«Comme un long voyage paisible»
Un chef, un orchestre de chambre et deux solistes: il n'en faut pas plus au compositeur Claude Lenners pour se mettre au calme. L'Orchestre de chambre du Luxembourg (OCL), le chef Roland Kluttig et le duo de percussionnistes KrausFrink seront à l'oeuvre dimanche après-midi à la Philharmonie. Le compositeur luxembourgeois Claude Lenners et sa toute nouvelle oeuvre «Silent Blue» se frotteront à des symphonies de W. A. Mozart et Kurt Weill et à une suite de Joseph Jongen.
C'est lors d'une soirée à Sarrebruck autour du concerto pour deux percussions de Philippe Manoury que les percussionnistes allemands de KrausFrink ont évoqué l'idée de confier à Claude Lenners la composition d'une nouvelle pièce. Répondant à l'appel à candidature du ministère de la Culture au Luxembourg, le compositeur s'est vu confirmé dans le projet.
«La composition d'une nouvelle partition ne peut se concevoir sans une étroite collaboration avec tous les participants», note Claude Lenners, qui s'est mis au travail il y a un peu plus d'un an tout en pensant à ceux qui dimanche après-midi vont donner vie à l'oeuvre. Cette semaine les ultimes répétitions vont bon train, les échanges avec le chef sont nombreux. «Il doit comprendre mes idées, mes pensées, les transcrire et les interpréter. Le chef doit aussi guider ses musiciens, choisir le tempo adéquat, doser la dynamique. Nous avons des échanges répétés. Je suis à ce stade un auditeur privilégié. Ce travail de préparation, de mise en place est le plus beau moment pour le compositeur: j'étais enceint assez longtemps, maintenant je peux enfin donner naissance à mon projet», s'impatiente déjà Claude Lenners.
Une fois n'est pas coutume, les ordinateurs et autres appareils électroniques seront absents de la scène. A leur place, des musiciens en chair et en os. «Si un son de flûte est envoyé à un ordinateur avant d'être reproduit par des haut-parleurs, je peux retravailler ou élargir la couleur spectrale de l'instrument. Dans ce cas précis, je suis musicien et informaticien, l'apport de l'électronique est, le cas échéant, un ersatz pour l'orchestre. Pour , Silent Blue‘ c'est donc complètement différent, je ne suis que musicien.»
Un musicien, qui dans ce cas précis, travaille encore à l'ancienne, c'est-à-dire armé de papier à musique, d'un crayon et d'une gomme. «Je réalise d'abord quelques esquisses. C'est un squelette qui sera complété plus tard. Pour ce travail, je ne veux en aucun cas me fixer des limites.» Une manière donc pour le musicien de se libérer quelque peu des contraintes du programme «Sibelius» – le logiciel de référence du métier. «Des fois, il suffit d'une mesure, d'un accord pour lancer une idée exploitable. Souvent, c'est aussi beaucoup plus difficile.»
«Le titre de l'oeuvre ,Silent Blue' à lui seul résume bien le tout. Le bleu symbolise la quiétude – sauf peut-être dans le cas d'un gyrophare d'ambulance. Le calme et le silence sont absolument complémentaires.» Existe-t-il des parallèles avec la synesthésie d'Olivier Messiaen, qui associait à chaque couleur une note particulière. «Il n'y a aucun rapprochement. Mes propos ne sont pas programmatiques. Je ne raconte pas d'histoires, je crée des atmosphères.»
25 minutes de calme absolu «Silent Blue» est «comme un long voyage paisible, un itinéraire avec des détours voulus. L'heure est au calme absolu, malgré quelques passages plus animés», note le compositeur, comme pour justifier les 25 minutes que dure son périple – une durée dépassant allègrement la limite imposée par l'appel à candidature du ministère de la Culture. Comme si elle refusait de laisser se mettre sous pression, la musique se prend le temps d'exprimer les choses.
Claude Lenners a voulu exploiter les possibilités sonores qui s'offraient à lui. «Le vibraphone permet des sonorités intéressantes. Avec la technique si particulière de l'instrument, on peut laisser le son évoluer dans l'espace, comme en apesanteur... Avec deux solistes jouant du même instrument, les possibilités sont plus riches.»
Le compositeur, dans sa volonté de retenue et de minimalisme, va jusqu'à imposer aux solistes un silence absolu où seuls les gestes comptent. A d'autres moments, un archet de cordes vient extraire de nouvelles couleurs sonores inattendues des lames métalliques. Alors que les instruments solistes servent avec leurs couleurs de guide, l'orchestre crée une enveloppe sonore tout aussi riche que complémentaire, assure le compositeur. «De plus, l'approche concertante des forces musicales en présence – soliste et orchestre – garde aussi tout son sens.»
Agé de 63 ans, Claude Lenners, également professeur au Conservatoire de Luxembourg, n'a de cesse d'exploiter de nouvelles pistes – à l'image de «Silent Blue». «Je n'en suis qu'au début. Tout ce que j'ai fait tout au long des années, appartient au passé, c'est oublié. Des fois, j'aimerais être une pieuvre pour avoir plus de bras et mains pour exprimer mes idées.»
Prenant régulièrement le train pour des distances plus ou moins longues, l'artiste profite de ces moments «où l'on est obligé de se concentrer sur soi» pour travailler et composer. «Les mouvements des paysages qui défilent sous les yeux m'inspirent».
De là à conclure que l'idée de «Silent Blue» n'est certainement pas née lors d'un voyage en TGV? Les spectateurs dimanche aprèsmidi trouveront la réponse...