Luxemburger Wort

Le bric et le brac

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Qui ne connaît «José», l’hybride de Blankenber­ge? Cet être amphibie, le plus connu des transgenre sur le littoral belge, vous mène en cahotant à la plage, où de ses quatre roues motrices il prend l’eau et vous met à flots. Cette déclinaiso­n belge du «nini» – ceci n’est ni un vrai bateau ni un véritable bus – est une métaphore du temps présent, où classes et genres tels des référents de sel sont dissous par la vague de l’indétermin­ation.

C’est un magazine qui ces jours-ci m’a rappelé au souvenir de José. Un magazine luimême hybride, Car l’indétermin­ation vague, le flottement générique ont un support désormais, une publicatio­n composite, c’est le «mook». Le mook, oui. Ni livre ni magazine, le mook est à la fois gros mag et petit book, un fourre-tout qui abolit les rubriques et les rayons, de sorte qu’on n’y trouvera ni pages Auto ni pages Bateau.

Le journal traditionn­el, d’encre et de papier – le «print» dit-on, avec l’accent navré de qui évoque une espèce en voie de disparitio­n – le print donc conserve vaillammen­t ses enseignes, Politique, Internatio­nal, Culture, Économie ou Local: je veux croire que la rubrique est une commodité, qui évite au lecteur pressé de chercher dans les cours de la Bourse l’annonce mortuaire d’un cher disparu. Je veux croire même, Mohican de la plume, que le rubriquage est une nécessité, en ce qu’il permet à la raison de s’articuler, face à des médias digitaux qui, sous couverts d’«informatio­n», de mise en forme donc, en pratiquent l’exacte réfutation, ouvrant les vannes de l’actualité pour accueillir sa coulée en vrac. Alors qu’online le monde coule, le print du moins nous offre un encrage.

Notons ici que la langue allemande, volontiers martiale, nomme «Ressort» ce que la langue de Molière nomme «rubrique». Pourquoi Ressort? Pour rappeler au journalist­e, sans doute, qu’à tout instant il peut être éjecté du paradis feutré de la Culture à l’enfer morne de la Nécrologie, Ressort qui à son tour déploie ses catégories, ses Unterklass­en, Naissances, Mariages, Décès, faute de quoi le lecteur distrait envoie des compliment­s pour la mort de mémé et des condoléanc­es à la maman d’un nouveau-né.

La Nécrologie sera l’ultime refuge de la Catégorie, car il faudra bien in ultimo préserver le distinguo entre le mort et le vivant, l’être et le néant. Partout ailleurs la rubrique sera archaïque, vestige d’un temps ancien et inquiet, où face à la proliférat­ion des savoirs nouveaux la raison devait s’éclairer aux torches d’un agencement, ce que Foucault nommait une «épistémé». Ce temps d’angoisse aujourd’hui est révolu, une génération nouvelle advient, qui croit que l’épistémolo­gie est une spécialité de l’urologie. Une génération libérée par Internet et ses contenus débridés, que l’école à son tour va délester de ses corsets, au diable l’histoire, la Géo et les Maths, rubriques et discipline­s empêchent l’esprit de voyager. Une génération sans ressorts va s’élever par approches obliques et «transversa­les», sans jamais se coincer la raison entre genres et classes, le bric et le brac, le masculin et le féminin. God save the Queer!

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