Baha'is, une communauté en danger
Des menaces persistantes sur fond de tension entre Téhéran et Washington – Entretien avec Fari Khabirpour
Considérée comme «hérétique» au temps du Shah Pahlavi, la communauté des Baha'is en Iran subit de lourdes menaces depuis l'avènement de la révolution islamique en 1979, l'intégrisme chiite ne s'accommodant guère d'une spiritualité postulant l'égalité entre hommes et femmes et, plus généralement, leur liberté foncière face à toute religion. L'exaspération actuelle des tensions entre l'iran et les Etats-unis, qui pousse Téhéran à se cabrer sur ses singularités, n'est pas de nature à apaiser la situation de ces Baha'is qui plus que jamais sont en danger. Pour évoquer leur problématique, nous avons rencontré Fari Khabirpour, psychologue-psychothérapeute d'origine iranienne, membre de la communauté des Baha'is au Luxembourg, qui compte 460 personnes. Arrivé au Grand-duché à l'âge de huit ans, Fari Khabirpour allait y diriger le Centre de psychologie et d'orientation scolaire, le village SOS d'enfants de même que le premier centre de rétention pour migrants déboutés du droit d'asile. Fari Khabirpour, qu'est-ce que le bahaïsme? S'agit-il d'une religion?
Le terme «religion» s'est chargé de connotations négatives, et mène bien vite à l'évocation d'enjeux de pouvoir, de fanatismes et autres dérives. Je dirai que le bahaïsme – ou plutôt la Foi mondiale baha'ie – est une philosophie spirituelle, en ce qu'elle affirme une transcendance mais se fonde aussi sur une certaine conception de l'humain, à travers des valeurs comme l'amour, la justice, l'altruisme. Une philosophie qui ne relève pas de la «religion» au sens usuel de ce mot, dans la mesure où la communauté des Baha'is est sans clergé ni intercesseurs entre l'humain et le divin, hommes et femmes étant considérés comme foncièrement libres dans leur rapport à celui-ci. Ni clergé, ni dogmatisme, ni prosélytisme: l'homme est maître de ses choix. Qu'est-ce qui vous a séduit plus particulièrement dans cette «philosophie spirituelle»? Fari Khabirpour évoquant la Foi mondiale baha'ie: ni clergé, ni dogmatisme ni prosélytisme: hommes et femmes sont maîtres de leurs choix.
Sa conception de l'être humain, et ce qu'elle induit sur le plan de l'éducation. Les traditions occidentales tendent à considérer l'enfant comme une entité «vide» a priori, qu'il conviendrait de combler de savoirs. Or la Foi mondiale baha'ie vise l'épanouissement de l'existant, le développement des talents de chacun. Bahá’u’lláh, le fondateur du mouvement, a déclaré ceci: «Considérez l'homme comme une mine riche en joyaux. Seule l'éducation peut révéler ses trésors enfouis et permettre à l'humanité d'en bénéficier». En quoi la Foi baha'ie est-elle irrecevable pour l'islam chiite tel qu'il prévaut en Iran?
Le chiisme iranien se montre incapable de reconsidérer l'islam dans ses contextes particuliers et à la lumière du temps présent. Quant à la Foi baha'ie, elle est inacceptable dans la mesure où elle constitue une spiritualité postérieure à Mahomet, alors que le fondamentalisme islamique considère que l'islam est né avec celui-ci et ne pouvait plus évoluer après lui. Plus particulièrement, l'islam chiite réfute obstinément l'égalité des sexes affirmée par la Foi baha'ie, il n'accepte pas l'absence de clergé qui caractérise cette foi, il réfute l'idée d'une essentielle maturité de l'être humain. Ajoutons encore le refus catégorique de toute conversion: aux yeux du chiisme iranien on naît musulman et on le reste à vie, à défaut de quoi l'on est menacé de mort. Rappelons, à propos du rôle des femmes, que la poétesse baha'ie Tahirih (1817-1852) s'était sacrifiée pour leur émancipation. Condamnée par Naseredin Shah, elle avait proclamé, juste avant sa mort: «Vous pouvez