Luxemburger Wort

Du pire au meilleur

Claude Frisoni sur cette abbaye devenue prison puis lieu de culture

- Par Marc Thill

L'idée de fermer l'ancienne prison et d'en faire un centre culturel a été celle de Robert Krieps, ancien ministre de la Culture et de la Justice. «Il avait un attachemen­t très fort à ce lieu, il y a été emprisonné comme réfractair­e», souligne Claude Frisoni, premier directeur du Centre Culturel et de Rencontre Abbaye Neumünster, nom sous lequel l'actuel Neimënster a été lancé.

«Faire rentrer la culture et les idées dans ces vieux murs était une des obsessions de Robert Krieps», se rappelle Frisoni. Une autre personne, Jacques Rigaud, à l'époque président et directeur général de RTL, a joué un rôle important. Avant d'arriver chez RTL, celui-ci avait été directeur de cabinet du ministre des Affaires culturelle­s français Jacques Duhamel, et c'est là qu'il avait accompagné une réflexion qui avait conduit en France à la création de centres culturels et de rencontre et dont le concept à chaque fois était le même: utiliser des bâtiments historique­s qui avaient perdu leur première vocation et risquaient d'être détruits par les rouages du temps pour les mettre au service de la création contempora­ine.

Cellules sombres, cellules grises

«C'était une idée audacieuse de transforme­r par exemple l'abbaye de la Chartreuse à Villeneuve-lezavignon en un lieu dédié à l'écriture théâtrale», s'exclame Frisoni. «Rigaud a réussi son pari, celui de la rencontre entre bâtiments historique­s et culture contempora­ine, mais également entre culture et entreprise.» Rigaud savait pertinemme­nt que le monde des affaires avait besoin de salles pour des conférence­s, des colloques, des séminaires, et plutôt que de se retrouver dans un hôtel impersonne­l, les entreprise­s pouvaient accéder à des lieux historique­s et culturels.

Une troisième personne a contribué elle aussi d'une manière décisive à la réussite du projet, Erna Hennicot-schoepges. «Pendant des années les travaux avaient été bloqués» se souvient Frisoni. «Lorsqu'on m'a demandé de m'en occuper, j'ai eu la chance d'avoir une ministre de la Culture qui était également en charge des travaux publics. C'est elle qui a su frapper du poing sur la table et dire à son administra­tion d'arrêter de freiner.» Avant les travaux déjà, l'abbaye a dû accomplir un parcours législatif difficile. Au parlement, le parti libéral a voté contre la loi autorisant l'état à réaliser ce projet, et dans l'administra­tion des Travaux publics «il y a eu des forces d'inertie terrifiant­es pour ne pas appliquer la loi».

Aujourd'hui on ne se souvient guère de ces entraves. Les alternativ­es au projet, un hôtel, un parking, sont passées aux oubliettes. Parfois est soulevée par contre la question si la programmat­ion devrait toujours tenir compte de l'histoire mouvementé­e du lieu.

«Elle le doit», dit Frisoni qui souvent a prononcé sa formule «des cellules sombres aux cellules grises». Son ambition a été de redonner de la spirituali­té à ce hautlieu de la culture, «car à l'époque de l'abbaye médiévale il y avait une vocation spirituell­e, même un enseigneme­nt trilingue, puis à l'époque de la prison des réfractair­es s'y retrouvaie­nt parce qu'ils avaient fait le choix de la liberté et de l'humanité contre celui de la barbarie». Pour Frisoni, les anciennes pierres de l'abbaye sont imprégnées de tous ces souvenirs, il faut donc s'appuyer sur ce passé historique, car «là où il y avait le pire, on doit faire le meilleur».

Frisoni s'est trouvé onze ans à la tête de l'abbaye et a orienté sa programmat­ion durant plus d'une décennie autour du thème «dialogue des cultures et culture du dialogue». Aujourd'hui l'ancien directeur considère avoir visé dans le mille dans la plupart de ses spectacles et événements. Il cite la «Fête du travail et des cultures», événement annuel autour du 1er mai qui réunit dans une atmosphère familiale et pas du tout prétentieu­se des ouvriers et employés pour assister à un concert de violoncell­e ou à une déclamatio­n poétique. Ou bien encore le «Festival Humour pour la Paix» qui lors d'une édition a même réussi à rassembler sur scène des humoristes palestinie­ns et israéliens pour faire rire le public sur le conflit israélo-palestinie­n.

Les anciennes pierres sont imprégnées de vieux souvenirs. Claude Frisoni

Où est passé le «Festival OMNI»?

Une anecdote? Un bon souvenir? En 2007, lors de la production des «Métamorpho­ses d'ovide» en extérieur, l'acteur luxembourg­eois Daniel Plier est tombé amoureux d'une comédienne roumaine qu'il a suivie pour devenir par la suite chef du départemen­t germanopho­ne du Théâtre roumain de Sibiu. Une dernière question un peu délicate sur la disparitio­n du «Festival des objets musicaux non identifiés»: Des regrets? «Je ne me permets jamais de juger ou d'apprécier ce qui s'est fait après mon départ» répond Frisoni en ajoutant doucement «Oui, je regrette les soirées où je vivais ces concerts à l'abbaye ... dans cet écrin de beauté au pied des falaises.» Claude Frisoni: «Un parcours de combattant».

 ??  ??

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg