Un blouson nommé désir
«Le daim» de Quentin Dupieux: l'art de ne pas poser des questions pour ne pas devoir y répondre
«Georges, regarde-moi, écoutemoi!». Georges au début hésite, mais s'exécute. S'en suit un dialogue des plus surréalistes: l'interlocuteur de Georges est en fait... un blouson en daim. monteur Quentin Dupieux, le rendu à l'écran ne pouvait être que surréaliste, absurde et déroutant.
Imaginer l'inimaginable
L'action – si jamais action il devait y avoir – se passe dans un village de montagne. Georges, sorti de nulle part, s'y installe dans un hôtel paumé. Pour faire quoi? Dans quel but? En rachetant à prix fort ce blouson en daim aux larges franges, Georges se voit offrir un vieux caméscope. Ce cadeau devient le compagnon indispensable pour la nouvelle vie qu'il est en train de s'inventer. Denise (Adèle Haenel), la serveuse du bar du village – un peu perdue dans la vie – que l'homme à la caméra entraîne dans son sillage, n'y voit finalement que du feu.
L'objet du désir va faire une scène: il veut être le seul blouson au monde. Georges imagine l'inimaginable. Quentin Dupieux joue avec le spectateur, ne lui donnant les clefs de son énigme qu'au compte-goutte. Et encore! Des décors d'un autre temps, des choix vestimentaires rudimentaires – hormis la collection de vêtements en daim de plus en plus étoffée de Georges – des personnages d'une anonymité récurrente forment un ensemble sans foi ni loi.
Le sang qui coule, la nouvelle vie et raison d'être de Georges, la collection grandissante de blousons récupérés... «Le daim» ne questionne pas, ne porte pas de jugement, ne dissèque pas la vérité entre le bien et le mal. Le spectateur se laisse prendre au jeu, mettant peu à peu sa propre échelle de valeurs en exergue.
Le blouson de daim, tant chéri, devient un personnage bien réel. Un choix sémantique qui vient renforcer l'univers si particulier de cette épopée champêtre.
Calmement, sans soubresauts, le réalisateur construit étapes par étapes, son monde si particulier. Privilégiant à maintes reprises les ambiances douces et feutrées, les jeux avec des lumières suggestives, les plans décalés, les images s'entrechoquent avec une trame bien plus tranchante – le choix d'une pale de ventilateur n'est pas anodin.
Jean Dujardin campe le personnage central avec une empathie délicieuse. Chaque geste, regard ou réplique est mûrement dosé. Georges, mystérieux et énigmatique à souhait, en devient d'autant plus sympathique, convaincant et ce malgré son plan machiavélique qu'il met tout doucement en oeuvre.