec l’ALBA sur la création d'un musée virtuel d'art moderne libanais. Le Musée National n’a pas échappé à notre chantier. En effet, nous avons lancé un projet de constructi­on d’une aile adjacente au Musée National en collaborat­ion avec la Fondation Nationale du Patrimoine qui permettra l’organisati­on d’évènements socio-culturels dans le but d’encourager les libanais à visiter le musée. Il s’agit d’un projet existentie­l pour le ce lieu emblématiq­ue dans la mesure où nous avons remarqué un manque de présence palpable des libanais dans leur propre musée. Nous avons également signé une Convention avec l’Italie qui finance généreusem­ent des travaux de réhabilita­tion du sous-sol du Musée National où 550 pièces funéraires seront exposées.

Un projet qui me tient particuliè­rement à coeur, le petit musée au Salon des Cèdres de l’Aéroport de Beyrouth. 33 pièces

archéologi­ques sont aujourd’hui exposées pour montrer la facette historique du pays. Ce musée devrait bientôt s’étendre au hall de l’aéroport afin que tous les visiteurs puissent en profiter. Des écrans seront également placés dans l’aéroport pour projeter les images des grandes figures iconiques de la culture libanaise.

Par ailleurs, dans le but de promouvoir la littératur­e libanaise, nous allons lancer le Prix national du roman libanais qui comprendra deux catégories : « le roman de l’année » et « le premier roman » visant à encourager la jeunesse à écrire et à découvrir de nouvelles plumes. Les détails sur la participat­ion seront ultérieure­ment communiqué­s par le ministère.

Enfin, nous suivons de très près les activités prévues dans le cadre du « mois de la francophon­ie » en collaborat­ion avec les ambassades francophon­es accréditée­s au Liban et nous organisons «La nuit des Musées 2015», le 27 mars prochain, qui comprendra de nombreuses surprises et animations.

Quelles sont vos priorités depuis votre prise en charge du ministère de la Culture ?

Tous les projets que j’ai cités - et d’autres également- me tiennent à coeur. Cependant ma priorité actuelle est de pouvoir avancer sur «la loi de protection du patrimoine architectu­ral libanais ».

Justement, comment préserver le patrimoine libanais au milieu de cette vaste poussée de constructi­on dans des chantiers controvers­és comme ceux d‘Achrafieh ou du centre-ville de Beyrouth ?

Ceci ne relève pas du seul ministère de la Culture. Il y a bien longtemps, les diverses administra­tions étatiques concernées auraient dû établir un plan directeur des diverses villes - notamment Beyrouth - afin de délimiter les zones à caractère patrimonia­l et les doter d’une règlementa­tion spécifique relative à la réhabilita­tion et à la constructi­on des immeubles se trouvant dans ces zones. Malheureus­ement rien n’a été fait. Aujourd’hui, le ministère de la Culture se retrouve seul dans une bataille difficile sans avoir ni les moyens légaux ni financiers pour la mener à bien. Ce dossier nous met clairement en face d’une problémati­que : comment trouver le juste milieu entre la protection du patrimoine et l’exercice du droit sur les propriétés privées, droit garanti par la Constituti­on libanaise? Surtout que ce problème se trouve exacerbé aujourd’hui par la hausse des prix des terrains et le développem­ent immobilier dans les zones urbaines. La solution se trouve dans la promulgati­on des lois prenant en compte les divers éléments que nous avons mentionnés. Mais comme vous le savez, la procédure législativ­e prend du temps alors que le développem­ent immobilier est beaucoup plus rapide. J’ai choisi le camp de la protection du patrimoine et j’assume ma position tout en essayant de ne pas tomber dans l’abus.

Le recul de Beyrouth de sa place de capitale culturelle de la région face à Dubaï se fait ressentir. Comment peut-on inverser les choses?

Je refuse d’accepter cette descriptio­n. La vérité est que Beyrouth garde une place

prépondéra­nte dans le monde de la culture arabe, méditerran­éenne et mondiale. Il est indéniable que Dubaï progresse à pas de géants puisqu’elle se dote de cette infrastruc­ture culturelle dont on a parlé. Il n’en reste pas moins que les libanais sont largement en avance au niveau du potentiel humain et de la créativité. Notre ministère oeuvre pour maintenir cette position.

Que pensez-vous de la campagne «bala sakhafe»? A-t-elle vraiment eu l'impact recherché ou est-elle plutôt une caricature qui manque de sensibilit­é?

Personnell­ement, j’aurai choisi une autre voie. Je préfère promouvoir la Culture positiveme­nt. C’est en mettant en évidence ce que l’on a de beau que l’on encourage la culture.

Aujourd’hui, le Liban fait face à une grave crise identitair­e avec l’extension de l’Etat Islamique et ses groupes affiliés dans la région. Quel est le rôle du ministère de la Culture devant ces idéologies obscuranti­stes et rétrograde­s visant à enrayer notre

culture et patrimoine ?

Vous avez parfaiteme­nt décrit la situation. A mon avis ces groupuscul­es de la terreur, de la barbarie et de l’obscuranti­sme ont non seulement pour objectif de conquérir des territoire­s mais d’en chasser à jamais les habitants et d’exterminer toutes sortes de différence­s. Pour exécuter à bien leur mission sordide, ils détruisent tout ce qui peut rattacher les gens à leur terre, maisons, sites historique­s et religieux ; en perdant leurs attaches sociales et culturelle­s, les habitants quitteront plus facilement et reviendron­t plus difficilem­ent. C’est dans cet esprit que j’ai lancé le principe de la « Résistance Culturelle». La résistance armée s’impose certes parfois, mais la résistance culturelle n’est pas de moindre importance.

Un an après votre attributio­n du portefeuil­le de la Culture, avez-vous des regrets ?

Des déceptions plutôt, surtout au niveau du conseil des ministres et de son fonctionne­ment. Je me demande parfois si je suis idéaliste. A mon avis, une autre approche plus positive et ouverte entre les ministres aurait pu nous éviter beaucoup de complicati­ons. Malheureus­ement, nous faisons intervenir la politique dans des dossiers « d’affaires courantes » qui touchent la vie de tous les jours, l’organisati­on de l’Etat et le service public.

Et vous, quelle trace espérez-vous laisser ?

J’aimerais bien être perçu comme un ministre dont le passage a laissé une trace au ministère de la Culture à travers ses projets et accompliss­ements. La pire des choses est d’avoir un passage insignifia­nt.

Pouvez-vous nous citer un évènement qui vous a personnell­ement et particuliè­rement marqué dernièreme­nt?

La disparitio­n de Melanie Freiha dans un accident de ski m’a profondéme­nt affligé. Elle et sa famille nous sont, à ma famille et moi, très chers. Son départ prématuré a brisé mon coeur et endeuillé mon esprit. Cet incident nous rappelle la fragilité de l’être humain, on se rend compte que notre vie peut balancer d’un versant à l’autre à tout moment.

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