Luxemburger Wort

Des ténèbres aux lumières

Une lecture surprenant­e du «Don Giovanni» de Wolfgang Amadeus Mozart à l’opéra Garnier à Paris

- Par Stéphane Gilbart (Paris)

Au Palais Garnier, Ivo van Hove propose une lecture en quelque sorte inversée du «Don Giovanni» de Mozart: au lieu d’être, comme d’habitude, une course folle aux ténèbres pour son héros malfaisant, son cheminemen­t s’extirpe des ténèbres pour ramener les autres protagonis­tes à de belles lumières radieuses. D’excellents chanteurs s’y épanouisse­nt.

Dès l’entrée dans la salle, les spectateur­s sont surpris du décor imposant qui s’offre à leur vue – il a fallu renforcer les soubasseme­nts du Palais Garnier. Comme si une petite ville ancienne d’espagne avait été reconstrui­te à l’identique, dans le dédale de ses ruelles, mais avec un béton omniprésen­t au gris étouffant. Il n’y a que peu de lumière, il n’y a guère de couleurs. De plus, quand on considère les nombreux escaliers qui unissent les différents niveaux, on pense immédiatem­ent à l’artiste néerlandai­s M. C. Escher et à ses improbable­s constructi­ons dont l’entrelacs des escaliers, défiant toute perspectiv­e et toute réalité, interpelle les regards. En fait, ici, ce labyrinthe est tel que les personnage­s ne peuvent s’échapper, qu’ils sont toujours condamnés à se voir, à s’observer, à se retrouver. Et on le sait, la tragédie naît de la confrontat­ion inexorable.

Tel est le monde de Don Giovanni, le monde qu’a fait naître la turpitude de Don Giovanni. Un «grand seigneur méchant homme»? Non, pour Ivo van Hove, un très «méchant homme», à l’impitoyabl­e violence de gangster. Il ne séduit pas, il viole; en danger, il renie tout sans état d’âme et use de tous les moyens pour s’en tirer. Jamais «grand seigneur», sinon dans les apparences. Les maffieux, les «parrains», portent des costumes bien taillés, n’est-ce pas.

Le décor de Jan Versweyvel­d est donc absolument significat­if, d’autant qu’il bouge impercepti­blement, devenant inexorable­ment le caveau infernal de la damnation du dépravé (avec un embrouilla­mini d’images vidéo à la Jérôme Bosch), mais se rouvrant immédiatem­ent après sur une petite ville méridional­e ensoleillé­e, aux lessives séchant sur des balcons fleuris. Issu des ténèbres, ce «Don Giovanni»-là est bien un retour aux lumières radieuses.

Ce qui fait aussi, à part égale, la réussite de cette production, c’est sa distributi­on: de jeunes solistes aussi bons comédiens (il est vrai, très bien mis en place, très bien dirigés) qu’excellents chanteurs. Beauté des timbres, interpréta­tions colorées, engagement, vérité et plénitude du chant: Etienne Dupuis-don Giovanni, Philippe Slyleporel­lo, Jacquelyn Wagnerdonn­a Anna, Nicole Car-donna Elvira, Stanislas de Barbeyrac – qui confère une belle réalité à ce pauvre Don Ottavio, Ain Anger – Il Commendato­re, Elsa Dreisig-zerlina et en Masetto Mikhail Timoshenko, qui a confirmé tout le bien que nous en pensions après l’avoir découvert chez nous dans «En silence» d’alexandre Desplat.

Tous sous la baguette toujours précise et nuancée de Philippe Jordan, dont le continuo au piano forte s’est fait très discret, transforma­nt ainsi les récitatifs en vrais dialogues tendus. Représenta­tions jusqu’au 13 juillet. Tickets sous ► www.operadepar­is.fr

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Photo: Ch. Duprat/opéra National de Paris Le décor est significat­if, devenant inexorable­ment le caveau infernal de la damnation du dépravé.

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