De l'enfant sans père à l'homme sans chair?
Les dispositions et les défis de la nouvelle loi de bioéthique en France
En 2012, une partie de la France manifestait contre le «mariage pour tous». Mais la loi parfois court plus vite que les moeurs: sept ans plus tard, le pays se dote d'une nouvelle loi de bioéthique, dont la disposition la plus retentissante est l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes en couple et aux femmes seules. Les opposants craignaient surtout de voir l'ouverture de la PMA entraîner un élargissement de la GPA (gestation pour autrui). Ce n'est pas le cas: la loi nouvelle va loin, mais ne s'aventure pas partout.
Le 18 juillet 2019, le Conseil d'état, saisi par le gouvernement, a validé le projet de loi relatif à la bioéthique. Présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019, il a été soumis au Parlement à la rentrée et sera formellement adopté cette semaine. Les pouvoirs publics ont pris acte de l'opinion des Français, qui ont pu s'exprimer dans le cadre d'états généraux de janvier à avril 2018. Cette consultation a fait apparaître des divergences parfois fortes face à la conception même de la vie, les conditions d'intervention sur le vivant, la filiation dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation et les répercussions des avancées neuroscientifiques d'inférer sur les libertés individuelles. Avril 2013 à Paris: la «Manif pour tous» protestait contre le mariage gay.
Le texte nouveau (le troisième depuis 1994), s'ouvre donc sur le chapitre le plus polémique: l'assistance médicale à la procréation. En permettant l'adoption, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a consacré la famille homoparentale, or le texte nouveau entérine cette évolution en ouvrant la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
S'ensuivent des propositions pour l'établissement de la filiation des enfants conçus par don de gamètes ou d'embryons, dans l'objectif de sécuriser leur filiation – la loi crée un droit d'accès aux informations relatives aux donneurs. Par ailleurs, preuve que le législateur a pris acte de limites à ne pas dépasser, la PMA post-mortem reste interdite.
Des problématiques cependant restent en suspens : la situation des enfants nés par une gestation pour autrui (GPA) réalisée à l'étranger et la fin de vie médicalisée ne sont pas abordés par le projet de loi. Le législateur considère que ces problématiques relèvent non pas de la bioéthique, mais de l'éthique.
Les «fabricateurs souverains»
A qui voudrait un aperçu sur les arguments des opposants à la réforme, du moins sur les questions, parfois vertigineuses, que celle-ci soulève, on peut signaler un ouvrage de la philosophe Sylviane Agacinski. Dans un texte intitulé « L'homme désincarné », la philosophe française évoque les conséquences des évolutions législatives dans son pays, «alors que l'idéologie ultralibérale encourage à commercialiser jusqu'à nos propres corps».
L'homme selon Sylviane Agacinski a toujours rêvé de «surmonter les limites de son corps ou d'en acquérir un autre». Les innovations biotechnologiques le rendent désormais accessible. «Un homme nouveau se profile», avertit la philosophe. Les contemporains veulent «échanger leurs vieilles tuniques de peau contre un corps dont ils seront les fabricateurs souverains, corps restauré et augmenté, fabriqué sans père ni mère, et non plus engendré – un corps reconstruit et neutre, pardelà l'homme et la femme.»
C'est le fondement même de la médecine qui selon la philosophe est dès lors remis en cause. Celleci «ne vise plus seulement à réparer» les corps, mais aussi à dépasser les potentialités de ce dernier pour répondre aux désirs individuels. Or, quand c'est le marché qui répond à ces désirs, une véritable éthique selon Agacinski n'est plus possible.