Luxemburger Wort

Tout Braque, ou presque

Couleurs et camaïeux, formes et volumes

- PAR SOPHIE GUINARD

Galeries nationales du Grand Palais à Paris

Fauvisme, cubisme, grandes séries…. Georges Braque investit le Grand Palais. Il y a tout juste cinquante ans, ses obsèques nationales orchestrée­s par Malraux le consacraie­nt maître d’un grand modernisme à la française. C’est le parcours de celui – peintre, graveur et sculpteur – qui a changé le cours de l’art du XXe siècle, qui est retracé actuelleme­nt en 238 oeuvres. Plus de 150 huiles sur toile, une cinquantai­ne de photos, des sculptures, des extraits de films, des livres et autres documents, présentés chronologi­quement et thématique­ment, mettent en lumière l’oeuvre multiforme d’un artiste souvent éclipsé par Picasso.

Originaire du Havre, formé aux Beaux-arts de Paris, Georges Braque (1882-1963), en ce début de XXe siècle, se confronte nécessaire­ment à la tradition impression­niste et au plein air. Il découvre les Fauves en 1905: des paysages et des ports peints à l’Estaque et La Ciotat accueillen­t le visiteur dans un éclatement de couleurs pures.

Admirateur de Cézanne, il donne sa propre vision du monde et bascule rapidement dans l’espace cubiste. «Maison et arbre» et «Maisons à l’Estaque», peintes l’été 1908, sont considérée­s comme les premiers paysages cubistes. Les voyant exposés à la galerie Kahnweille­r, Matisse parle alors de «petits cubes»… C’est une véritable révolution esthétique qui est en marche.

Avec Picasso, il développe d’abord le cubisme analytique. La couleur, élément lié à la sensation et l’émotion, s’efface devant la forme, pure géométrie intellectu­elle. La forme se brise, se décompose en facettes, se développe à plat comme les faces d’un dé permettant une vision simultanée d’un même objet sous différents angles. Les trois versions du «Château de La RocheGuyon» illustrent ce processus d’éclatement de la forme homogène en facettes; le «Grand Nu» à l’anatomie anguleuse et distordue montre la volonté de l’artiste de peindre tout ce qu’il sait du corps féminin. Mais poussée à l’extrême, cette vision de la réalité devient tellement détaillée qu’il est impossible d’en lire les éléments.

Afin d’éviter de tomber dans l’abstractio­n, Braque introduit des éléments typographi­ques – lettres et chiffres au pochoir, papiers collés, sable – afin que l’objet retrouve une simplicité formelle: c’est le cubisme synthétiqu­e. «Compotier et verre» (1912), premiers papiers collés combinant dans un jeu d’illusion chutes de papier peint et dessin de nature morte, «Mandoline» avec ses relief et ses creux, ses ombres et ses lumières amplifiés par des cartons ondulés, en sont des exemples. Peu à peu, ses natures mortes deviennent plus décorative­s et la couleur refait son apparition – dès 1917 et son retour de la guerre, il délaisse les camaïeux de beige et gris caractéris­tiques du cubisme analytique.

Retour au figuratif En 1922, les «Canéphores» marquent le début du retour de Braque au figuratif. Fasciné par l’antiquité grecque archaïque et étrusque – quelques petits bronzes de chevaux en témoignent – il exécute une série de seize eaux-fortes illustrant la «Théogonie» du poète grec Hésiode (VIIe siècle av. J.-C) présentées ici, lignes noires sur fond blanc. En négatif, lignes blanches incisées sur fond noir, de très grands plâtres peints et gravés.

Passent les oeuvres sombres et douloureus­es de la Seconde Guerre mondiale, parsemées de têtes de mort et de poissons noirs. Les séries des Billards, des Ateliers (le cycle complet des neuf est présenté), des Oiseaux marquent les deux dernières décennies de l’oeuvre de Braque. Et – merveilleu­se surprise – au milieu de ces grands formats, changeant complèteme­nt de registre, quelques ravissante­s petites toiles allongées: ses ultimes paysages. Il quitte alors l’intérieur de son atelier pour figurer des bords de mer, des falaises, des champs, des ciels; les coloris sont vifs, la touche épaisse, le rendu extraordin­aire: le maître prend congé de la peinture en revenant à celle de ses origines.

Le parcours chronologi­que permet une vision globale et raccourcie de près de soixante années du travail de Georges Braque en insistant sur les périodes phares de son oeuvre et en présentant des oeuvres clés. En complément, cinq «cabinets» proposent des documents, des photos (de Man Ray et Cartier-Bresson entre autres), des dessins… En mettant en avant sa collaborat­ion avec Picasso pendant la période cubiste, la connivence de son art avec la musique, sa proximité avec des poètes (Reverdy, Ponge, Char) et des figures intellectu­elles comme Jean Paulhan, ils permettent de saisir d’autres aspects de la vie et de l’oeuvre de Braque.

En 1953, Georges Braque recevait la commande officielle du plafond de la salle étrusque du Louvre – ses fameux oiseaux noirs sur fond bleu; en 1961, il était le premier peintre vivant à être exposé au Louvre. Héritier de Poussin, Chardin et Corot, dépositair­e de la tradition classique française, mais aussi représenta­nt brillant du fauvisme, inventeur du cubisme et du collage, précurseur de l’abstractio­n de l’après-guerre, il était temps qu’une grande rétrospect­ive lui soit consacrée (la dernière à Paris remonte à 1973).

C’est chose faite avec cette exposition foisonnant­e et passionnan­te à l’image du destin artistique d’une des grandes figures de la modernité. Jusqu'au 6 janvier 2014 aux Galeries nationales du Grand Palais, 75008 Paris.

www.grandpalai­s.fr

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«Le Port de l’Estaque» , 1906 (collection particuliè­re).
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«Canephore» , 1922.

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