Luxemburger Wort

L'église au front

Les catholique­s de France comme groupe de pression politique

- Interview: Laurence d'hondt

Yann Raison du Cleuziou est maître de conférence­s en sciences politiques à l'université de Bordeaux et chercheur au Centre Emile Durkheim (CNRS). Son dernier livre, «Une contre-révolution catholique», dresse le portrait d'un catholicis­me français militant, qui a reconquis sa place au coeur des débats politiques, notamment bioéthique­s. Le projet de loi de bioéthique a été examiné par l'assemblée nationale. Quel message les catholique­s français veulent-ils faire entendre à ce sujet?

Il n'y a pas que les catholique­s qui dénoncent le risque pris à travers une mise à distance de la norme familiale qui a dominé en Occident pendant des siècles. À gauche, l'écologiste José Bové ou la philosophe Sylviane Agacinsky portent aussi ce combat. Mais ce sont les catholique­s qui structuren­t le débat. Tout d'abord ils dénoncent une pratique encouragée par l'état qui consiste à produire des enfants, en les privant de père. Mais au-delà de cette critique, ils s'opposent à deux «dérives»: considérer le corps, en l'occurrence celui du donneur, comme une source de matériau génétique mobilisabl­e pour satisfaire un désir d'enfant et transforme­r la définition de la médecine, qui ne serait plus seulement appelée à guérir les Yann Raison du Cleuziou, un observateu­r des mutations sociales et religieuse­s. corps, mais aussi à satisfaire des désirs sociétaux frustrés. Vous décrivez comment les «observants» ont reconquis l'espace politique en France, notamment à travers la Manif pour tous. Qui sont-ils?

Le groupe catholique des «observants» s'est construit en résistance à la fois aux excès de la pastorale post-conciliair­e des années 1970 et à la libéralisa­tion des moeurs qui suit Mai 68. Ils vont redoubler de fidélité à la messe et au Pape notamment autour de la parole de Jean-paul II et de la critique de la «culture de mort». Dans mon nouveau livre je décris comment les observants se sont appropriés ce combat. Leur visibilité est la conséquenc­e des interventi­ons de l'état sur les questions bioéthique­s, notamment dans la définition des conditions de la reproducti­on et des usages du corps comme matériau biologique. Depuis la légalisati­on de l'avortement en 1975, le savoirfair­e militant des observants a progressé et a préparé la Manif pour tous qui est, par son ampleur, un des mouvements sociaux les plus importants de la Ve République. Qu'est-ce qui caractéris­e le militantis­me catholique dans ce domaine en France, alors que l'église y affiche l'un des taux de pratique les plus bas d'europe?

En France, c'est parce que les catholique­s ont pris conscience qu'ils devenaient minoritair­es en raison de l'érosion de la pratique religieuse et qu'ils n'étaient représenté­s par aucun parti politique, qu'ils sont devenus un groupe de pression efficace. Le contexte leur est favorable parce que nous vivons l'effondreme­nt de l'idée de progrès qui sous-tendait les imaginaire­s politiques européens depuis le XVIIIE siècle. Si demain est supposé ne pas être meilleur qu'aujourd'hui, alors les modèles de société dont nous héritons reprennent de la valeur comme moyen de contrôle de l'existence. «Une contre-révolution catholique», par Yann Raison du Cleuziou, Seuil, 2019.

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Photo: Shuttersto­ck
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