L’obsession des démolitions
A propos de l’éradication de l’architecture du XIXE et du début du XXE siècle
Se souvient-on du temps où pour réussir son parcours terrestre on était censé, j’oublie dans quel ordre, procréer un fils, écrire un bouquin, planter un arbre et construire une maison? Sous-entendu: il fallait appartenir à la gent masculine, car curieusement être du sexe opposé vous dispensait d’office et dès le départ d’accomplissements de la sorte.
Vinrent les années soixante-dix et deux événements décisifs: la Ville de Luxembourg adopte son premier Plan d’urbanisme dit plan VAGO (n. b.: il fera rapidement des émules dans d’autres communes, notamment à Esch/alzette), et la Chambre des députés votera la loi du 28 décembre 1976 relative aux ventes d’immeubles à construire. A partir de là, changement radical de paramètres: réussir votre vie signifie désormais et depuis lors devenir… promoteur immobilier! La carrière est à la portée de tout le monde. Les banques sont là et ravies de vous préfinancer. Le mécanisme:
– trouver une rue paisible de quartier comportant des immeubles en rangée d’avant ou après 1900. Les maisons de coin sont particulièrement prisées;
– acheter une maison X ou Y, clore les volets, la laisser à l’état d’abandon, convaincre les voisins à gauche et à droite de vous laisser la leur;
– vous procurer un permis de démolir – ils sont délivrés à la pelle et sans compter;
– creuser jusqu’à x niveaux en profondeur et réaliser quatre, cinq, six, jusqu’à huit niveaux en hauteur, le tout jusqu’à fond de terrain ou presque;
– vendre le tout sur plan, et votre fortune sera faite!
Entre nous, le plan Vago n’a jamais été vraiment aboli. Il survit et continue à sévir sous d’autres dénominations plus ou moins jolies. Avec le temps on a déniché quelques astuces supplémentaires comme par exemple à Luxembourg-ville la règle providentielle du «pignon nu en attente» qui vous dispense de l’observation du recul latéral des quatre mètres. Résultat:
– la plaquette Unesco pour la Vieille Ville et ses bâtiments éventrés, réinventés, gratifiés de rénovations à outrance;
– partout ailleurs en ce début de XXIE siècle: une disharmonie totale, l’obsession des démolitions, l’éradication du XIXE et du début du XXE siècle, les alignements disparates de corniches, les défigurations …
Exemples de cette politique: les avenues du Bois, Victor Hugo, la rue Jean L’aveugle avec ses maisons jadis de caractère aux parements de façade massacrés, les rangées jadis de petites maisons pittoresques du Rollingergrund avec leur astuce de porte d’entrée déplacée dans la façade de la maison contiguë supérieure (voir, sauf erreur, les deux seules maisonnettes de ce type survivantes à hauteur des numéros 250 … resp. 339, une maison rénovée et exhaussée), le Val Fleuri, au boulevard Royal: la Villa des Roses, les édifices prestigieux de part et d’autre, l’ancienne ambassade de Belgique, la bibliothèque nationale ..., la maison Bohler.
Rarissimes sont les quartiers ou îlots préservés. A Eich le début de la rue de Beggen à droite après la station-service, à Dommeldange au pourtour de l’église et en direction de l’ambassade de Russie, à Clausen après et derrière le café Melusina. Très rares sont les rues ou artères plus ou moins intactes, e. a. la rue des Glacis.
La manie des démolitions ne s’arrête pas aux portes de nos cimetières, combien de tombes, de monuments d’époque supprimés, balayés, remplacés par du terreplein arboré! A ce rythme le cimetière Notre-dame sera bientôt un arboretum.
Une pensée pieuse pour le citadin à pied, perdu, frustré, désorienté, de trop dans la compétition mortelle entre bus, trottinettes, vélos, joggeurs, automobiles inaudibles, sous peu le tram …. Une médaille à celui, à celle qui expliquera d’où vient ce mot en quatre lettres qui comme nul autre aplatit, écrase: t r a m …
Une ultime réflexion: depuis toujours et partout on pleurniche que le Grand- Duché souffre d’une pénurie de logements. On pleurnichera encore et toujours même que le territoire intégral sera coulé dans du béton. La réalité est que le pays et ses habitants manquent et manqueront toujours de logements qui soient abordables. Marc Modert, Luxembourg