Spécial Madame Figaro

DESIR: LA LIBÉRATION TEXTUELLE

ODES À LA FEMME AIMÉE, JOURNAUX INTIMES, LETTRES, ESSAIS…, DE PLUS EN PLUS D’INTELLECTU­ELS ET DE ROMANCIERS FONT DU CORPS LE COEUR DU SUJET. À CROIRE QUE LE SEXE EST LA NOUVELLE OBSESSION CONTEMPORA­INE. REPENSER LA CHAIR ET L’AMOUR EST-IL L’ULTIME MOYEN D

-

UN ANCIEN PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, UN PRIX GONCOURT, deux éminents universita­ires: lettres d’amour, billets doux et carte du Tendre s’abattent depuis l’automne sur les tables des libraires en rafale. Quelle mouche pique tous ces auteurs ? Pourquoi éprouvent-ils, chacun à leur manière et selon les codes de leur génération, le désir de conter les délices de la chair ? Passant avec talent de «l’Art français de la guerre» (éditions Gallimard) à celui de l’amour, Alexis Jenni a signé ainsi un très bel hommage à sa femme, intitulé «Dans l’attente de toi» (éditions L’Iconoclast­e). C’est une ode à l’épiderme de l’aimée: « Je veux dire, écrit-il, quel événement intense a lieu quand seulement nos mains s’effleurent, quand seulement ma main te caresse, quand seulement tu poses ta main sur moi. Je veux arriver à dire que tu es très belle à toucher. » Ces pages, avoue-t-il, furent horribleme­nt difficiles à écrire, même pour un Goncourt. Pourquoi ? Parce que les écrivains n’ont tout simplement pas les mots pour dire l’incroyable sensation, la volupté propre à la caresse, la douceur tactile, la jouissance de la peau. Nos sociétés favorisent la culture de la vue et répriment du même coup celle du toucher. Le romancier butait. Imitant Dante, il a donc commencé par écrire des lettres à sa Béatrice: l’angle épistolair­e n’était pas le bon. Alors, il s’est tourné vers les peintres, a sélectionn­é des toiles de Fragonard, de Rembrandt, de Bacon, de Picasso célébrant des muses ou des modèles aimés afin de calquer ses intuitions sur les leurs. Maria Boursin, posant nue, de dos, pour son amant Bonnard, le plus sensuel de nos impression­nistes ? Cela donne « le Cabinet de toilette au canapé rose » et, ajoute Jenni : « les plus belles fesses de la peinture occidental­e ». C’est assez vrai. Profilés dans un clair-obscur, saturé de lumière ocre, le fessier de Maria, sa cambrure et ses petits seins offrent un relief mat et velouté suggérant un plaisir charnel à venir. La Bethsabée de Rembrandt, tout aussi nue, est encore plus touchante : son ventre rebondi, ses cuisses charnues signalent par leur imperfecti­on même le charme physique du modèle. Jenni confirme dans un sourire ému: « Bethsabée au bain est pleine de défauts, ce qui la rend extraordin­aire de présence et de sensualité. » Il aurait rêvé d’être peintre, mais, nul en dessin, Jenni s’est lancé dans des études de biologie avant de découvrir sa vocation, l’écriture: « J’avais besoin d’une façon objective d’appréhende­r la chair, le corps et ses propriétés. Depuis ma plus tendre enfance, explique-t-il, je pense que tout passe par les sensations beaucoup plus que par l’intellect. Et la littératur­e, pour moi, en fin de compte, relève des sens et de l’expérience. »

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Lebanon