Le virus de la peur
Des Parisiens ces jours-ci appellent les services d’urgence, inquiets après avoir reçu un colis en provenance de Shanghai, inquiets après avoir dîné dans un restaurant chinois, à Paris. C’est que bien vite la raison recule quand la santé collective semble menacée, et ce recul mène à l’orée de la déraison quand c’est d’un virus que la menace se constitue.
On se souvient de la grippe aviaire, en 2013-2014. C’était une épizootie, mais la fulgurance de sa propagation avait nourri les craintes les plus débridées – des experts évoquaient la « grippe espagnole» à la fin de la deuxième décennie du XXE siècle. Dix ans plus tôt sévissait le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, avec ses cortèges d’individus masqués, couverts d’un sac fendu. La peur, en Asie, trouva ses référents dans les épidémies qui ravagèrent l’europe médiévale.
Ce sont les années VIH toutefois qui doivent valoir comme avertissement. C’étaient les années quatre-vingt. Une maladie faisait son apparition, énigmatique, prenant au dépourvu sur le plan médical comme sur le plan sociétal. Le SIDA devint épidémie, puis pandémie – le monde s’affola, l’imaginaire collectif convoquant les figures de la peste et du pestiféré, d’autant plus volontiers mobilisées que beaucoup de victimes relevaient – ce sont les mots qui furent employés – d’un «type humain très particulier».
Alors que ces jours-ci la peur revient, face au coronavirus venu de Chine, c’est de cela, de l’irrationnel et de la stigmatisation, qu’il faut, aussi, se prémunir. Il faut rappeler qu’un virus relève de l’infectiologie, non de la démonologie. Et que les maux que la médecine traque ne sont pas plus malfaisants en Asie que partout ailleurs, même si en cette année chinoise du Rat l’hypothèse du serpent comme vecteur se prête à bien des fantasmagories.
On peut ne pas aimer, pour le dire clairement, les commentaires auxquels le virus donne lieu dans la presse internationale. Non, la Chine n’est pas un camp de concentration (il faut, en ces jours de commémoration, ne pas se tromper de vocabulaire), et si de vastes mises en quarantaine peuvent heurter la sensibilité occidentale, il reste que celles-ci ne relèvent pas d’un internement. Non encore, on n’a pas connaissance d’un virus «communiste», ni d’un rapport de causalité entre ce virus et la «dictature». Non enfin, la Chine n’est pas ce pays archaïque où un virus trouverait libre cours, et ce pays consent au dialogue avec l’occident quand bien même les informations qu'il fournit sont encore insuffisantes.
Le respect que nous devons à ce pays et à ses malades commande une certaine retenue aussi face à ses usages alimentaires. Les Chinois eux-mêmes seront assez avisés pour faire prévaloir les exigences de l’hygiène sur les appels de la tradition ou de la superstition. Il faudra, pour encourager l’asie à de tels changements, une pédagogie de l’exemple plutôt qu’une stigmatisation. Des institutions y pourvoient, Organisations mondiales de la Santé, du Commerce. Et à l’heure où des menaces d’un tout autre genre pèsent sur la planète, il est remarquable que ce soit dans le domaine alimentaire que le multilatéralisme s’impose avec acuité.
Face au virus la peur est humaine, mais le mépris est intolérable.