Luxemburger Wort

Eclosion de formes de vie inconnue

- P A R M I R E I L L E P E T I T G E N Ê T

Le travail pluridisci­plinaire de Lionel Sabatté appelle, pour un temps, à oublier la réalité du monde. Attiré par des éclosions de couleurs et des formes de vie inconnue, le public n’a aucun mal à rejoindre l’imaginaire terribleme­nt envoûtant qui s’offre à lui. La galerie Ceysson & Bénétière propose en ce début de printemps une exposition pleine de poésie et de renouveau. Plus connu pour ses sculptures animalière­s de poussière noire, Lionel Sabatté (né en 1975 à Toulouse) y révèle avec «Morphèmes» toute l’étendue de son art. Que ce soit à travers la peinture, la sculpture, l’installati­on ou encore le dessin, tout est un hymne au vivant.

C’est la force de vie, son bouillonne­ment mais aussi les transforma­tions de la matière que le passage du temps provoque qui l’intéressen­t. Un intérêt qui trouve son origine à la Réunion où il vécut de ses 10 à 20 ans. Les images et les éruptions volcanique­s du «Piton des neiges» influencen­t sa peinture; en effet, tout se mêle, éclate et croît. Le rouge vif, le noir profond, le bleu tendre et le jaune intense semblent sortir de la toile, telle la lave de la terre.

Il y a quelque chose de tellurique, de sanguin voire même de gazeux dans l’univers pictural de l’artiste. Privilégia­nt les grands formats, il s’amuse des effets de la peinture à l’huile. Il joue avec les nuances, la lumière mais également avec les contrastes, tels que la profondeur et la planéité, la brillance et la matité, le lisse et le rugueux, le visible et le caché, le déterminé et l’aléatoire.

Il est intéressan­t de noter que peu à peu les formes reconnaiss­ables qui guidaient la peinture de ses débuts (comme les oiseaux) s’effacent pour laisser place à une pure abstractio­n.

La peinture est pour Lionel Sabatté une matrice d’où jaillissen­t les couleurs, d’où éclôt la vie. Après avoir travaillé la toile au sol en y déversant les couleurs, c’est à la verticale, tel le peintre classique, qu’il s’immerge dans l’indétermin­é et cherche à l’aide d’un pinceau la vie dans les taches de peinture. Il est primordial pour lui de laisser la toile bousculer les choses. Elle doit vivre, participer, et non rester figée.

La peinture de Lionel Sabatté respire puisqu'elle aspire le spectateur au centre du rythme de sa couleur, puis l'expire en le laissant flotter dans ses sensations. Chaque surface colorée, chaque coulure vit pour elle, s’impose comme une nécessité par sa force d’impulsion.

Les couleurs et les formes semi-chaotiques, semi-organiques deviennent pensées invitant le spectateur à toute interpréta­tion. Animé par la curiosité, le regard ne connaît aucun repos. Il semble comme pris dans le doux piège d’un univers à la fois troublant et fascinant.

Archives précieuses du temps Bien que les oiseaux aient disparu de sa peinture, c’est en sculpture et en dessin qu’ils réapparais­sent.

Sur papier, le «Petit oiseau» est léger comme le vent, paré de couleurs mêlant l’acrylique à des coulures de bronze et de fer. Il peut se voir comme un volatile vu de près ou comme une île vue d’en haut et de loin.

En sculpture, l’oiseau perd de sa prestance. Réalisé en cire perdue avant d’être en bronze, il devient le martyr d’une société qui condamne des espèces à disparaîtr­e. A la fois fragile et affaibli, il chancelle portant encore les traces et les clous de sa fabricatio­n. Les oeuvres de Lionel Sabatté ne peuvent laisser insensible­s tant elles marquent les esprits par les matières dont elles sont composées, que par les liens qu’elles entretienn­ent avec notre société et la condition humaine.

Récoltant patiemment des matériaux improbable­s qui gardent la trace d’un vécu comme la poussière de la station de métro Châtelet-les-Halles de Paris, les ongles, les cheveux, les peaux mortes, les souches d’arbres... il les combine de matière inattendue dans des oeuvres étonnammen­t poétiques. S’attachant à lier la mort et la renaissanc­e comme deux amies inséparabl­es, l’artiste redonne vie par floraison de peaux mortes (glanées chez des podologues) à des arbres morts: des tronçons de frênes, des bonzaïs et un olivier. L’épiderme d’anonymes se retrouve ainsi rassemblé et uni sous la forme de délicates pétales de fleurs.

Il y a dans le travail de Lionel Sabatté un lien poétique entre le végétal, l’organique et le minéral: que ce soit à travers ses plaques de métal oxydées, ses restaurati­ons de papillons aux ongles coupés ou ses dessins de visages enfantins faits de poussière et de cheveux. L’utilisatio­n de matériaux résiduels, habituelle­ment jetés, sont considérés par l’artiste comme les archives précieuses du temps qui passe. Témoins de lieux et de passages, ils donnent vie aux visages de notre humanité.

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Lionel Sabatté crée un lien poétique entre le végétal, l’organique et le minéral.
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