Luxemburger Wort

Notre-Dame: les donations de la discorde

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Par Arthur Beckoules (Paris) En cette semaine si particuliè­re, la France montre combien les passions qui l'animent sont vivaces, pour le meilleur comme pour le pire.

La nation française portait le deuil mardi matin, alors qu'un terrible incendie avait ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris douze heures durant. En moins de 24 heures, près de 500 millions d'euros de promesses de don étaient déjà annoncés. Plus de trois jours après la catastroph­e, on a dépassé le milliard d'euros.

Et ce sont les grandes fortunes, ainsi que les patrons des plus grandes entreprise­s françaises qui ont sorti les chèques en premier. 100 millions d’euros pour la famille Pinault, propriétai­re notamment du groupe de luxe Kering; 200 millions d'euros pour la famille Arnault, propriétai­re du rival LVMH; 100 millions d'euros pour le groupe pétrolier Total; 200 millions d'euros pour L'Oréal et la famille Bettencour­t, son propriétai­re et actionnair­e principal. Un pays mobilisé, qui retrousse ses manches, ensemble, pour effacer les cauchemars d'hier et reconstrui­re le patrimoine dès demain? Certaineme­nt pas!

Un clivage gauche- droite? Il n'en fallait pas plus pour briser l'union nationale construite sur les vestiges de la Cathédrale. C'est Manon Aubry, tête de liste de la France Insoumise aux européenne­s qui dégaînait parmi les premiers en dénonçant des grands groupes s’offrant «une opération de communicat­ion (...). J’ai vraiment envie de leur dire: commencez par payer vos impôts, ça contribuer­a au budget de l’État et donc au budget de la Culture».

En cause, le système fiscal autour du mécénat et des donations mis en place en 2003 par le ministre de la culture de l’époque, Jean-Jacques Aillagon: les entreprise­s Dès mercredi, le Premier ministre Edouard Philippe annonçait que les dons des Français seraient défiscalis­és à 75 % jusqu'à 1.000 euros.

Qui paye? «La limite des dispositif­s d'incitation­s fiscales, c'est quand ils réussissen­t», ironise le député Gilles Carrez, spécialist­e du sujet. Car ils peuvent créer un trou budgétaire. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2018, le dispositif Aillagon a coûté, concernant les seules entreprise­s, 930 millions en 2016, contre 90 millions en 2004. C'est autant de recettes en moins pour l’État. «Pour 2019, cela pourrait coûter très cher», conclut le parlementa­ire.

Voulant couper court à toute polémique, François-Henri Pinault, PDG du groupe de luxe Kering, déclarait via un communiqué de presse, que «la donation pour Notre-Dame de Paris ne fera l'objet d'aucune déduction fiscale. La famille Pinault considère en effet qu'il n'est pas question d'en faire porter la charge aux contribuab­les français». Bernard Arnault, lui, jugeait «consternan­t» d’être «critiqué» à ce sujet.

Quels que soient les avis, dans cette polémique sur la défiscalis­ation des dons, les détracteur­s oublient un point: propriétai­re des édifices religieux bâtis avant la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, c'est ce dernier qui, sans ces chèques, devrait supporter l'entièreté du coût de cette reconstruc­tion.

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