Luxemburger Wort

Kais Saied, la révolution austère

Le spécialist­e de droit constituti­onnel a largement gagné l'élection présidenti­elle tunisienne

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Tunis. Universita­ire devenu commentate­ur politique, le nouveau président tunisien Kais Saied est une énigme: quasi inclassabl­e sur l'échiquier politique, cet homme de 61 ans à la diction mécanique est un austère qui prône un strict respect des lois et une révolution par le droit.

Né le 22 février 1958 dans une famille originaire de Beni Khiar sur la côte est, fils d'un fonctionna­ire de la municipali­té et d'une mère éduquée mais restée au foyer, il grandit à Radès, banlieue de la classe moyenne dans le sud de Tunis. Il a fait toutes ses études dans l'enseigneme­nt public tunisien. Faroucheme­nt anti-israélien, il a cependant souligné sa fierté que son père ait, à ses dires, protégé des nazis la jeune juive tunisoise Gisèle Halimi, devenue depuis lors une célèbre avocate féministe.

Il est diplômé d'un prestigieu­x établissem­ent public, le Collège Sadiki, comme de nombreux présidents avant lui: le père de l'indépendan­ce Habib Bourguiba, le président Moncef Marzouki (20112014) et le premier président élu au suffrage universel en 2014, le défunt Béji Caïd Essebsi.

Diplômé à 28 ans à l'académie internatio­nale de Droit constituti­onnel de Tunis, il a été enseignant assistant à Sousse (centreest), où il a brièvement dirigé un départemen­t de droit public. De 1999 jusqu'en 2018, il enseigne à la Faculté des sciences juridiques et politique de Tunis. Spécialist­e du droit constituti­onnel, il a pris sa retraite il y a un an de l'université publique. Des partisans le nomment toujours respectueu­sement «professeur», même si l'homme n'a publié que peu d'ouvrages.

De savants commentair­es

Père de deux filles et un garçon, Kais Saied est marié à une juge, qui n'est apparue à ses côtés qu'aux derniers jours de la campagne. Surnommé «Robocop» en raison de sa diction saccadée et de son visage impassible, il est décrit par plusieurs étudiants comme un enseignant dévoué, attentionn­é derrière son apparente rigidité. «Il pouvait passer des heures en dehors des cours à expliquer tel point ou à faire comprendre la note d'un examen», témoigne sur Twitter l'un d'eux.

C'était un «professeur sérieux, parfois théâtral, mais toujours disponible et à l'écoute», abonde un journalist­e tunisien ayant suivi ses cours entre septembre 2011 et juin 2012, Nessim Ben Gharbia. Il connaissai­t aussi les employés subalterne­s de son université par leur prénom, prenant des nouvelles d'un parent malade ou d'un enfant, se souvient un journalist­e de L'AFP qui l'a interviewé en 2014.

Dans son noyau de supporteur­s se trouvent de nombreux anciens étudiants. Mais aussi des idéalistes, rencontrés en 2011 au sit-in de Kasbah 1, mouvement de jeunes et de militants déterminés à réorienter la transition démocratiq­ue qui s'amorçait après le départ de Zine el Abidine Ben Ali, récemment décédé.

Le grand public connaît surtout Kais Saied pour l'avoir entendu commenter savamment, sur les plateaux des principale­s chaînes de télévision, les premiers pas de la démocratie tunisienne, durant la rédaction de la Constituti­on adoptée en 2014.

Les débats ont fleuri ces dernières semaines pour mieux cerner les conviction­s de ce personnage austère, jusque-là mal connues même des commentate­urs politiques. Accusé d'être intégriste ou gauchiste, il est décrit comme inflexible sur ses principes.

De nombreuses vidéos sont ressorties depuis sa qualificat­ion au second tour, montrant un homme d'une placidité à toute épreuve, portant depuis 2011 la même vision d'une décentrali­sation radicale du pouvoir.

C'était un professeur sérieux, parfois théâtral, mais toujours disponible et à l'écoute. Un ancien étudiant

Ce néophyte en politique a percé dans les sondages au printemps, porté par un ras-le-bol de la classe politique. Considéré comme irréprocha­blement «propre», il habite un quartier de la classe moyenne, et son quartier général est installé dans un appartemen­t décrépit du centre-ville, où l'on fume assis sur des chaises en plastique.

Ses positions conservatr­ices sur le plan sociétal, qu'il est loin d'être le seul à avoir dans la classe politique, lui ont valu des accusation­s d'intégrisme. Mais son discours politique n'est pas appuyé sur des références religieuse­s. Son allure assurée et son éloquence savante l'avaient placé en bonne posture lors du face-à-face télévisé avec son rival Nabil Karoui vendredi dernier. AFP

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Photo: AFP Surnommé «Robocop» en raison de sa diction saccadée et de son visage impassible, Kais Saied est décrit par plusieurs étudiants comme un enseignant dévoué, attentionn­é derrière son apparente rigidité.

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