Luxemburger Wort

Quête de sens

- Par Nadia Di Pillo

Authentici­té, confiance en soi, lâcher prise, relaxation, jamais il n'y a eu autant d'outillages et de recettes comporteme­ntales qui promettent, souvent en trois ou cinq leçons, de favoriser le bien-être et la vie des salariés en entreprise. Cette tendance bonheurist­e, enseignée dans les business school américaine­s, s'est transformé­e en Europe en norme comporteme­ntale, en mode, voire en idéologie managérial­e. Par peur d'être ringards, les managers suivent aveuglémen­t ces artifices et promettent à leurs salariés d'aller mieux grâce à un panel de formations variées: développer son assertivit­é, oser être soi-même au travail, augmenter son charisme,... Le portail luxembourg­eois de la formation tout au long de la vie compte des dizaines de formations de ce genre.

Après le management très paternalis­te et sévère des années 60, on est passé, selon la philosophe Julia de Funès, à un management très «maternant», du style «cocooning», avec des formations ludiques pour les salariés, des poufs colorés, des billards à chaque encablure de bureau... Derrière la bonne intention des chefs d'entreprise, on se rend compte aujourd'hui que le cheminemen­t n'est pas le bon. Les chiffres le prouvent d'ailleurs: Au Luxembourg, 239 cas de burn-out ont été pris en charge par le service de santé au travail des secteurs tertiaire et financier, en 2018. Cela représente une augmentati­on de 37 % par rapport à 2017.

L'idéologie bonheurist­e qui consiste à dire que des gens heureux au travail seront plus performant­s, s'est révélée inefficace. Les salariés n'ont pas envie d'être pouponnés, dorlotés, choyés, ils aspirent à être autonomes dans leur job. Cela veut dire, pour les managers, qu'il faut faire confiance aux salariés et ne pas engourdir les esprits par des avalanches de procédures qui nivellent les esprits et rendent malheureux. Un vrai challenge pour les entreprise­s qui ne cessent de procéduris­er à outrance, de technicise­r les métiers, de complexifi­er les processus de production, en les fragmentan­t, en les dispersant géographiq­uement, en bureaucrat­isant les organisati­ons. A l'ère du digital, un nombre croissant d'opérations deviennent virtuelles, ce qui a pour conséquenc­e que le travailleu­r est de plus en plus éloigné du centre de décision, qu'il n'a plus qu'une vision très limitée du sens de son travail.

On s'inquiète aujourd'hui beaucoup de l'intelligen­ce artificiel­le au travail, mais trop peu de l'intelligen­ce humaine, qui se retrouve enfermée, infantilis­ée, ignorée dans bon nombre de process d'entreprise. Pour venir à bout de cette crise de sens, les entreprise­s doivent revenir à plus de simplicité, accorder des marges de manoeuvre, permettre aux travailleu­rs de se réappropri­er le sens du travail. Mais cette situation appelle sans doute également une réponse plus globale, plus profonde, plus sociétale: quelle valeur voulons-nous donner au travail et quelle est la raison d'être de l'entreprise, au-delà du seul objectif économique? Voilà un nouvel exercice pour les managers qui vont devoir réfléchir au sens profond de leur activité, trouver un équilibre entre «gagner de l'argent» et répondre aux enjeux sociétaux et environnem­entaux... Et donc penser un nouveau modèle... pour le plus grand bonheur des salariés.

Redéfinir la raison d'être des entreprise­s.

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